mercredi 7 décembre 2016

OISEAUX RARES.

L'Albatros Louis Joos 2002
illustration pour les Fleurs du Mal de Baudelaire
 « Les oiseaux – entendez les poètes - sont de piètres ornithologues » estime Michèle Métail en réponse à la question que, pour marquer sa naissance, la revue marseillaise BÉBÉ vient de poser à une quinzaine d’auteurs à propos de ce qu’est pour eux la poésie. Que savent-ils en effet, « de l’échancrure d’une queue / des ailes spatulées / du vol sautillant / du bec aplati / du trait sourcilier ? ».

On est en droit de préférer cette frustrante dérobade aux propos malheureusement trop apprêtés de certains dont on voit bien que, modernes albatros, ils ne cherchent en rien à éclairer le lecteur, décidés qu’ils sont avant tout à témoigner de toute la hauteur et de l’envergure de leur vision créatrice. Et sans doute que la poésie crève aujourd’hui de cette contradiction de moins en moins supportable qu’on voit entre la volonté qui s’exprime légitimement chez les poètes de lui voir reconnaître une part plus grande à l’intérieur de la cité et la façon qu’elle a encore chez certains de se composer une langue, de se parer de formes - quand ce n’est pas simplement d’emprunter des postures - accessibles seulement à de rares initiés.


Je comprends bien que les réponses adressées aux responsables de la revue BÉBÉ sont des réponses d’écrivains. Qu’elles ne se veulent ni pédagogiques, ni vraiment théoriques. Simplement singulières. Et sans doute est-il vain, surtout dans l’espace un peu flou d’une publication naissante, de chercher à circonscrire l’essence d’une réalité aussi différenciée, évolutive et diversement connotée que l’est devenue la poésie dans le monde d'aujourd’hui. Qu’entend par poésie le professeur de lettres que ses études n’ont jamais placé face à l’oeuvre d’un poète vivant ? Quelle idée peut bien avoir de la poésie le responsable culturel de telle institution locale ou régionale qui cherche à meubler son calendrier en organisant des évènements qui lui donnent avant tout l’illusion d’avoir fait quelque chose ? Qu’est la poésie pour le libraire qui lui réserve juste une ou deux étagères dans la partie la plus reculée de sa boutique ? Pour l’éditeur qui persiste à en publier coûte que coûte. Pour le poète qui continue d’en écrire sachant qu’il ne sera sans doute jamais lu ? Pour celui qui de loin en loin emploie son statut d’auteur pour en tirer quelque subsistance à travers des rencontres pas toujours bien enthousiasmantes et des ateliers d’écriture auxquels il ne croit plus... Mais aussi que pourrait être la poésie pour celui qui aujourd’hui n’y voit qu’une pratique un peu dépassée, élitiste mais pourrait demain se rendre compte, qui sait, de ce qu’elle emporte avec elle d’espérance vitale et de partage vrai.

Plutôt que de s’appliquer à mettre en scène leur attendue singularité, certains poètes seraient bien inspirés, dès lors qu’on leur demande de réfléchir à leur pratique et au sens qu’elle peut continuer d’avoir dans le monde actuel, de le faire avec des paroles qui n’élargissent pas encore un peu plus le fossé qui les sépare de leur maigre public. Il y aurait par exemple profit je crois à tenter de dire et d’expliquer avec des mots simples mais convaincus pourquoi l’activité qu’on appelle poétique travaille à contre-courant des discours d’envoûtement auxquels les moyens les plus modernes de communication confèrent un pouvoir chaque jour plus prégnant. Il ne serait pas non plus inutile, je pense, de s’efforcer de faire comprendre en quoi l’activité poétique, peut devenir à travers l’écriture mais aussi la lecture, une manière bien réelle d'invention de soi et d'élargissement d'être. Manière de donner sens et raison à la célèbre formule de Lautréamont: La poésie doit être faite par tous. Non par un!

Sans doute serais-je ici moins critique si les responsables de ce numéro 0 de la revue BÉBÉ, Nadine Agostini et François Bladier, ne la présentaient pas comme la revue qu’ils avaient envie de lire et ne justifiaient leur choix d’auteurs en les présentant comme des poètes qui « pensent la poésie et qui contribuent à l’essor, la divulgation, la monstration, la dissémination, le partage de la parole poétique par les actions qu’ils entreprennent » !!! La naissance d’une ambitieuse revue de poésie n’a rien pour me déplaire. Comme j’espère l’expression de mes réserves ne déplaira pas trop à ces auteurs dont j’ai pu malgré tout apprécier les textes. Je pense tout particulièrement à celui toujours aussi violemment inspiré et dérangeant de Charles Pennequin Poète poisson. À d’autres encore comme ceux de Véronique Vassiliou ou de Patrick Beurard-Valdoye... A suivre.

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