L'Albatros Louis Joos 2002 illustration pour les Fleurs du Mal de Baudelaire |
« Les oiseaux – entendez les poètes - sont de
piètres ornithologues » estime Michèle Métail en réponse à la question que,
pour marquer sa naissance, la revue marseillaise BÉBÉ vient de poser à une
quinzaine d’auteurs à propos de ce qu’est pour eux la poésie. Que savent-ils en
effet, « de l’échancrure d’une queue / des ailes spatulées / du vol sautillant
/ du bec aplati / du trait sourcilier ? ».
On est en droit de préférer cette frustrante
dérobade aux propos malheureusement trop apprêtés de certains dont on voit bien
que, modernes albatros, ils ne cherchent en rien à éclairer le lecteur, décidés
qu’ils sont avant tout à témoigner de toute la hauteur et de l’envergure de
leur vision créatrice. Et sans doute que la poésie crève aujourd’hui de cette
contradiction de moins en moins supportable qu’on voit entre la volonté qui
s’exprime légitimement chez les poètes de lui voir reconnaître une part plus
grande à l’intérieur de la cité et la façon qu’elle a encore chez certains de
se composer une langue, de se parer de formes - quand ce n’est pas simplement
d’emprunter des postures - accessibles seulement à de rares initiés.
Je comprends bien que les réponses adressées
aux responsables de la revue BÉBÉ sont des réponses d’écrivains. Qu’elles ne se
veulent ni pédagogiques, ni vraiment théoriques. Simplement singulières. Et
sans doute est-il vain, surtout dans l’espace un peu flou d’une publication
naissante, de chercher à circonscrire l’essence d’une réalité aussi différenciée,
évolutive et diversement connotée que l’est devenue la poésie dans le monde
d'aujourd’hui. Qu’entend par poésie le professeur de lettres que ses études
n’ont jamais placé face à l’oeuvre d’un poète vivant ? Quelle idée peut bien
avoir de la poésie le responsable culturel de telle institution locale ou
régionale qui cherche à meubler son calendrier en organisant des évènements qui
lui donnent avant tout l’illusion d’avoir fait quelque chose ? Qu’est la poésie
pour le libraire qui lui réserve juste une ou deux étagères dans la partie la
plus reculée de sa boutique ? Pour l’éditeur qui persiste à en publier coûte
que coûte. Pour le poète qui continue d’en écrire sachant qu’il ne sera sans
doute jamais lu ? Pour celui qui de loin en loin emploie son statut d’auteur
pour en tirer quelque subsistance à travers des rencontres pas toujours bien
enthousiasmantes et des ateliers d’écriture auxquels il ne croit plus... Mais
aussi que pourrait être la poésie pour celui qui aujourd’hui n’y voit qu’une
pratique un peu dépassée, élitiste mais pourrait demain se rendre compte, qui
sait, de ce qu’elle emporte avec elle d’espérance vitale et de partage vrai.
Plutôt que de s’appliquer à mettre en scène
leur attendue singularité, certains poètes seraient bien inspirés, dès
lors qu’on leur demande de réfléchir à leur pratique et au sens qu’elle peut
continuer d’avoir dans le monde actuel, de le faire avec des paroles qui
n’élargissent pas encore un peu plus le fossé qui les sépare de leur maigre
public. Il y aurait par exemple profit je crois à tenter de dire et d’expliquer
avec des mots simples mais convaincus pourquoi l’activité qu’on appelle
poétique travaille à contre-courant des discours d’envoûtement auxquels les
moyens les plus modernes de communication confèrent un pouvoir chaque jour plus
prégnant. Il ne serait pas non plus inutile, je pense, de s’efforcer de faire
comprendre en quoi l’activité poétique, peut devenir à travers l’écriture mais
aussi la lecture, une manière bien réelle d'invention de soi et d'élargissement
d'être. Manière de donner sens et raison à la célèbre formule de Lautréamont:
La poésie doit être faite par tous. Non par un!
Sans doute serais-je ici moins critique si
les responsables de ce numéro 0 de la revue BÉBÉ, Nadine Agostini et François
Bladier, ne la présentaient pas comme la revue qu’ils avaient envie de lire et
ne justifiaient leur choix d’auteurs en les présentant comme des poètes qui «
pensent la poésie et qui contribuent à l’essor, la divulgation, la monstration,
la dissémination, le partage de la parole poétique par les actions qu’ils
entreprennent » !!! La naissance d’une ambitieuse revue de poésie n’a rien pour
me déplaire. Comme j’espère l’expression de mes réserves ne déplaira pas trop à
ces auteurs dont j’ai pu malgré tout apprécier les textes. Je pense tout
particulièrement à celui toujours aussi violemment inspiré et dérangeant de
Charles Pennequin Poète poisson. À d’autres encore comme ceux de Véronique
Vassiliou ou de Patrick Beurard-Valdoye... A suivre.
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