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Il est des
livres qu’on n’écrit pas sans colère. Non de cette colère furieuse des forcenés
mais de cette « triste colère »
qu’évoque le poète Alexandre Blok qui monte en soi face aux manquements dont
notre société nous fournit régulièrement le spectacle.
Non que nous
soyons obsédés par cette façon dont nos sociétés traitent la foule de ceux
qu’elle relègue de plus en plus à leurs marges. Dans un monde où des poignées
d’hommes peuvent en toute apparente légalité posséder l’équivalent des
richesses de tout un continent et où la plupart trouve normal qu’un sportif ou
un dirigeant d’entreprise gagnent en un mois plus d’une vie de salaire d’un ouvrier
qui risque, sur les chantiers qu’il enchaîne, sa santé quand ce n’est pas sa
vie, la misère, si ce n’est au cinéma, ne fait pas vraiment scandale et même si
dans nos villes elle s’expose assez clairement, nous savons parfaitement en
détourner le regard, lui opposer une sorte d’opacité rétinienne, d’indifférence
intime qui n’est sans doute qu’une des conditions du maintien de notre propre
tranquillité ou sécurité affectives.
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C’est
pourquoi un travail comme celui qu’a mené Sophie G. Lucas, avec moujik moujik que les éditions de la Contre Allée ont eu l’intelligence de rééditer après une première publication
en 2010 aux Editions des Etats civils de
Marseille, doit être tout particulièrement salué. Précédé par une épigraphe
empruntée à Jehan Rictus, ce poète méprisé qui se voulait l’ « Homère de la Débine » et n’hésitait pas
à en appeler à « la vaste et triomphante
jacquerie, l’assaut dernier et désespéré des masses vers les joies d’Ici-bas,
vers la vie heureuse et confortable, l’Art et la Beauté, tous les éléments du
Bonheur dont les humbles sont injustement privés et auxquels ils ont droit
», l’ouvrage de Sophie G. Lucas s’attache à ce « qu’on voit de nouveau ces hommes et ces femmes de la rue. Qu’on les
regarde ». Qu’on se confronte à cette part de vie et de mort que leur
corps, le décor dans lequel ils vivent et les mots qu’ils utilisent ont à
raconter. À cet insidieux et collectif mépris de la personne qu’ils ont aussi à
dénoncer.