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Les Ménines Picasso-Velasquez |
Le hasard a voulu que je découvre
il y a quelques mois le travail de
la poète et traductrice anglaise Susan Wicks. Cette dernière qui, après avoir introduit dans sa langue un certain
nombre d’ouvrages de Valérie Rouzeau, travaille actuellement sur l’œuvre
d’Ariane Dreyfus, m’est encore mal connue mais je souhaiterais lui rendre
aujourd’hui un rapide hommage. En proposant de découvrir sur ce blog 4 de ses poèmes où les choses du quotidien forment la matière émouvante d’une poésie toute
d’ouverture et de pénétrante sensibilité.
Nous ne rendons jamais assez
hommage aux traducteurs. Et comme elle nous apparaît stupide cette idée que la
poésie est intraduisible et qu’une œuvre traduite ne saurait tenir lieu de
l’original. De fait, lecteurs, nous ne faisons que traduire. Tant il est
évident que le texte source que nous lisons, même s’il se trouve écrit dans la
langue que nous considérons nôtre, ne prend corps en nous, couleur et sens
qu’en se voyant reconfigurer par la mystérieuse et complexe machinerie de notre
intelligence mémorielle propre et se trouve forcé d’entrer en résonance et
dialogue avec l’ensemble des réseaux singuliers de connotations et de
significations que notre histoire, notre sensibilité et notre éducation ont
plus ou moins profondément tissés à l’intérieur de nous.
Est-ce à dire alors, comme le
fait le célèbre narrateur du
Temps retrouvé, que chaque lecteur n’est jamais que le lecteur en miroir de lui-même ?
Et qu’ainsi nous tournerions en rond dans notre cercle particulier de
représentations ou de préoccupations ? Sans doute. Mais on aurait tort
d’en oublier que de l’un à l’autre, du texte de l’auteur à l’image qu’en
produit le traducteur/lecteur, tout un travail d’accommodation en direction des
choses, d’ouverture et de stimulation de nos propres puissances de création,
s’effectue. Par quoi nous éprouvons la réelle fraternité qui nous attache aux
autres et élargissons, approfondissons cet espace de particularités qu’est,
c’est vrai, notre monde. Tant heureusement nous sommes, à travers la parole,
des êtres étirables, modulables. Plastiques.
Oui. Si le texte est un peu miroir, c’est un miroir aimanté. Qui m’affecte et m’oblige
en partie à sortir de moi-même. Mieux : à redéfinir et reconstruire, à
chaque fois les limites et les conditions de ma propre altérité.
Alors, d’évidence, nous ne
pouvons que nous réjouir que l’inlassable travail des traducteurs ait fait
paraître devant nous ces d’œuvres dont le manque rendrait notre paysage
intérieur autrement plus étriqué et misérable qu’il n’est. Oui, et ce n’est pas
un cliché de le dire et le redire, que serais-je sans les traductions d’Homère
et de la Bible ? Et tout le travail de pensée et de sensibilité que ces
grandes œuvres traduites ont généré au cours des siècles dans toutes les
langues de la terre.
Hommage donc aujourd’hui aux
traducteurs, compatriotes de l’ailleurs, qui augmentent le monde. Font de
l’altérité leur propre et nous offrent la possibilité de nous inventer et de
nous réinventer sans cesse au contact de toutes les œuvres, les grandes comme
les plus modestes, qui composent le chant multiple, toujours recommencé, de la
plus belle part, vraiment, de notre humanité.