Non, Louise, cet
ouvrage de poésie qui raconte l’histoire d’une femme violée de façon répétée au
cours de son adolescence, par un beau-père, n’est pas un livre tragique.
Terrible si l’on veut, comme l’est à coup sûr, l’histoire de ces femmes
syriennes évoquées dans cet autre beau livre d’Isabelle Alentour composé d’après
le documentaire réalisé par Manon Loizeau1 sur la façon dont le
régime de Bachar Al Assad utilise le viol comme instrument de répression. Mais
de même qu’Ainsi ne tombe pas la nuit loin
de se terminer sur le constat de l’anéantissement de ces femmes doublement
martyres, du régime inhumain du Boucher de Damas et du caractère impitoyable de
la coutume, montre au final toute la beauté de leur dignité puissamment réaffirmée,
Louise témoigne d’une forme de
reconquête de soi-même et se conclut sur l’espérance revenue de « la belle clarté [et de] la belle sérénité du
matin. »
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mercredi 3 juillet 2019
jeudi 27 juin 2019
SUR LES RONCES DE CÉCILE COULON. AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.
Le succès de Cécile Coulon, je veux dire de la poésie de
Cécile Coulon, tient un peu du phénomène. Que penser en effet de la fortune de
l’unique recueil de cet auteur de 27 ans qui déjà peut se flatter de réunir des
milliers de lecteurs puis de s’être vu décerner, quelques mois après sa
parution, le-prestigieux-prix-Apollinaire,
habituellement décerné à des auteurs confirmés, d’un autre âge ?
Sans doute que si, parallèlement, Cécile Coulon n’avait pas,
depuis une dizaine d’années, donc à partir de 17 ans, déjà publié chez Viviane
Hamy une bonne poignée de romans ayant assez largement rencontré leur public,
elle serait toujours de ces poètes dont personne ne parle puisque personne ne
les lit.
Ce qui ne signifie pas a
priori qu’il ne faut pas la lire.
mercredi 12 juin 2019
LA SECONDE AUGMENTÉE. LA POÉSIE FRICATIVE DE DENISE LE DANTEC. CHEZ TARABUSTE.
De ces égarements singuliers dont sont faits les poèmes,
nous aimons les merveilles. Non celles qui mystifient. Explosant en plein ciel,
pour disparaître aussitôt, loin de vous. Mais celles qui, avec notre vie font
contact. Réaniment. Ne font pas que glisser. Laissent au contraire leur grain,
rude parfois, sur notre peau.
Car il n’est pas vrai que la merveille soit contre toute
réalité. Indifférente à elle. Ne relevant que de la pure fantaisie. D’un jeu
gratuit de l’esprit déréglé s’abandonnant à ses chimères. Cette merveille, que l’auteur
des Illuminations aura d’un geste
souverain, me semble-t-il, imposé pour longtemps à nos imaginaires, procède de
la plus essentielle réalité. De cette réalité incisive. Extensive. Que chacun
peut reconnaître et sentir résonner. Quand il écoute. En soi.
lundi 7 janvier 2019
2019. SI NOUS CESSIONS NOS CONCERTS D’OISEAUX ?
CONCERT D'OISEAUX DE PAUL DE VOS |
LA MAISON SNIJDERS & ROCKOX dans la belle ville d’Anvers est
une de ces maisons-musées dont je me dois de recommander à chacun de ne manquer
la visite sous aucun prétexte. Inutile d’en faire ici la présentation :
tout se trouve aujourd’hui sur le net ; notamment un excellent guide du visiteur téléchargeable en PDF.
Dans la partie qui fut autrefois le logis du célèbre peintre
de nature morte, Snijders, le visiteur découvrira deux de ces intrigants Concerts d’oiseaux dont le maître de
maison contribua, par une grande toile aujourd’hui exposée au Musée de
l’Ermitage, à lancer la vogue tant à Anvers qu’à Londres où des peintres comme Jan
Fyt, Paul de Vos, Melchior d’Hondecoeter, Jan Van Kessel et Jakob Bogdany en déclinèrent
de multiples versions.
mercredi 7 novembre 2018
LES ÉDITIONS LD RÉÉDITENT COMPRIS DANS LE PAYSAGE.
Paru en 2010 chez Potentille,
un de ces éditeurs dont on ne dira jamais assez ce qu’on leur doit pour
continuer, envers et contre tout, à faire un peu reconnaître dans l’espace de
nos sociétés ces travaux singuliers de parole, appliqués non seulement à
élargir comme à approfondir les possibilités de la langue commune mais à
résister comme ils peuvent aux divers formatages dont notre existence fait aujourd’hui
de plus en plus l’objet, Compris dans le
paysage, ce long poème dont je dis volontiers que c’est avec lui que j’ai
enfin compris ce qu’était pour moi la poésie, reparaît sous une autre forme et
sans doute avec de nouvelles significations, aux éditions LD.
samedi 10 mars 2018
PRENDRE LE LARGE : CARNET SANS BORD DE LILI FRIKH À LA RUMEUR LIBRE.
«Il faudra que je parle d’écrire… Et que ce
soit parler pas écrire… Que j’avoue… Et j’avoue… Être peu sensible aux formes de l’écrit… Être prise
sans filet dans le mouvement de l’écriture. Cette différence que je sens entre
les deux… Elle m’écarte… Elle me sépare… Elle me fait mal au milieu… Mais les
mots sont sans abri. Ils n’ont pas de domicile fixe. Je les couche sous la
couverture comme des chiens affamés. « Couchez… Allez… Couchez là… Ici…
Non là… Voilà… Pas bouger… »
Mais ils ne restent pas sur le papier. Ils
prennent le large
Écrire est déployé sans forme attachée
Écrire est une langue de grand départ
Aucune ligne d’arrivée
Posted at sea
16 : 27 »
Posted at sea, à différentes heures du jour, la petite
centaine de proses courtes qui composent le Carnet
sans bord que Lili Frikh vient de donner à la rumeur libre, ne cherche pas à consigner l’éphémère et
superficielle matérialité des évènements par lesquels se raconte l’anecdote
plus ou moins pittoresque, plus ou moins idéalisée, bien choisie, de ce qui
fait d’ordinaire à nos yeux l’existence : c’est en profondeur toujours qu’y
creuse la parole, empruntant à la plasticité des vagues, à leur inlassable et
puissant mouvement son exigeante tonicité. Car c’est bien à une intime nécessité que répond d’abord tout
ce livre. Qui affirme et réaffirme la volonté de son auteur de ne pas se
laisser enfermer dans les mots, dans les phrases. Non plus que dans les choses.
Et s’emploie tout entière à s’offrir corps et âme à la vie qui déborde.
dimanche 4 février 2018
UN GRAND POÈME DE LA VILLE. KALA GHODA DE ARUN KOLATKAR (1931-2004)
Je reviens aujourd'hui, suite à diverses rencontres qui m'ont amené à l'évoquer, sur le superbe grand livre sous-titré Poèmes de Bombay, du poète indien disparu en 2004, Arun Kolatkar.
Une gamine, "un
polichinelle dans le tiroir depuis, à vue de nez, sept mois" "cavale comme une
gazelle", un jerrycan à la main à la poursuite de la carriole d'un vendeur de
kérosène. À l'heure du petit déjeuner, un bossu cul de jatte bat, sur son
"skateboard maison" des records de vitesse, "s'envole sur les ralentisseurs"
pour coiffer au poteau un "vieux paralytique en fauteuil roulant fabriqué avec
deux vélos cannibalisés". "Tel un Démosthène frappadingue", un ivrogne qui se
réveille tonne à l'adresse de la ville entière qu'elle n'est qu'un "colossal
tas de merde". "Les doigts funambules" d'un aveugle "tressent un lit de corde"
qui "se tourne et se retourne dans ses bras" comme s'il apprenait à danser.
Tandis qu'un peu plus loin, "tchac-a-boum-tchac-tchac tchac-a-bim-boum-bam"
passe la fanfare des lépreux, le Bombay Lepers'Band. On le voit. C'est une
sorte de Cour des Miracles que met en
scène le poète indien Arun Kolatkar dans ces Poèmes de Bombay que les éditions
Gallimard nous ont fait découvrir grâce au talent de ces deux
traducteurs que sont Pascal Aquien et Laetitia Zecchini. Toutefois cette Cour
des Miracles que constitue la population du quartier de Kala Ghoda que notre
auteur a observé des années durant, de sa table du Wayside Inn qui lui offrait
une vue dégagée sur ce carrefour fréquenté au centre de la métropole indienne,
n'a rien de l'espace sordide, inquiétant, malfaisant que le roman de Victor
Hugo, Notre Dame de Paris, en quête de pittoresque d'époque, a popularisé.
(1)
samedi 9 décembre 2017
RECOMMANDATION. KASPAR DE PIERRE DE LAURE GAUTHIER À LA LETTRE VOLÉE.
Comment le dire : insignifiants
de plus en plus m’apparaissent ces petits
poèmes qu’on peut lire aujourd’hui publiés un peu partout, sans le secours
du livre. Non du livre imprimé, de l’objet
d’encre et de papier qu’on désigne le plus souvent par ce terme. Mais de cet
opérateur de pensée, de ce dispositif supérieur de signification et
d’intelligence sensible qui organise les perspectives, relie en profondeur et
me paraît seul propre à mériter le nom d’œuvre.
Non, bien entendu, que tel petit
poème ne puisse charmer par tel ou tel bonheur d’expression, la justesse par
laquelle il s’empare d’un moment ou d’un fragment de réalité et parvient ainsi
à s’imprimer dans la mémoire. Et nous disposons tous – et moi pas moins qu’un
autre - de ce trésor de morceaux qu’à l’occasion nous nous récitons à
nous-mêmes et dans lequel, même si c’est devenu un cliché de le dire, certains,
dans les conditions les plus dramatiques puisent pour donner sens à leur souffrance
et trouver le courage ou la volonté d’y survivre.
Mais la littérature me semble
aujourd’hui avoir bien changé. Nous ne sommes plus au temps des recueils.
Difficile de plus en plus d’isoler radicalement la page de l’ensemble dans lequel elle a place. C’est en terme de
livre qu’aujourd’hui paraissent les œuvres les plus intéressantes. Pas sous
forme de morceaux choisis. Ce qui rend aussi du coup la critique plus
difficile. Aux regards habitués, comme le veut notre époque, aux feuilletages.
Au papillonnage. Aux gros titres. À la pénétration illusoire et rapide.
Le livre de Laure Gauthier, kaspar de pierre, paru à La Lettre volée, est précisément de ceux
dont le dispositif et la cohérence d’ensemble importent plus que le détail
particulier. Ou pour le dire autrement est un livre dans lequel le détail
particulier ne prend totalement sens qu’à la lumière de l’ensemble. Non
d’ailleurs que tout à la fin nous y paraisse d’une clarté parfaite. S’attachant
à y évoquer non la figure mais l’expérience intérieure de ce Kaspar Hauser que
nous ne connaissons le plus souvent qu’à travers l’image de « calme orphelin » rejeté par la vie,
qu’en a donnée Verlaine, Laure Gauthier, à la différence de ceux qui se sont
ingéniés à résoudre le bloc d’énigmes que fut l’existence et la destinée de cet
étrange personnage, ramènerait plutôt ce dernier à sa radicale opacité, son
essentielle différence qui n’est peut-être d’ailleurs à bien y penser que
celle, moins visible et moins exacerbée par les circonstances certes, de chacun
d’entre nous.
lundi 30 octobre 2017
RECOMMANDATION. DÉGELLE DE SÉVERINE DAUCOURT-FRIDRIKSSON.
CLIQUER POUR DECOUVRIR LES EXTRAITS |
La poésie de Séverine Daucourt
Fridriksson est de celles qui puisant au fond de leurs « secrets possibles » sait nous en
communiquer toute l’intelligence vitale sans jamais les révéler. Cela repose
sur une jouissive et permanente façon comme elle dit de décomposer et
recomposer à volonté l’épaisse trivialité de l’existence à partir d’une rage
d’expression qui « veille à défier
l’apathie », s’efforce en permanence à « croiser éros au virage », et me paraît quant à moi avoir fait
sa devise du formidable cri lancé en son temps par Jules Laforgue :
« Non ! vaisselles
d’ici-bas. »
Pourtant le fond d’expérience dont procède le livre de Séverine
Daucourt-Fridriksson est pour une bonne partie désolant. Dégelle dont le titre bien entendu peut s’entendre comme la mise en
féminin de ce dégel qu’elle évoque dans un passage du livre (p. 123) mais comme
opération qui à son dire « prendrait
des siècles », fait plutôt à mon sens apparaître son auteur comme une
femme ayant fait l’expérience souvent cruelle de ce qu’est la dégelée de vivre. De voir ses rêves,
tous les joyaux attendus du quotidien se ternir sous ses yeux à l’épreuve
de la veulerie des hommes, de l’imposture des uns, de la démesure de l’ego des
autres, de l’avidité des familles, sans compter, c’est le mot, l’implacable
mécanique de la rentabilité bancaire... Et
ces défaites qui me semblent bien être évoquées dans le livre n’en paraissent
que plus cuisantes du fait du peu ordinaire appétit de vivre et d’être aimée de
son auteur.
CLIQUER POUR LIRE |
Comme rien ne remplace finalement
la rencontre directe avec le texte, je renverrai au lecteur le soin de se faire
une idée de l’inventivité et de la puissance d’expression de l’écriture de
Séverine Daucourt-Fridriksson - dont je tiens
à rappeler au passage la remarquable traduction qu’elle a donnée chez LansKine,
d’oursins et moineaux, un très beau
livre de poèmes de l’islandais Sjón (voir ci-contre) - en lisant les quelques pages d’extraits que nous donnons en tête de notre billet. Extraits qu’on ne pourra pas, j’imagine, éviter de faire entrer en résonance avec les débats présents. Pour leur conférer
des perspectives – on peut toujours rêver - un peu moins rétrécies.
vendredi 29 septembre 2017
D’UNE CERTAINE LECTURE PUBLIQUE DE POÉSIE. À PARTIR DU VOCALUSCRIT DE PATRICK BEURARD-VALDOYE.
Patrick Beurard-Valdoye lisant le Vocaluscrit , atelier Michael Woolworth, Paris, 24/11/2016 |
Lire, à destination d’un public physiquement présent devant soi, des textes élaborés dans l’intériorité d’une conscience n’entretenant parole qu’avec elle-même, des textes destinés à n’être entendus le plus souvent que dans la tête, est une opération qui ne va pas de soi et qu'il m'arrive malheureusement de trouver parfois déceptive. Si relativement peu d’études se sont penchées sur la question, nous ne manquons toutefois pas aujourd’hui d’éléments pour parfaire notre réflexion comme ceux, pour ne parler que des plus récents, que fournit l’important ouvrage de Jean-François PUFF paru en 2015 aux éditions Cécile Defaut, Dire la poésie ?, ou celui de Jan Baetens, À voix haute, sous-titré poésie et lecture publique, paru l’an passé aux Impressions Nouvelles.
Qu’apporte la présence du poète
au texte qu’il vient lire ? Quelle relation la mise en voix et en espace
qu’il en fait entretient-elle avec ce que le texte sur la page imprimé fait de
lui-même entendre ? Quelles raisons de fond président au choix par le
lecteur d’une diction expressive ou au contraire de cette diction détimbrée,
neutre, que l’héritage d’un certain textualisme a contribué à mettre à la mode
dans les cercles éclairés ? Quelle part aussi réserver au corps dans ce
dispositif qui ne se veut pas en principe spectacle mais qui conduit à être
vu ? Quelle place consentir au public et auquel s’adresser quand ce
dernier regroupe aussi bien des lecteurs avertis, des poètes ou artistes amis,
que de simples curieux peu au fait des enjeux et des pratiques qui ont cours
aujourd’hui ?
À toutes ces questions, comme à
bien d’autres encore qui touchent par exemple à la nature du lieu où le public
se voit convier, l’intéressant livre de Patrick Beurard-Valdoye, Le vocaluscrit, que les très actives éditions LansKine
viennent de publier, ne répond pas directement. Mais constitué en fait dans sa
première et plus importante section de « captures » que durant plus de vingt ans l’auteur a réalisées à
partir de notes prises en cours de séance, des très nombreuses lectures
auxquelles il lui a été donné d’assister - en partie d’ailleurs comme
organisateur - son ouvrage dresse une sorte de tableau pittoresque et assez
révélateur des diverses modalités qu’inventent ou croient inventer les
écrivains-poètes pour adresser leurs textes à l’auditoire venu les rencontrer.
D’Oskar Pastior à Claude
Royet-Journoud en passant par Bernard Heidsiek, Frank Venaille, Nathalie
Quintane, Hélène Cixous, Bernard Noël, Ulrike Draesner ou Valère Novarina,
c’est une petite quarantaine d’auteurs dont l’esprit incisif et parfois un peu
malicieux de Patrick Beurard-Valdoye croque la prestation dans une suite de
textes qui retravaillés après coup ont fini par lui apparaître comme
susceptibles de se prêter à leur tour à des performances poétiques comme celle
qu’on peut visionner sur le site de l’éditeur.
Disons-le clairement, les
lectures dont il est ici question sont pour la plupart affaire d’initiés. Ne
concernent plutôt que des auteurs qu’on appellera faute de mieux « patentés » et dont l’œuvre jouit
d’une considération d’ordre intellectuel dans les milieux un peu branchés. Les
lieux dont il est question, Musée Zadkine, Atelier Anne Slacik, Grand Palais,
Université Paris-Sorbonne, Palais de Tokyo, Institut du monde arabe, librairie
Tschann de Paris, Reid Hall Columbia University de Paris, ENSBA de Lyon … ne sont
pas de ceux par lesquels passent le mieux les nombreuses tentatives, pas
toujours des plus fructueuses d’ailleurs, visant à la démocratisation de la
parole poétique et au rapprochement des publics. Bref on ne fera pas de cet
ouvrage ce qu’il n’est et ne se veut d’ailleurs pas : un panorama complet
de la lecture publique de poésie des années 1990 à nos jours.
Vocaluscrit : Patrick Beurard-Valdoye, dans les réflexions qui
terminent son livre, propose ce néologisme pour donner nom à ce matériau
résultant du travail de retournement qu’accomplit à travers la lecture l’auteur
qui cherche à « extraire autant
qu’abstraire du dedans du corps » ce « texte
souvent conçu depuis la seule oreille interne, muet, déconnecté de la
parole », qu’il ne peut dans ces conditions livrer que transmué,
oralisé, vocalisé. Ce terme qui ressemble écrit-il à ses cousins manuscrit et tapuscrit peut sembler en effet légitime. On remarquera toutefois
que dans l’ensemble des textes que Patrick Beurard-Valdoye consacre à recréer à
sa façon la note d’ensemble des évènements de parole auxquels il a assisté, et
qu’il désigne d’ailleurs à un moment par l’expression de « photos mentales », la part qu’on
dira « vocale » ne
l’emporte qu’assez rarement finalement sur la part « visuelle ». Et ce n’est d’ailleurs pas l’un des moindres intérêts
de l’ouvrage que de pointer l’importance que revêtent à l’intérieur de ces
dispositifs de lecture ces éléments adventices
qui détournent l’attention du dit. Ainsi de la « tenue » que l’auteur aura choisie pour témoigner plus ou moins
subtilement de sa liberté par rapport aux codes vestimentaires en vigueur dans
le milieu artiste. Raffinée ou plus ou moins ostensiblement négligée, la nature
et la couleur de la panoplie d’auteur avec laquelle chacun choisit de se
présenter est bien l’un des éléments extra-vocaliques qui compte dans ce type
de rencontre, comme le sont la gestuelle, le choix et le maniement des supports
dont la lecture s’accompagne, les éclairages et la nature des fonds sur
lesquels se détache le corps assis ou debout, immobile ou remuant, du poète
lisant.
Attirée, sinon détournée, vers
nombre d’éléments ou de signes qu’on dira si l’on veut parasites, l’attention
que le public accorde à ce qui se joue dans l’espace complexe de la lecture
publique est donc assez loin de ne se concentrer que sur ce qui lui est donné à entendre.
Les textes de Patrick Beurard-Valdoye sont sur ce plan plus que révélateurs qui
ne négligent pas non plus la capacité de présence et d’interpellation de
l’espace jamais totalement neutre et étanche dans lequel chacune des
interventions dont il rend compte est plus ou moins clairement ou
ostensiblement d’ailleurs mise en scène. Sans oublier – voir la mention qu’il
fait de Jacques Roubaud auditeur - celle des diverses personnalités de premier
rang dont certains ne peuvent pas plus éviter que les personnages de
Balzac réunis au théâtre, de guetter la possible réaction.
Comme il ne manque pas
aujourd’hui par la grâce de l’hébergeur de vidéos You Tube de possibilités de visionner certaines lectures – j’en
citerai en particulier deux de tonalités tout-à-fait différentes : celle de la poète américaine Marjorie Welish et de Joseph Julien Guglielmi qui vient
malheureusement de disparaître – le lecteur se rendra par lui-même compte du
talent et de l’heureuse et réjouissante liberté avec lesquels Patrick Beurard
Valdoye est parvenu à archiver ces
moments de réalité qu’il est l’un des premiers à ma connaissance – il est vrai
après l’immense auteur d’Illusions perdues – à s’être mis en tête de capter par des moyens littéraires.
J’ajouterai cependant pour
terminer que son livre présente aussi pour le lecteur qui s’intéresse à ces
questions une seconde partie intitulée le
métier de poète qui dans la ligne d’un ouvrage de Joël Bastard dont j’ai en
son temps rendu compte, montre au public peu au fait de ces pratiques, l’envers
du décor et dénonce à l’aide d’anecdotes grinçantes, l’abîme parfois
vertigineux qui sépare le prestige au moins symbolique que confère l’invitation
faite au poète de venir en public lire ses œuvres et le peu de considération ou
la désinvolture avec lesquels les conditions qui lui sont nécessaires pour
accomplir ce travail sont parfois envisagées et traitées par des médiateurs
culturels à l’ignorance quand même un peu crasse.
Un grand merci donc aux éditions
LansKine de nous avoir adressé ce livre et de permettre à tous ceux qui
s’intéressent comme nous à la lecture publique de poésie d’étoffer leur réflexion.
lundi 3 juillet 2017
RECOMMANDATIONS DÉCOUVREURS. ÉTÉ AVEUGLE DE ROSE AUSLÄNDER
Été aveugle
Les roses ont un goût rouge-rance —
un été acide est sur le monde
Les baies se gonflent d'encre
et sur la peau de l'agneau le parchemin se rêche
Le feu de framboise est éteint —
un été de cendres est sur le monde
Les hommes vont et viennent paupières baissées
sur la berge aux roses rouillée
Ils attendent que la colombe leur porte des nouvelles
d'un été étranger sur le monde
Le pont de pointilleuse ferraille
ne s'ouvre qu'à ceux en ordre de marche
un été aveugle est sur le monde
Blinder Sommer
Die Rosen
schmecken ranzig-rot —
es ist
ein saurer Sommer in der Welt
Die
Beeren füllen sich mit Tinte
und auf der Lammhaut rauht das
Pergament
Das
Himbeerfeuer ist erloschen —
es ist
ein Aschensommer in der Welt
Die
Menschen gehen mit gesenkten Lidern
am
rostigen Rosenufer auf und ab
Sie warten auf die Post der
weissen Taube
aus einem
fremden Sommer in der Welt
Die
Brücke aus pedantischen Metallen
darf nur
betreten wer den Marsch-Schritt hat
Die
Schwalbe findet nicht nach Süden —
es ist
ein blinder Sommer in der Welt
Née le 11
mai 1901 à Czernowitz (Autriche-Hongrie ; actuelle Ukraine) et morte le 3
janvier 1988 à Düsseldorf (Allemagne), Rose Ausländer est une poétesse
d'origine juive allemande.
Comme le dit la
belle et longue présentation du regretté Gil Pressnitzer qu’on trouve
d’elle sur le site Esprits nomades, « son histoire semble être le symbole du
naufrage de cette Mitteleuropa, de cette culture de l'Europe centrale qui a
disparu dans les flammes et les camps de la mort ».
Nous ne
saurions trop recommander à nos amis enseignants de se pencher sur les textes
mais aussi sur la destinée de cet auteur qui, injustement méconnue fait partie
comme l’écrit Gil Pressnitzer de ces grands poètes juifs : Paul Celan,
Nelly Sachs, Ingeborg Bachmann qui, pour avoir fait intimement l’expérience de
l’horreur, donnent chair aux choses indicibles.
mercredi 28 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. MOUJIK, MOUJIK, DE SOPHIE G. LUCAS.
CLIQUER POUR OUVRIR LE PDF |
Il est des
livres qu’on n’écrit pas sans colère. Non de cette colère furieuse des forcenés
mais de cette « triste colère »
qu’évoque le poète Alexandre Blok qui monte en soi face aux manquements dont
notre société nous fournit régulièrement le spectacle.
Non que nous
soyons obsédés par cette façon dont nos sociétés traitent la foule de ceux
qu’elle relègue de plus en plus à leurs marges. Dans un monde où des poignées
d’hommes peuvent en toute apparente légalité posséder l’équivalent des
richesses de tout un continent et où la plupart trouve normal qu’un sportif ou
un dirigeant d’entreprise gagnent en un mois plus d’une vie de salaire d’un ouvrier
qui risque, sur les chantiers qu’il enchaîne, sa santé quand ce n’est pas sa
vie, la misère, si ce n’est au cinéma, ne fait pas vraiment scandale et même si
dans nos villes elle s’expose assez clairement, nous savons parfaitement en
détourner le regard, lui opposer une sorte d’opacité rétinienne, d’indifférence
intime qui n’est sans doute qu’une des conditions du maintien de notre propre
tranquillité ou sécurité affectives.
CLIQUER POUR LIRE |
C’est
pourquoi un travail comme celui qu’a mené Sophie G. Lucas, avec moujik moujik que les éditions de la Contre Allée ont eu l’intelligence de rééditer après une première publication
en 2010 aux Editions des Etats civils de
Marseille, doit être tout particulièrement salué. Précédé par une épigraphe
empruntée à Jehan Rictus, ce poète méprisé qui se voulait l’ « Homère de la Débine » et n’hésitait pas
à en appeler à « la vaste et triomphante
jacquerie, l’assaut dernier et désespéré des masses vers les joies d’Ici-bas,
vers la vie heureuse et confortable, l’Art et la Beauté, tous les éléments du
Bonheur dont les humbles sont injustement privés et auxquels ils ont droit
», l’ouvrage de Sophie G. Lucas s’attache à ce « qu’on voit de nouveau ces hommes et ces femmes de la rue. Qu’on les
regarde ». Qu’on se confronte à cette part de vie et de mort que leur
corps, le décor dans lequel ils vivent et les mots qu’ils utilisent ont à
raconter. À cet insidieux et collectif mépris de la personne qu’ils ont aussi à
dénoncer.
mercredi 21 juin 2017
IL Y A ENCORE DE QUOI CHANTER ! DOMAINE DES ENGLUÉS D’HÉLÈNE SANGUINETTI.
Des livres comme ceux que
publient Hélène Sanguinetti sont justement de ces livres qui, poussant à la
limite leur propre affirmation d’être et de solitude peuvent nous aider à
comprendre l’impasse dans laquelle s’engage quiconque voudrait trouver le mot,
découvrir la formule, le magique abracadabra, qui ouvrirait pour chacun le sens
d’une œuvre à tort considérée comme un bloc de significations d’une densité
telle qu’il y faudrait une culture, une attention exceptionnelles pour en
pénétrer, ne serait-ce qu’un peu, les principaux arcanes.
vendredi 24 février 2017
PARMI TOUT CE QUI RENVERSE. UN MONDE OUVERT PAR LA PAROLE.
CLIQUER POUR SE RENDRE SUR LE SITE DE L'EDITEUR |
Je me
permets d’annoncer la sortie de parmi
tout ce qui renverse aux éditions du Castor Astral.
Merci tout
d’abord à Jacques Darras et à Jean-Yves Reuzeau d’avoir sauvé ce livre que la
malencontreuse disparition, en janvier 2016, des éditions de l’Amandier - où il
devait, grâce au concours du CNL, primitivement paraître – risquait de condamner à ne voir le jour qu’après
de longues années encore de sommeil et d’attente.
Je n’accable
pas les revues, comme les maisons d’édition, de mes propositions. C’est
pourquoi, occupé le plus souvent à tenter de donner ce que je peux de
visibilité aux livres et aux auteurs que j’estime, je me sens autorisé
aujourd’hui à demander aux lecteurs de ce blog qu’ils prêtent un peu
d’attention à l’ouvrage que je propose et l’aident ainsi à échapper à la
cruelle indifférence qui frappe en général le travail des poètes.
Je le dois
tout d’abord à la maison qui m’accueille. Ensuite à toutes les ressources de
vie et de pensée que l’écriture de ce livre m’aura conduit sur tant d’années à
employer.
parmi tout ce qui renverse, sous-titré
Histoire d’Il, vient prolonger et terminer la phrase commencée avec Compris dans le paysage (Potentille,
2010), complétée par avec la terre au
bout (Atelier La Feugraie 2011) et emprunte un peu de sa forme générale à Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
de Charles Augustin Sainte-Beuve ! Oui. C'est en effet à ce livre
injustement méprisé qu'on doit, au moment où naît ou va naître notre poésie
moderne, de voir pour la première fois le poète se dégager de la coûteuse
illusion de la transparence du sujet pour inventer et induire une lecture
"romanesque" de la poésie
lyrique.
vendredi 30 décembre 2016
JACQUES LÈBRE. L’IMMENSITÉ DU CIEL.
RUISDAEL VUE DE HARLEM Détail MAURITSHUIS |
père, même pas dans la terre / (il a neigé à gros flocons pendant la
crémation) / réduit, désormais, / à l’immensité du ciel. »
Que devient l’être lorsque la vie
le quitte et que ce qui l’animait se voit arracher à son enveloppe
charnelle ? Qu’y a t’il d’être toujours, autour de nous ? Et quelles
limites d’espace, de temps, la conscience peut-être, la parole, le geste, et la
mémoire encore, peuvent-ils nous aider – même un peu - à franchir ?
Organisé autour de la disparition
de son père, Lucien, (1926-2008), le dernier livre de Jacques Lèbre, demeure
tout entier habité par cette forme supérieure et inquiète de sensibilité qui
fait d’un certain nombre de moments vécus, le frémissant lieu de passage et
l’éphémère réceptacle de tout ce qui, dans la vie et par le monde nous déborde.
Éprouve notre vulnérabilité. Réactive le sentiment de l’essentielle porosité de
notre être intérieur.
mercredi 2 novembre 2016
MORT D’UN PERSONNAGE. SUR LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.
Mon pere est mort, Dieu en ayt
l’ame,
Quant est du
corps, il gyst soubz lame…
François VILLON
Le Testament
Je viens de
lire le petit livre de Marlène Tissot Lame
de fond, produit par La Boucherie littéraire de l'exigeant Antoine Gallardo que je remercie bien de me
l’avoir adressé et j’aimerais en dire ici quelques mots qui viendraient
rendre justice à l’émouvante et fragile sensibilité de son auteur. À la façon
juste aussi qu’elle a de rendre compte de ce que l’idiotie contemporaine
appelle le travail du deuil et qui n’est que le jeu millénaire des façons par
lesquelles les vivants, comme ils peuvent, s’accommodent de la disparition ou
de la perte d’autres qui comptaient, en profondeur, pour eux.
MOTHERWELL DANS LA CHAMBRE D'AMOUR |
Pas
nécessaire en fait de savoir si le disparu dont il s’agit dans le livre de
Marlène Tissot est son père, son grand-père, quel était son âge véritable ou la
place précise qu’il occupait dans la vaste configuration sociale hors de
laquelle il est de plus en plus difficile pour chacun de trouver à se
définir... Je ne retiens du livre que la possession d’une modeste habitation au
bord de la mer vers Cancale, une certaine qualité de lumière insaisissable au
bord des yeux, l’odeur tout à la fois âcre et douce d’un vieux pull marin... et
surtout cette capacité qui n’est pas seulement de paroles que possèdent
certains êtres de nous rendre le monde plus large à habiter (p. 48). «Cours, ma belle ! Nage dans le ciel »
[...] Avec toi tout est permis. Avec toi on chahute l’apparence des choses
ordinaires, on colorie le monde. Avec toi, je nage dans le ciel, je suis une
sirène qui ne craint pas la mer à boire. »
Certes, nous
ne manquons pas de livres commandés par les morts1. Et peut-être n’existe-t-il
d’ailleurs de vrais livres que ceux-là que nous inspirent la perte et la
nécessité encore, non d’en guérir ou d’oublier, mais comme le disait Char, d’en
faire l’aliment d’une plus grande capacité d’être. L’ouvrage de Marlène Tissot
avec justesse et discrétion en fournit à mes yeux une nouvelle preuve. Lui qui finit
par nous faire comprendre qu’on ne réinvente ceux qui manquent qu’en en
projetant devant nous la vivante couleur et qui se termine par ces lignes bien
belles : « Dans ta cage
thoracique, l’oiseau a cessé de chanter. Mais ses ailles palpitent encore en
moi. Comme s’il s’apprêtait à m’envoler. Tu m’avais prévenue : « Tout
n’est que commencement ». Et aujourd’hui je suis prête à te croire, prête
à laisser ta fin devenir un début . »
NOTE :
Parmi les œuvres
majeures auxquelles je pense, je ne saurais trop inciter le lecteur à se
tourner vers les livres de Frank Venaille et tout particulièrement Hourra les morts ! qui compte en
particulier un texte tout à fait extraordinaire évoquant la crémation de son
père (voir un commentaire que nous avons jadis réalisé pour des élèves de lycée).
Chacun se souviendra également du Pas
revoir de Valérie Rouzeau, prix des Découvreurs 2001. Sans oublier, pour
rester dans le champ des auteurs pour lesquels nous avons de l’amitié, le beau
livre d’Edith Azam Décembre m’a ciguë chez POL ou celui d'Olivier Barbarant,Élégies étranglées dont le commentaire que nous en avons donné il y a quelques années peut largement trouver à s'appliquer à l'ouvrage de Marlène Tissot.
jeudi 13 octobre 2016
LANCEMENT DE NOS RENCONTRES D’AUTEURS.
Laurence Vielle Vincent Granger et Thomas Suel Channel 6-10-2016 |
C’est avec Laurence Vielle que viennent de débuter les rencontres
2016-2017 que nous organisons autour du Prix des Découvreurs. Plus de 200 élèves du lycée Berthelot de Calais, et du
lycée Carnot de Bruay la Buissière accompagnés de leurs enseignants se sont
ainsi rendus dans la belle salle du Passager au Channel pour y découvrir celle
qui vient d’être sacrée « poète
nationale » de Belgique.
Accompagnée du musicien Vincent
Granger venu spécialement de Lyon, Laurence Vielle a partagé la scène avec Thomas
Suel un habitué de ces rencontres que nous avons toujours plaisir à retrouver.
«Ce qu’on vient d’entendre nous a vraiment redonné la pêche »
commentait un jeune de terminales à l’issue du spectacle. «Oui ça nous aide à mieux comprendre le monde
et à mieux nous comprendre nous-mêmes » ajoutait l’une de ses camarades
toute aussi enthousiaste. Pour Martine Resplandy, organisatrice de cet
évènement, « Laurence Vielle et Thomas
Suel sont des artistes qui s’intéressent aux gens, qui savent porter un regard
critique sur notre époque difficile. Leur travail montre aux jeunes qu’ils ne
sont pas seuls et qu’ils ne doivent pas se replier sur eux-mêmes. C’est aussi
notre mission à nous professeurs de leur faire rencontrer de telles
personnalités à l’énergie communicative ».
Question de style ! Le propre de l’artiste est-il pas, si
l’on en croit le tout dernier livre de Marielle Macé, justement intitulé Styles, de mettre son imagination conceptuelle,
et sa créativité au service des autres, de « favoriser l’effet retour de cette force » à l’intérieur du
collectif, dans l’espérance de permettre à chacun de réviser, d’élargir ou
simplement de redynamiser sa manière propre
d’être en vie.
mardi 7 juin 2016
COMPATRIOTES DE L’AILLEURS : YOSHIKICHI FURUI, CHANT DU MONT FOU.
C’est un long chant de traversée.
De traversée du monde. De traversée du temps. De traversée de soi. Encore
pourrions-nous mettre les mots qui précèdent au pluriel tant les identités du
narrateur, celles des époques qu’il évoque et des lieux et formes qu’il
rassemble sont multiples et se pénètrent au sein d’une narration qui loin de
s’écouler avec la majesté d’un grand fleuve possède tous les attributs de ces
eaux dévalant les pentes célèbres du Yoshino, que dans son dernier chapitre,
l’auteur décrit, avec leur courant qui bifurque, leurs bras faisant
rayonner leurs tentacules dans plusieurs
directions autour d’un point central et qui semblant couler vers le sud,
coulent en fait vers le nord...
Je le reconnais bien volontiers.
J’ignore à peu près tout du Japon. De son histoire. De sa géographie. De sa
culture. De ses traditions. Et même de sa littérature. Ou plutôt ce que j’en
sais tient dans le bagage de ce que nous savons tous. C’est-à-dire clichés.
Petits savoirs superficiels. Engouements déclenchés. Enthousiasmes de commande
produits par l’énervante société culturelle à prétention élitiste à laquelle de
force, sinon de gré, je me trouve appartenir. Pourtant Chant du Mont fou ce livre qui par bien de ses aspects se montre
profondément ancré dans les spécificités d’un pays qu’il nous fait attentivement
parcourir nous entraînant d’un lieu sacré ou historique à l’autre, d’un auteur
ancien à l’autre, sans compter les évènements nombreux du passé et les figures
mythologiques ou religieuses qu’il convoque au passage, Chant du Mont fou m’a presque toujours interpelé comme s’il me
parlait finalement de moi-même. De cette difficulté que nous avons à habiter
nos corps. À accepter notre âge. À nous sentir de notre époque. À ne pas nous
perdre dans les multiples voix qui nous habitent. Ne pas constamment chercher
ce qu’au fond nous ne trouverons jamais. Nous inventant des voyages d’humeur,
des fièvres, des colères, des regrets, des peurs... des opéras d’impressions en
fait, dont nous savons bien comme ils sont inutiles. Mais sans lesquels nous
n’aurions pas de vie.
mardi 31 mai 2016
POUR UN ÉLARGISSEMENT D’ÊTRE. DOSSIER DU PRIX DES DÉCOUVREURS 2016-2017.
Cliquer dans l'image pour ouvrir le dossier |
À travers eux se lira sans
difficulté la conception ouverte que nous avons de la poésie et tout ce qu’elle
peut aujourd’hui présenter de différent, de nouveau, de singulier par rapport
aux conceptions malheureusement trop étroites dans lesquelles on l’enferme
traditionnellement.
Apparaîtra aussi, du moins nous
l’espérons, outre la grande diversité rendue aujourd’hui possible des
écritures, la capacité que possède la poésie actuelle d’interroger le monde
sous tous les aspects que nous lui connaissons. Du plus intime au plus
collectif. Du plus lointain au plus proche.
Bien entendu, la poésie reste un
art du langage. À ce titre, on ne peut la réduire, comme un simple article de
journal, à ses significations. Il importera donc toujours de rester attentif à
ce qu’on appelait autrefois « la manière », c’est-à-dire ici les choix
particuliers d’écriture, plus ou moins singuliers, plus ou moins manifestes,
par lesquels chaque auteur se donne en principe, sa voix propre. Proposant du
même coup au lecteur d’inventer sa lecture elle aussi singulière.
Nous avons bien conscience encore
qu’il n’est pas toujours facile d’entrer dans des formes d’écriture auxquelles
on n’est pas préparé. C’est pour cela que plutôt que d’un appareil critique aux
explications forcément réductrices nous accompagnons ces extraits d’un certain
nombre d’illustrations dont l’objectif n’est pas seulement de rendre ce dossier
visuellement attractif. Sans en être le commentaire ou l’illustration l’image
peut ici établir une sorte de dialogue avec le texte, soit en en favorisant
l’entrée, soit en lui offrant un prolongement possible.
Nous aurons le sentiment d’avoir
réussi notre pari si, partant des extraits, chacun éprouvait la curiosité de
prolonger sa lecture en allant découvrir les livres en leur totalité. Et y
trouvait aussi, pourquoi pas, pour lui, des possibilités inédites d’écriture.
Lire / écrire, à la condition
d’accepter de sortir de ses circuits d’habitude, sont une seule et même
activité. D’elle nous tirons, c’est une certitude, le plus sûr élargissement
d’être. La promesse d’une existence adulte.
Libellés :
BOULOGNE-SUR-MER,
EDUCATION,
ENGAGEMENT,
IMAGE,
OUVERTURE,
PEINTURE,
POESIE CONTEMPORAINE,
SORTIR DU NOIR,
VOIX
dimanche 8 mai 2016
ENCORE UNE BABEL PARFAITEMENT RÉUSSIE, AU CHANNEL, AVEC LES ÉLÈVES DU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS !
BABEL BERTHELOT AVEC RYOKO SEKIGUCHI |
Si bien entendu certains se sont montrés
encore intimidés par le fait de venir ainsi se présenter sur scène, beaucoup,
en revanche ont manifesté de belles qualités comme en aura tout
particulièrement témoigné, je pense, aux yeux de tous, la remarquable mise en musique et en voix du célèbre texte de Baudelaire Anywhere out of the world, totalement élaborée par un groupe
d’élèves de l’option musique.
De telles manifestations dont on
aimerait qu’elles soient plus largement répandues dans tous les établissements
de France sont de celles qui nous paraissent les plus à même de redonner
vraiment le goût de la poésie à cette jeunesse qui place – c’est son âge - l’émotion et le partage loin devant les
nécessités de l’analyse et du commentaire. Ce qui ne l’empêche pas de réussir
dans ses études. Les excellents résultats des élèves du lycée Berthelot de
Calais qui mène depuis longtemps une politique d’ouverture culturelle et de rencontres parmi les plus dynamiques à coup sûr de l’Académie en sont la
preuve.
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