En matière de livre de résidence le pire côtoie parfois le
meilleur. Nous connaissons tous de ces minces plaquettes où sous couvert de
rendre hommage au territoire qui l’a quelque temps hébergé tel estimé confrère
s’en fait comme il peut le rhapsode, bricolant quelques rapides pièces de
circonstances dans l’espoir d’ainsi s’acquitter de l’engagement prévu dans son
contrat.
Il n’est pas toujours simple d’écrire sur commande. Ou d’en
trouver le sens.
Florence Jou n’est apparemment pas de ceux que rebutent ce
type d’exercice. Invitée par Le Grand café, un dynamique Centre d’Art
Contemporain installé depuis plus d’une vingtaine d’années sur l’estuaire de la
Loire, à Saint-Nazaire, la jeune poète-performeuse a bien assimilé l’esprit de
cette structure dont une des raisons d’être est d’associer autant que possible
les publics diversifiés auxquels elle se trouve rattachée, au processus de
création mis en place à leur contact par des artistes que la production d’une
œuvre achevée retient moins que l’invention collective d’un chemin enrichissant
ou renouvelant les pratiques de chacun.*
Certes dans ses Alvéoles Ouest, Florence Jou ne se
libère pas totalement des poncifs qui accompagnent ces productions sensées
réveiller pour se la réapproprier la mémoire d’un territoire. Reprenant ici celle des travailleurs des bureaux d’étude des gigantesques
chantiers de Saint-Nazaire, elle joue à mon avis un peu trop facilement de la nostalgie
d’un monde d’avant le numérique où les tracés effectués sur les plans par des employés devant à l’expérience plutôt qu’à leur diplôme, contrôlant l’ensemble de leurs outils, n’étaient pas encore désolidarisés des corps, « pas encore coincés dans les modélisations » d’un programme élaboré sans eux. Par les machines.
On lui en tiendrait rigueur si l’ensemble du livre se
contentait d’une critique de convention des systèmes oppressifs nous enfermant
aujourd’hui de plus en plus dans le cercle malheureux de nos passions tristes.
Mais, dans un esprit et une certaine invention de
formulation qui m’a parfois rappellé le travail d’Alain Damasio dont j’étais
d’ailleurs en train de relire la postface qu’il vient d’écrire au livre
indispensable de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Florence Jou, contre ce qu’elle nous invite à voir comme une terrible entreprise de broyage
des aspirations légitimes de l’individu, nous entraîne à tout un travail de résistance
et de réaffirmation créatrice, inventive, de nos libertés profondes. Face ainsi
à ce qu’elle nous donne à penser comme une entreprise de « pestonnage
massif » par laquelle l’individu se fait piler, dépiler « comme
du basilic, comme de l’ail, comme des pignons », elle revendique pour
chacun l’art du bartitsu, cette méthode de défense personnelle née en
Angleterre à la fin du XIX, reposant « sur le sens de l’équilibre, l’art de
la ruse et une économie de coups ».
C’est que l’heure n’est plus à la plainte voire à la
résignation. Mais à l’invention de nouveaux espaces et de formes nouvelles de
résistances. Dans la création de nouvelles solidarités. Si possible joyeuses.
Allègres. Mobiles. Et pourquoi pas flottantes.
Dans ce domaine l’art doit bien tenir sa place. C’est
pourquoi dans la dernière partie de son texte Florence Jou rejoue la scène
inaugurale de la création du centre d’art qui l’accueille, réinventant
l’argumentaire de Sophie Legrandjacques qui allait devenir sa toute première
directrice. Insistant sur la nécessité de « casser les stéréotypes de
l’art identitaire » pour proposer à ces Messieurs de la municipalité
une aventure susceptible de créer sur leur territoire de nouvelles relations. De
faire émerger chez ses habitants une autre et plus fertile intelligence et du
monde et d’eux-mêmes.**
Une alvéole est une cavité dans laquelle comme une dent,
comme une plante, quelque chose de l’ordre de la vie, de la création, est
susceptible de prendre un jour racine. Les Alvéoles de Florence Jou sont
à prendre comme la reconnaissance par l’artiste qu’elle est de la puissance
d’un lieu où cette vie s’invente, anglant comme elle dit « vers de
nouveaux communs », plongeant « dans des ouvertures et des
passages », débordant pour finir « d’un réseau inextricable de
nouvelles affinités ».
NOTES
* C’est ainsi que ce livre a été conçu pour servir de
support à une performance réalisée au Grand Café dans un dispositif sonore
imaginé par l’artiste Dominique Leroy. Dans ce dispositif cinq performeurs
amateurs dont la directrice du Grand Café ont pu prendre leur part.
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