La Nuit des rois de Shakespeare est une pièce
farcesque. Une vraie pièce de carnaval. C’est en ce sens d’ailleurs que le
célèbre metteur en scène allemand Thomas Ostermeier l’a monté en 2018 à la
Comédie française. Et c’est un pur régal que de voir en mars 2020 cette pièce continuer
sous sa direction à vivre en intégrant pour les tourner en dérision quantité
d’éléments qui font la tristesse sinon le malheur de notre sombre actualité, du
recours insupportable au 49.3 à la propagation angoissante de la peur du
coronavirus.
Il est loin le temps où l’on se rendait en habits à la
Comédie Française pour y voir jouer des pièces à costume. Aujourd’hui pour
reprendre le slogan d’une marque de fast food on y va comme on est. Et
les acteurs jouent en slip. Quand ils ne le baissent pas pour montrer quelque plus
intime partie de leur anatomie. Et si je ne pousse pas la naïveté au point d’ignorer,
dans ce changement d’esprit, la mise en place de nouvelles postures, j’aime
voir par là le théâtre renouer vraiment avec l’une de ses fonctions principales
qui est de parler au présent pour un public vivant.
Pour faire mieux réagir son public Thomas Ostermeier n’hésite
jamais à bousculer les codes. Ainsi la part qu’il fait tout au long de sa mise
en scène au mauvais goût tant des costumes que de certaines des plaisanteries
qu’il donne à faire à ses très remarquables acteurs, va, comme le veut d’ailleurs
tout l’esprit de la pièce, dans le sens d’une remise en question de tous les
attendus, de toutes les pseudo-définitions par lesquelles sont encadrées
d’ordinaire nos représentations et à travers elles, nos vies. À commencer par les
identités que nous nous supposons. Que nous attribuons aussi à nos partenaires
d’existence. Et jusqu’aux animaux avec lesquels nous partageons notre si
déroutante et confondante habitation.
J’ai eu la chance, la veille de la représentation au Français,
de pouvoir assister au théâtre de la Colline à la mise en scène du texte de
Peter Handke, Les innocents, moi et l’inconnue au bord de la route
départementale, par l’excellent Alain Françon. Force est de constater que
la belle esthétique de Françon, l’incontestable talent de ses acteurs,
l’intelligence aussi qu’on sent bien déployée partout sur la scène, n’empêchent
pas le texte très fort mais quand même un peu bavard de l’auteur, de susciter à
la longue un certain ennui que ne dissipe pas entièrement les fort beaux
tableaux d’hiver et de nuit de la fin. Le côté couillu de la représentation
donnée à la Comédie Française et l’implication que, par des effets d’ailleurs
un peu faciles parfois, les acteurs réussissent à obtenir du spectateur, font à
l’inverse que les presque trois heures de représentation passent là comme
lettre à la poste et qu’on entend bien aux applaudissements de la salle que
chacun serait bien encore resté des heures à prendre plaisir à ce vivant
spectacle qui venait de lui être offert.
Bien sûr les deux pièces ne sont pas de même nature. Ni de
même portée. Et si toutes deux engagent à la réflexion elles le font dans un
esprit totalement différent. Qui témoigne quand une nouvelle fois qu’au
théâtre, l’esprit de sérieux et la pertinence approfondie du verbe et de tous ses
discours l’emportent rarement sur le langage irrévérencieux, tout débridé des
corps et le sens actualisé de la raillerie et de la dérision.
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