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quoi peut bien servir d’organiser à grands frais une exposition qu’on rend par
ailleurs quasiment invisible par les conditions de visite qu’on inflige au
public venu s’en régaler. Ce Cezanne, Rêve d’Italie que propose
actuellement le Musée Marmottan, a tout a priori pour séduire. Outre la
réputation bien entendu du maître d’Aix, tant auprès du grand public que des
vrais connaisseurs, sans compter bien sûr les artistes eux-mêmes, l’idée de
mettre doublement en perspective son œuvre en la comparant à ses sources
italiennes ainsi qu’aux nombreux peintres de la péninsule qui s’en sont ensuite
inspiré, a de quoi attirer. Toutefois comme les rapprochements effectués par les
organisateurs de l’exposition sont loin de sauter toujours immédiatement à la
vue, il faut pour tirer vraiment profit de la visite pouvoir prendre le temps
de tranquillement regarder et comparer les œuvres et de lire pourquoi pas les
nombreux cartels explicatifs qui très pédagogiquement les accompagnent.
Paysage classique de Francisque Millet |
Or une telle chose est impossible. Encombré de visiteurs et
surtout de groupes faisant cercles autour de différents conférenciers, au point
de masquer de leur masse importune la plupart des tableaux qui y sont accrochés, l’espace
relativement étroit des salles qui s’offre au parcours tient plus de la jungle amazonienne
ou du grand magasin le premier jour des soldes que du lieu de contemplation et
de réflexion qu’il devrait avoir pour vocation d’être.
C’est bien dommage assurément. Mais finalement bien
représentatif de l’évolution de nos sociétés qui font consommation de tout et
ont édifié le panurgisme touristico-culturel au rang de vertu cardinale. Alors
que l’art continue à ne pas trop nourrir son homme, la culture, elle, s’en
nourrit sans complexe, lançant les foules avides de distinction vers les
grandes choses souvent méprisées du passé, à grands coups de lancements
publicitaires.
On pourrait recommander aux responsables de Marmottan de réserver, comme cela se fait par endroits, les visites guidées à quelques
plages horaires pour redonner au visiteur solitaire un peu de la jouissance
effective du lieu. Pas certain que cette décision de bon sens prime sur la
politique du chiffre qui ravage la plupart des "managers" du temps. Ne reste
d’espoir alors que dans le coronavirus. Quand on s’apercevra que devant les
tableaux ici rassemblés, de Cezanne, de Tintoret, de Poussin ou de Morandi, ce
sont des foules qui s’entassent à se marcher sur les pieds, engoncés dans leurs
manteaux, leurs pardessus – le musée n’ayant pas de vestiaire ! – chaque
visage à moins de cinquante centimètres de son voisin, peut-être que pour
éviter la fermeture on se résoudra à ne faire entrer qu’un petit contingent de
visiteurs qui enfin pourra profiter de ce qu’il n’hésitera sans doute plus alors
à estimer avoir été une belle exposition.
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