« Jamais notre langue n’a
été aussi malmenée et jamais à ce point mal aimée ». C’est vrai que de
découvrir, par exemple, dans la bouche d’un Président de la République, se
piquant d’avoir été proche d’un philosophe comme Paul Ricoeur, qu’il croit
« dans l’autonomie et la souveraineté » car « la démocratie est
le système le plus bottom up [sic] de la terre », a de quoi faire bouillir
jusqu’aux natures les plus tièdes. Faire se cabrer jusqu’aux plus flegmatiques et
accommodants esprits [1].
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
mardi 19 novembre 2019
mercredi 13 novembre 2019
LAURENT GRISEL. RÉVÉLER LA GRANDEUR DE TOUTE EXISTENCE HUMAINE.
Laurent Grisel est un homme d'attention. Aux êtres comme aux
faits. Il l'a prouvé aussi bien par son ouvrage Climats que nous avons sélectionné dans le cadre du Prix des Découvreurs 2016-17 que dans les
différents volumes de son Journal de la Crise. Il le prouve à travers
son engagement quotidien pour dénoncer les ravages de tous ordres de notre
capitalisme financier. Le dernier ouvrage auquel il a participé, suite à une
louable initiative du Centre Social et Culturel de Puisaye-Forterre, témoigne
de ce que nous perdons à ne plus considérer comme pourtant elle le mérite, la
part pas nécessairement la moins féconde et belle de notre humanité.
vendredi 8 novembre 2019
PRÉVENIR L'AVÈNEMENT DE NOUVELLES BARBARIES.
Difficile de
résister à l'appel d'un livre qui commencerait de la façon suivante :
PROLOGUE
Entendez-moi.
Nous sommes ici. Nous sommes vivants.
Mille et une choses nous attachent les uns aux autres
: paroles, voix, caresses, sang, textes, chansons, lignes, routes, messages
sans fil. Parfois ce lien s'exprime simplement parce que nous voyons le même
soleil monter dans le ciel, parce que nous écoutons la même chanson à la radio,
récitons le même texte en le murmurant, la tête ailleurs, tandis que nous
faisons la vaisselle après le dîner.
C'est ce qui s'appelle faire partie d'une société.
D'une nation, ou du genre humain. Tout dépend de l'endroit où on place la ligne
de partage.
mercredi 6 novembre 2019
INDIFFÉRENCES CANNIBALES !
Si je n'ai toujours
rien dit du livre d'Eric Pessan, Ce qui
sauterait aux trois yeux du Martien fraîchement débarqué, que les
éditions LansKine m'ont adressé il y a quelques mois déjà, ce n'est pas par
indifférence. Ou parce que je trouverais que "ce livre n'est pas de la poésie [et qu'il] manque de spiritualité et de
travail de la langue". Ceux qui comme moi reçoivent beaucoup des
éditeurs et des auteurs qui, comme c'est bien normal, tentent d'assurer à leurs
livres ce minimum de présence sociale qui légitime, dans le contexte déprimant
qu'on sait, les efforts nécessités par leur publication, me comprendront.
Impossible de répondre à tout. Impossible de se montrer à la hauteur de tout.
Impossible. Même en acceptant de faire fi de tout ce qui ne paraît pas
nécessaire. Sans compter bien sûr, le factice ou le dérisoire.
mardi 5 novembre 2019
BEAU LIVRE. OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN. AUX EDITIONS PIERRE MAINARD.
CLIQUER POUR LIRE LE DOCUMENT |
Un bien beau livre
du toujours intéressant Lucien Suel qui bénéficie ici des pittoresques images
issues des oeuvres graphiques diverses de l’artiste canadien William Brown,
récemment disparu et à qui est dédié cet ouvrage.
En vers pour la
plupart justifiés - sa marque de fabrique - Lucien Suel nous accueille à
nouveau dans l’univers richement matériel et intérieurement habité qui est le
sien. Où j’ai plaisir à retrouver ce rude, rêche et vigoureux monde du Nord que
comme lui je hante avec, comme dans ces scènes de marché de nos anciens maîtres
flamands, Aertsen ou Joachim Beuckelaer, abondance de victuailles. Riches et
pauvres. Aux présences puissantes : porcs cuits, boudin noir, andouilles ...
sans oublier le kipper et le pain perdu
de nos communes enfances.
À cela s’ajoutent
les brises et les braises, les vents et les saisons qui ravivent, secouent les
paysages de blé en herbe, de perches dans les houblonnières ; tout un bestiaire
aussi où le chat de Guarbecque - le village de Lucien - fait ménage avec le
castor, l’orignal et le macareux des terres cousines du Canada.
On trouvera aussi
dans les quatre langues française, anglaise, galloise et pour finir dans une
version d’Ivar Ch’Vavar, en picard, une évocation des quatre évangélistes.
On aurait tort de
se priver des plaisirs et des célébrations d’un tel livre !
POUR DÉCOUVRIR CONRAD AIKEN ! UN ARTICLE APPROFONDI DE CÉCILE VIBAREL.
CLIQUER POUR LIRE L'ARTICLE |
Heureux de pouvoir aujourd'hui publier sur ce blog la bien nourrissante étude de Cécile Vibarel sur cet auteur américain que je ne connaissais pas. Et qui mérite notre attention. Il fut proche de William Carlos Williams et joua un rôle déterminant dans la reconnaissance d'Emily Dickinson dont il publia en 1924 les Selected Poems.
lundi 4 novembre 2019
POÉSIE PRISE DE TÊTE. COMPRENDRE POURQUOI IL FAUT ACCEPTER QUE CERTAINES FORMES DE LA POÉSIE CONTEMPORAINE SOIENT PAR NATURE ILLISIBLES !
Prise de vers que les éditions la rumeur libre viennent de publier est un
livre qui intéressera principalement les poètes. Du moins ceux qui, comme je le
pense depuis longtemps moi-même,
considèrent que le poème, reconfigurant par ses rythmes, ses
modulations, ses figures, notre "pays de
langue", remet à sa place centrale le lecteur, l'obligeant à
l'investir en "paysage",
c'est-à-dire en Sujet.
Nulle ambition ici
de rendre compte de la totalité de ce livre sérieux, documenté, fruit nous dit
l'éditeur "d'une dizaine d'années de
pratique du poème et de réflexion sur la poésie depuis Mallarmé".
Le projet de Vinclair est ambitieux mais clair. Il s'agit d'interroger et de
comprendre l'illisibilité de toute une
partie de notre poésie contemporaine qui fait qu'elle s'est coupée de la
quasi-totalité de ses lecteurs potentiels et ne survit plus, globalement, qu'au
sein d'une sorte de secte ou de confrérie, celle des "poètes s'entrelisant". Et encore !
Pour
Pierre Vinclair, cette situation ne présente rien d'étonnant. Elle est
constitutive de la nature même de l'expérience poétique qu'il décrit. Qui n'est
pas celle de toute la poésie ou des poésies qui existent de nos jours et que
nous connaissons. Mais celle de la poésie fondée sur des pratiques de langage
qui la différencient totalement des œuvres qu'il appelle classiques et qu'il dit rassemblées, ordonnées, construites, autour d'un sens qui leur serait extérieur et préalable. Emportant sans s'en laisser conter toutes les résistances que lui opposent les forces et formes propres des codes
esthétiques, grammaticaux et sémantiques dans lesquels il lui faut se couler.
La poésie dont nous parle Vinclair est en effet celle qui travaille la matière
de la langue non pas à partir d'une pensée première dont elle opérerait pour se communiquer, la traduction, mais d'une pensée non encore
vraiment pensée. À venir. Et dont le propre serait de n'être jamais
close. Se montrant in
fine toujours merveilleusement ou
redoutablement, ouverte.
Si, je le confesse,
j'éprouve toujours un peu de mal avec l'idée de souffrance, de corps souffrant
de la langue que Pierre Vinclair privilégie dans ses analyses,
préférant, de façon moins christique, ne parler à propos de la dite langue que
de son irréductible et féconde résistance, je partage largement l'idée que
l'auteur de Sans adresse, se fait de la
relation que le poème contemporain dont il parle, entretient avec son lecteur.
"Publier un poème, écrit-il, […] ce n'est
plus écrire à quelqu'un de particulier. […] Les destinataires du poème (publié)
ne sont pas (ou ne sont plus) ses lecteurs empiriques. Bien plutôt, ils doivent
se rendre dignes de ce corps qui ne leur était pas destiné : c'est-à-dire
qu'ils doivent faire l'effort (non pas d'interpréter mais) de se hisser
jusqu'au "vrai lieu" (pour reprendre un terme cher à Yves Bonnefoy)
où se donne le corps de la langue. Bref, tenter de recevoir le poème, c'est
d'abord le chercher, et tâcher de se hisser jusqu'à lui. De l'étreindre dans un
corps à corps (plutôt que dans une lecture). Recevoir le poème revient donc à
[…] faire l'épreuve de sa propre puissance, en s'élevant peu à peu, à la
dignité du corps de la langue."
C'est en cela, nous
dit Vinclair, que le poème - du moins le poème qui n'aura pas renoncé à son
intransitivité qu'elle soit radicale ou partielle, c'est-à-dire à son refus
premier de s'abolir dans un discours
préalable - fabrique plus qu'aucune autre forme de parole, ce qu'il appelle un
"cercle des égaux". Tout
lecteur devant se montrer à son tour poète pour faire l'expérience de sa propre
puissance herméneutique. Qui consiste non pas à force d'intelligence et
d'observations précises à reconstituer le sens caché, premier du texte. Qui n'a
jamais existé. Mais à tenter de traduire, pour lui, l'énergie, la forme
particulière de vitalité que la nature particulière de de ses opérations de
langage est venue exposer devant lui. En paysage. Qu'il lui appartient à son tour d'écrire.
Rien d'étonnant dès lors à ce que le plus grand nombre préfère, comme le dirait Bonnefoy, « la séduction des structures closes » dans laquelle notre société et la plus grande part de notre éducation malheureusement nous enferment, à cette prise de tête ;
l'auteur qui aime les jeux de mots, renvoyant dans son titre à cette
expression, en référence bien sûr à la
fameuse Crise de vers de Mallarmé qui
par ailleurs lui fournit de solides bases théoriques.
On ajoutera qu'en
conclusion Pierre Vinclair reconnaît et c'est une évidence que le champ
poétique actuel se positionne de plus en plus aujourd'hui sur des conceptions
bien différentes. Revendiquant de nouvelles formes de lisibilité donnant toutes
leur chance aux discours théoriquement libérateurs. Qu'ils soient identitaires,
centrés sur la question des minorités, ou écologiques. Toute une jeune poésie
française, on le voit, largement inspirée par la lecture des américains, s'est
engouffrée dans cette voie qui bien sûr reçoit un accueil bien plus favorable
des publics comme des institutions culturelles préoccupées trop souvent de
suivre la plupart des postures, ou des impostures, à la mode.
J'hésite, pensant à
tous ceux qui aujourd'hui proclament à longueur de livres et d'articles que la
poésie est la clé de notre survie, à
reproduire pour finir les dernières paroles de ce livre stimulant : "On ne sauve pas le monde avec un livre de poèmes, et
les ambitions du poète trop hautes, se fracasseront au contact de la dure
réalité.
Mais dans ce fracas lui-même, réside la beauté."
dimanche 3 novembre 2019
PARTAGE. JEAN BRUSSELMANS PEINTRE BELGE, 1884 - 1953.
On connaît
mal en France l'œuvre du peintre belge Brusselmans, né au sein d'une famille du
quartier populaire des Marolles à Bruxelles ! Et mort à Dilbeek, petite commune
du Brabant situé à quelques dizaines de kilomètres de la capitale.
D'une grande pauvreté lui-même, toute sa
vie, il partagea l'existence difficile des pauvres. Sans faire de concessions à
l'air du temps. Ni au goût désastreux du public. Tout au plus accepta-t-il de
peindre pour trouver de quoi vivre, quelques panneaux publicitaires.
vendredi 18 octobre 2019
RECOMMANDATION. HABITER. UN LIVRE DE SEREINE BERLOTTIER ET JÉRÉMY LIRON AUX ÉDITIONS LES INAPERÇUS.
Comme on aimerait pouvoir rassembler en une seule et belle
phrase, voire en un seul et beau livre profond, brillant, définitif, cette indécidable
part d’intime réalité autour de laquelle de textes en textes, de tableaux en
tableaux, de tentatives en tentatives, nous tournons en fragments, en images.
Dans la sourde mélancolie de ne jamais pouvoir pleinement l’habiter.
Habiter. Oui c’est cela : habiter. Mais que faut-il
encore entendre par ce mot ? Tant nos formes et
mardi 8 octobre 2019
RECOMMANDATION. LA POÉSIE INTIME ET POLITIQUE DE CHRISTINE CHIA. SINGAPOUR.
Nous n’avons pas besoin de vérité, mais de parole. C’est,
à mes yeux, la suprême raison de l’existence de la poésie. Répondre, à travers
le système commun d’une langue que nous partageons avec l’ensemble de nos
semblables, aux diverses pressions que nous éprouvons de la vie, est en soi,
comme un moyen d’échapper à l’angoisse de notre condition séparée. Tout en
affirmant, par le travail d’art plus ou moins important que cela suppose, sa
propre singularité.
Du commun et du singulier, la jeune poète singapourienne
de langue anglaise, Christine Chia, dont Le
corridor bleu propose aujourd’hui, réunis dans le même volume, la
traduction par l’excellent Pierre Vinclair, des deux premiers recueils, La Loi des remariages et Séparation : une histoire, s’en
réclame quant à elle de bien intéressante manière. En faisant, dans ce livre, se
correspondre, en miroir, sa douloureuse histoire familiale et celle de la
République de Singapour en la personne principalement de son ancien leader, Lee
Kuan Yew, l’homme qui aura présidé à son rattachement à la Malaisie en 1963,
avant d’être contraint, en 1965, de s’en séparer.
mardi 1 octobre 2019
FRUSTRATION DU POÈTE MODERNE. CE QUE GAGNERAIENT CERTAINS TALENTS À FUIR LES PASSIONS TRISTES.
« J’hésite toujours à applaudir les artistes
et les poètes car ce n’est pas les aider que de les conforter dans leurs
mauvais penchants hystériques et narcissiques »
Julien BOUTREUX
Le
métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme chacun et
peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète, qu’il soit
non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais invité, ou
si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot – ne
s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for
intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se
révèle au regard objectif d’un intérêt modeste, il est de ceux qui éprouvent
au-dedans d’eux cette fameuse « puissance
d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être
pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément
vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.
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