mardi 9 mars 2021

TENIR AU MONDE. SUR UN BON LIVRE DE SÉBASTIEN MÉNARD PARU CHEZ PUBLIE.NET.

 

Beau titre que ce Quelque chose que je rends à la terre, que viennent de m’adresser les éditions Publie.net. Et l’idée d’imaginer le poème comme une sorte de contre-don, une chose par laquelle on s’acquitterait d’une dette qu’on aurait contractée avec le monde, avec la vie, avec la terre qui nous porte et nous nourrit, l’humus lui-même à qui nous devons notre nom d’homme, est toujours des plus séduisantes. Il y a maintenant bien longtemps, mon maître, Henri Meschonnic, professait, sans trop être entendu par les habiles de l’époque, que le poème était comme la transformation d’une forme de vie par une forme de langage et la transformation d’une forme de langage par une forme de vie. C’est à cette subtile compénétration des mots et de la vie que s’attache Sébastien Ménard chez qui la poésie finit par apparaître comme une présence inséparable du quotidien, non plus cette entité fuyante, cette surréalité chimérique que certains parent des voiles pompeux du sacré, mais comme principe actif de la vie la plus simple, jusqu’à se faire agent mécanicien réglant un dérailleur de bicyclette, attentif jardinier employé à planter des bâtons pour y faire grimper des pois.

Certes, je n’ai pas lu les autres recueils de Sébastien Ménard, qui montrent, je crois, une personnalité portée vers la rencontre, séduite par les marges et les empathiques couleurs des routes, du risque et du voyage, mais je ne crois pas que ce livre qui se déploie dans le cadre plus resserré d’une existence tournant autour d’une terre, d’un jardin, d’une petite famille aussi dont on devine qu’elle peine parfois à joindre les deux bouts, soit d’un caractère si différent. Le principe étant de s’y montrer ouvert au monde, à l’importance de chaque instant vécu qui nous traverse, en l’amenant le plus possible à l’expression.

 

Nommer les choses est le travail poétique premier pour lequel aucune réalité ne se montre indigne. Ici le poète est débout et porte aussi bien les mots que du fumier de ferme. Dans son poème en forme de note terminale il affirmera d’ailleurs écrire « avec le nom des vents, nom des lieux. Nom des outils. Noms des gestes. Façons de le faire […] Avec le nom des chemins, nom des clairières, nom des ravines, nom des sentes, nom des sites de rendez-vous… » Écrire ainsi avec le Tout. Comme avec aussi ces « grands alliés substantiels » dont il dresse une longue liste qui en bien des points recoupe nos personnelles admirations. Bien sûr il ne suffit pas de déclarer sa dette envers tel ou tel grand nom de la poésie, des arts ou de la pensée pour se hisser à son niveau et toute une part des poèmes de Sébastien Ménard peut donner l’impression d’en rester un peu à l’intention. Poésie en partie programmatique donc. Comme l’est souvent toute poésie se réfléchissant elle-même. Toutefois comme l’affirmait encore Henri Meschonnic, l’important n’est pas la fixation du sens, mais son mouvement. Sa tension vers. Ce qui toujours nous échappe. Ce qui encore et encore nous conduit à découvrir. Et cette tension est bien présente chez Sébastien Ménard dont le livre est à lire. Du moins si l’on attend d’un livre qu’il se révèle agissant. Et nous entraîne avec lui à habiter plus poétiquement, plus tendrement aussi peut-être, avec courage, le monde qu’avec notre charge de langue et notre besoin d’expression, nous refusons de tenir loin de nous. Séparé.


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