mardi 6 février 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. UN POÈME DU POÈTE POLONAIS TOMASZ BĄK EXTRAIT DE CANADA.


 Oran-yeah !

Cette fois-ci encore il ne s’agit pas de drogues.
Le foot se hase sur des émotions. des supporters,
de l’argent, un shampoing anti-pelliculaire.

Dans la bouche d’un commentateur britannique le mot Dutch
sonne comme bitch quand Arjen Robben dribble
chaque descendant illettré de Shakespeare

et marque un but. précis comme la division du travail
dans le commerce autour du stade : les Jaunes produisent, les Noirs vendent,
les Blancs en tirent profit. Et chacun est satisfait, le monde tourne ainsi,

car les fans ignorent que la vie ressemble parfois
à une situatlon conflictuelle sur le terrain. Qu’on répète en boucle
la vérité objective, elle est accessible à tous

sauf aux intéressés. De plus il y a but
et si les Néerlandais avaient des ressources naturelles,
après une telle action leur production flamberait d’une dizaine de points.

Le sifflet final ouvre les dionysies. Ça remue :
les perdants rentrent en économique, l’orange se déverse dans les rues
du Cap et Jimi Hendrix adapte prestement Guillaume de Nassau.

Avant de rendre l’antenne je crois que si Dieu existait
et voulait me faire du bien, pour la grande finale
on serait tous assis dans le même virage.

Canada,  p. 53,
traduit du polonais par Michal Grabowski en collaboration avec Clément Llobet
éditions LansKine, 2023 ( 2010 pour l’édition originale)

lundi 5 février 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. UN POÈME D'EMMANUEL MOSES EXTRAIT DE SES POEMES FANTÔMES.


 

La langue qui t'accompagne depuis toujours

Le toujours d'une vie, de chaque vie -

A grandi en toi comme une forêt

Et elle te permet de dire la joie et la tristesse

La lune pâle et le fleuve presque noir de ta ville

Quand tu le longes, la nuit, plein d'amour

Elle te permet d'appeler tes morts

Comme Adam appela, quand il les eut nommés, les animaux

Et de les faire venir à toi, dociles,

Du pays dont on dit, pourtant,

Qu'on ne revient pas

Elle te permet de rebâtir ton passé

De même qu'on reconstruit une ville après une guerre ou un séisme

Souvenir par souvenir

Même si parfois certains s'écroulent à nouveau et qu'il faut recommencer

La langue qui t'accompagne éclaire tes pensées et tes sentiments

Car elle est aussi cela :

Un soleil qui illumine les nuages d'où il émerge

Qui illumine la terre sous lui avec ses plaines et ses collines

La langue venue du rire et du lait maternels

De la chaleur des jours anciens.

Poèmes fantômes, p. 69

éditions LansKine, 2023

poème attribué fictivement par l'auteur à Damir Morpurgo (1905-

1961) poète slovène de langue allemande.


vendredi 2 février 2024

POUR UN VÉRITABLE ÉCLECTISME : À PROPOS DES POÈMES FANTÔMES D’EMMANUEL MOSES ET DE CANADA DU POÈTE POLONAIS TOMASZ BĄK TOUS LES DEUX CHEZ LANSKINE.

Andrea Solari (1505) et Michelangelo Merisi (1598)

Poèmes fantômes,  tel est le titre donc du tout dernier livre d’Emmanuel Moses que publient cette fois les éditions LansKine dont on dirait bien que comme lui elles font flèche de tout bois. Fantômes les poèmes d’Emmanuel le sont d’abord en ce sens qu’ils se trouvent fictivement attribués à une réunion d’auteurs de diverses époques et nationalités allant d’un lettré chinois du VIIIème siècle à un « ivrogne à temps complet » tchèque né en 1984, en passant par un poète juif d’Espagne du XIème ou un slovène de langue allemande de la première grosse moitié du XXème. Toutefois ceux qui connaissent bien l’œuvre d’Emmanuel Moses retrouveront j’imagine sans difficulté derrière ces masques qui ne tromperont personne, la sensibilité d’un auteur qui aura fait de « la connaissance émotive de la vie », pour reprendre l’expression de Pessoa, son objectif premier.

vendredi 26 janvier 2024

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR LES LABOURABLES DE LOU RAOUL CHEZ BRUNO GUATTARI EDITEUR.


Dans ce livre tout en attention et en sensibilité, ce qui n'exclut pas l'engagement et la colère, Lou Raoul explore ce que fut pour elle la période de confinement mise en place pendant la pandémie de Covid 19 en recourant à ce qu’elle appelle « un journal de terre »(devez arad en breton), ce qui correspond en agriculture à la surface que l’on peut labourer en une journée. Ces journées qu’elle note finalement en les rayant symboliquement, comme on le voit avec notre extrait, du calendrier. Merci à elle de m'avoir offert ce beau texte à lire.

jeudi 25 janvier 2024

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR SCUM, UN RÊVE, DE DENISE LE DANTEC AUX PRESSES DU RÉEL.


 

Merci à Denise Le Dantec pour l’envoi de ce rêve qui autour des figures bien différentes, a priori, de Virginia Woolf et surtout ici de Valérie Solanas à qui ce titre SCUM est emprunté*, se présente au lecteur sous la forme d’une série de glissades, de noyades, à l’intérieur d’un paysage sans cesse en mouvement, un mini opéra typographique aussi, où s’affirme principalement l’extrême liberté d'écriture d'une femme cherchant en compagnie de deux soeurs dont le destin fut tragique à épouser les courants les plus profonds et insaisissables de la vie. Qui finalement nous submergent. Nous emportent. Ne laissant rien de nous peut-être que cette mousse, écume, (scum) qu’auront été nos œuvres. Comme d’habitude le poème de Denise Le Dantec, même évoquant la figure radicale de V. Solanas, se déploie sans discours mais non pas sans formules qui remuent, nous traversent, puis troublent. Comme seule peut le faire la poésie quand elle fait confiance à l’intelligence sensible du lecteur.

* Le SCUM manifesto (« Society for Cutting Up Men »), publié en 1969 suite à la tentative d’assassinat par V. Solanas d’Andy Warhol, ne propose ni plus ni moins que l’éradication totale et définitive des hommes d’une société qui ne concède aux femmes que ses marges (« scum » également par métaphore, en argot américain)

dimanche 21 janvier 2024

POUR PIERRE VINCLAIR. LA POÉSIE FRANÇAISE DE SINGAPOUR VUE PAR CLAIRE TCHING.

On connaissait la jeune chercheuse singapourienne Claire Tching pour les notes précieuses dont elle a récemment enrichi l’ouvrage de Pierre Vinclair, Bumboat, publié au Castor Astral.  La voici qui donne aujourd’hui aux éditions Aethalidès, une courte présentation de la Poésie française de Singapour et l’on peut supposer sans grand risque que c’est à la fréquentation de ce brillant poète qu’elle doit de s’être intéressée à ce sujet qui pourra sembler singulièrement étroit si l’on songe à la nature de la population de ce bien jeune et minuscule état d’à peine plus de 700 kms2  dont plus de 70% des quelques 5 millions d’habitants qui y vivent sont d’origine chinoise et communiquent pour l’essentiel à travers un anglais simplifié, métissé de chinois et de malais, appelé le singlish.

Alors pas d’illusion : nul chef-d’œuvre inconnu n’attend le lecteur dans les onze courts chapitres que la patience et parfois l’opiniâtreté de notre chercheuse auront fini par proposer à notre curiosité. Car c’est bien de curiosités dont il est finalement question avec cette publication qui si elle est loin de venir enrichir le beau corpus d’œuvres de notre poésie de langue française, présente quand même aussi le mérite, car Claire Tching en esprit aiguisé sait accompagner les textes qu’elle mentionne de commentaires lumineux, de nous faire réfléchir à bien des questions qui demeurent pour nous essentielles.

mercredi 17 janvier 2024

RÉCÉPISSÉ DÉCOUVREURS POUR LE MASQUE D’ANUBIS DE FRANÇOIS RANNOU.

 

 On sait la relation qu’Anubis, le dieu chacal des égyptiens, entretient avec la mort et les techniques d’embaumement. François Rannou qui livre ici une suite concertée de poèmes nous faisant passer d’une salle d’hôpital à des paysages bretons à travers lesquels s’exprime son attachement à diverses figures en-allées, fait de l’écriture une façon de franchir, avec ses souvenirs et l’espérance baudelairienne, pourquoi pas, d’une révélation, les Hautes Portes du Temps. Tenant moins de l’épanchement que du discret viatique, ce bel ouvrage bien accompagné par notre amie Michèle Riesenmey, nous paraît à la fois proche et émouvant.

mardi 16 janvier 2024

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LA POÉSIE EST SUR LA TABLE DE DENISE LE DANTEC AUX ÉDITIONS UNICITÉ.


 

Cliquer pour lire l'ensemble du poème en PDF

Plus de cinquante années après son premier livre, Métropole, paru en 1970 aux éditions P.J. Oswald, Denise Le Dantec continue comme elle l’écrit « à amasser de la lumière dans [son] sac ». Celle d’une poésie qui n’a que faire des simplismes, des intellectualismes, des formalismes, des platitudes, des renoncements ou des vulgarités contemporaines, mais qui, parfaitement au fait de tous les questionnements et de toutes les libertés qui auront marqué l’histoire poétique des cent dernières années, continue de porter au plus haut un désir de parole totalement ouvert sur le monde dans toute sa beauté comme dans sa non moins fondamentale monstruosité.