J’avais, il y a quelques années, à l’occasion de la publication au Castor Astral de l’important ouvrage de la poète irlandaise Eavan Boland, Une femme sans pays, pu découvrir et faire un peu connaître autour de moi, le beau travail de traduction de Martine De Clercq, Maître de conférences à Université Jules Verne d’Amiens. Aujourd’hui c’est encore un plaisir pour moi, de saluer l’extraordinaire entreprise qu’en compagnie de Jacques Darras, cette passionnée de poésie anglaise vient de mener à bien pour le compte de la mythique petite collection Poésie de chez Gallimard.
Entreprendre de nous faire connaître l’état de la poésie britannique – limitée toutefois à ses composantes anglaise, écossaise et galloise – au tournant du XXIème siècle, en une somme de plus de 500 pages regroupant les textes écrits pour la plupart il y a moins d’une vingtaine d’années, par une cinquantaine d’auteurs nés grosso modo entre 1920 et 1970, est un considérable défi. On imagine mal la ténacité qu’il faut pour qu’un tel projet aboutisse. Et l’on ne doit pas s’étonner que découvrir ces auteurs, choisir leurs textes, en obtenir les droits de publication, les traduire bien sûr, aura pris plus de 10 ans à Martine De Clercq qui heureusement aura pu compter sur l’efficace soutien de son compagnon dont on connaît aussi l’immense curiosité et l’infatigable ardeur.
Bravo et merci donc à eux.
Pour me hisser un peu maintenant à la hauteur de l’ouvrage, il me faudrait reprendre ici mot à mot la dense et bien éclairante préface par laquelle Jacques Darras rend littérairement et historiquement accessible pour le lecteur français l’ouvrage qu’il a aidé à voir ainsi le jour. On comprendra que je ne le fasse pas ni ne m’ingénie à en paraphraser ou à en résumer les principales données. J’invite les esprits curieux, les intelligences ouvertes à s’y reporter sans attendre. Pour ma part je précise qu’on ne lit pas bien sûr une anthologie comme on lit un roman. La lecture ici relève un peu de l’aventure, du glanage, de l’herborisation, du picorage mais aussi de la frustration. Partant à la rencontre, on ouvre le livre au hasard et tombant sur un texte qui vraiment nous parle, nous retient, on éprouve le désir d’en lire davantage, ce qui bien sûr est impossible. Pour qui surtout ne lit l’anglais que de piètre façon. N’empêche que le plaisir est bien là de ressentir, rien qu’à feuilleter l’ouvrage, la puissante vitalité qui anime et si diversement, la poésie de nos voisins anglais. Bien sûr encore, on ne sait pas ce qu’auront décidé de ne pas retenir Martine De Clercq et Jacques Darras parmi la quantité j’imagine de textes qu’ils auront pu découvrir. On ne sait pas non plus ce qui aura comme c’est bien normal encore échappé à leur émérite attention. Une cinquantaine de poètes, certes c’est important, mais n’est sûrement encore qu’une modeste partie de ce qui dans un pays comme l’Angleterre, se considère comme tel. Méfions-nous donc des généralisations. Mais je remarquerai quand même qu’il semble bien que la poésie de l’autre côté de la Manche soit moins éthérée, arachnéenne, moins conceptuelle, prétentieuse ou distante, vaine peut-être aussi, qu’elle ne l’est encore parfois, je dis bien parfois, chez nous. Travaillant moins le langage, la langue, la posture, que nous n’avons tendance à le faire. Avec plus de confiance en fait dans les vertus partagées de la communication. De la compréhension intuitive, cordiale et sensible à la fois.
Le lecteur de cette anthologie de poésie britannique contemporaine trouvera donc moins de metapoésie, de fureur programmatique et de complexité formelle qu’il n’en trouve en général dans les vers des poètes français. Confronté qu’il sera à plus de matérialité. Une immersion plus directe, me semble-t-il, dans toutes sortes de situations, de paysages aussi bien urbains que ruraux, naturels que sociaux. Sans qu’on puisse parler pourtant de poésie simplement descriptive. La volonté étant presque toujours bien là d’une sorte de protestation contre l’ordre encagé, cadenassé des choses. Mais bon, cette sorte d’aventureuse taxinomie n’a finalement qu’assez peu de sens. À chacun bien sûr de s’emparer de l’extraordinaire ensemble de textes qui se voient ici rassemblés pour en faire son propre miel. L’île rebelle, s’intitule fièrement cet épatant ouvrage. J’aime cette idée, moi qui par temps clair peut voir presque de ma maison les falaises de Douvres, de vivre à la frontière d’une terre entourée d’eau, qui continue à faire de la poésie le lieu non d’un conflit, d’une ardeur belliqueuse, contre le vaste monde, mais d’une naturelle et féconde indocilité. D’une indiscipline vitale. Qui soumise comme elle le reconnaît à tout ce qui écrase n’a de cesse toujours, que de se redresser.
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Pour permettre à chacun de se faire une toute petite idée de la variété et de l’intérêt des textes rassemblés par Martine De Clercq et Jacques Darras dans cette anthologie, je propose ici de découvrir 3 de ces textes qui m’auront, pour différentes raisons, plus particulièrement parlé. Il y est question aussi bien de la détérioration de nos campagnes, que des débordements de la fièvre footballistique, ainsi que d’attachement à des personnes aimées que la maladie de leur esprit conduit à certaines divagations. Il y est question aussi d’un cimetière qui rappellera peut-être la célèbre Elegy Written in a Country Churchyard de T. Gray que beaucoup peut-être auront découverte au cours de leurs études. Les textes présentés dans l’Anthologie sont en général assez longs. Ils sembleront peut-être un peu bavards à nous français qui restons toujours au fond de nous les héritiers de la formule poétique dense héritée de Mallarmé. Ils ne manqueront pas toutefois de ravir par là-même ceux qui à l’instar de Stéphane Bouquet pensent, comme il le développe bien dans La cité de paroles, que la poésie n’est pas chose sacrée ou ésotérique, mais l’un des modes supérieurs du partage et de la conversation.
J’ajouterai pour terminer que cette anthologie bilingue constitue un extraordinaire instrument de travail pour les professeurs d’anglais qui voudraient se servir de la poésie contemporaine pour renouveler leurs matériaux et faire découvrir à leurs élèves diverses facettes de ce monde si particulier dont ils enseignent la langue et la civilisation.
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