OTTO DIX Jeune ouvrier |
Père. Le roman du que vient de m’adresser Jacques Morin relève de cette écriture de l’intime pour laquelle la poésie semble avant tout être faîte. Le vers d’ailleurs y prend très vite la succession de la prose pour évoquer ce qui me paraît être quelque chose de la tristesse profonde, comme orpheline, d’une existence qui se tourne pour commencer vers le souvenir des relations, toutes faîtes d’étrangeté, de distance et pour finir inconsistantes, que son auteur aura entretenu avec son propre père, avant d’avouer dans la dernière partie du livre mais dans toute la gêne d’une sensibilité retenue et pudique à l’excès, n’osant se dire qu’à travers le papier et la solitude de l’acte d’écrire, l’attachement compliqué que ce même auteur éprouve pour la compagne de ses jours.
Profondément marqué, en outre, par le sentiment de son vieillissement et les sombres perspectives qui accompagnent l’entrée dans le grand âge, Jacques Morin livre avec ce recueil une sorte, comme il l’écrit, de « célébration de l’ultime », une poésie qui se voulant lucide quant à ce que lui réservent ces jours pour lui implacables qui s’étrécissent, a quelque chose d’un peu glaçant, de déprimant, où se ressent sans doute le manque initial d’un partage plus généreux, plus intrépide, débonnaire peut-être, avec celui qui aurait dû lui laisser un peu plus d’amour et de confiance en héritage. Tant les impressions imprimées en nous par nos jeunes années affectent tout ce qu’ensuite nous nous efforçons même autrement de vivre.
Extrait :
les mots tendres
sont un peu friables
un peu ridicules
ils roulent dans la bouche
comme du gravier
Démosthène à l’envers
on les bégaie avant de ne les prononcer plus
stylo dans la bouche
et de ravaler les cailloux
*
je me suis toujours refusé jusque là
au monologue amoureux
mon écriture voulait frapper, attraper,
agripper, saisir, mordre
plutôt que caresser
l’âge me rendrait-il plus faible
ou bien serait-il juste temps
*
L’intime dans la poésie
rentre dans l’ordre du mièvre
et de l’indiscret
on veut s’adresser au monde entier
ce qui semble exagéré
quelle oreille ici
écoutera en vrai
si ce n’est la tienne
(Père. Roman du, Jacques Morin, éditions Henry, pages 65/66)
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