Christiane Veschambre au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer |
L’école peut-elle se limiter aujourd’hui à des savoirs arrêtés ? À
la transmission de modèles ? De listes. De connaissances ou de dogmes à
réciter. Non. Et de moins en moins non ! À l’heure où la menace de l’enfermement
des esprits dans des systèmes de croyances visant à nier le droit de chacun à
sa propre différence alerte à juste titre sur ce que nous voulons sauver de nos
démocraties, il est bon de rappeler que la pensée véritable, celle qui fait
avancer, est toujours sans abri.
Avec les lycéens de Berthelot Calais |
Penser sans abri
comme l’écrivait Adorno à propos de l’introducteur, dans le champ de
l’esthétique contemporaine, du célèbre concept d’aura, le philosophe et essayiste,
Walter Benjamin, n’est pas pratique courante dans notre monde de pauvres têtes
molles où le mensonge, comme les mille et une stratégies de la mauvaise
foi et du détournement de vérité s’imposent comme les armes par excellence des
puissants qui veulent nous gouverner.
C’est pourquoi des rencontres comme celles que nous venons d’animer
avec Christiane Veschambre pour quelques 150 jeunes gens des lycées Branly et
Berthelot de Boulogne et Calais, revêtent à nos yeux une telle importance.
Soucieuse avant tout de montrer que, pour reprendre les propos de
Bataille, « soi-même, ce n'est pas le sujet s'isolant du monde, mais un
lieu de communication, de fusion du sujet et de l'objet », Christiane
Veschambre en réponse à leurs diverses questions leur a montré comment le livre
qu’ils ont découvert d’elle, n’avait pu s’écrire, s’inventer, se construire que
par une ouverture constante aux diverses propositions du réel, sans partir
d’aucune pensée préconçue, en acceptant aussi de se laisser traverser par de l’inattendu.
Cliquer pour lire des extraits |
Versailles-Chantiers a-t-elle
clairement expliqué, est un ouvrage qui partant d’une décision simple :
écrire à partir d’une gare qui fut le lieu de la première rencontre de ses
parents, une veille de Noël 1938, est le fruit d’une expérience intérieure dont
il faut bien comprendre qu’elle se constitue au fur et à mesure de l’avancée de
ce chantier qu’est aussi l’écriture d’un livre. Comme elle l’écrit dans un
autre de ses ouvrages, Basse langue, dans Versailles-Chantiers
l’auteur aura assemblé, monté « bloc contre bloc [des] morceaux de territoires mis au jour par
les forces du surgissement ». Car il s’agit, pris dans l’activité
particulière d’écrire, de ne pas se laisser aller à la tentation du lisse. Du
recouvrement par les mots attendus, par la pensée commune, les fluidités de
style et de composition, de cet indicible en nous mais aussi dans le monde qui
réclame d’être repris, porté au jour par la parole. Non pour s’y trouver à tout
jamais fixé. Épinglé. Momifié. Mais s’y faire à rebours vitalement signe. Signe
de l’inépuisable, émouvante et toujours étrangère familiarité du vivant auquel
nous nous sentons intimement liés.
Cela, un jeune d'aujourd’hui peut avoir peine à le comprendre. Mais
Christiane Veschambre n’est pas de ces gens qui, bardés d’assurance et de
maîtrise, entreprennent de susciter mécaniquement l’adhésion des publics qu’ils
rencontrent. C’est par la recherche constante, attentive et jamais répétitive
d’une parole accordée au moment, qu’elle tente de faire partager l’expérience
que lui communique son activité d’écrivain. Les jeunes, du coup, le sentent
bien. Qui retiendront je crois cette forte impression que fait toujours un vrai
poète, quand il ne récite pas un discours bien rôdé mais continue de chercher
l’accord toujours à inventer entre ses paroles et la Vie. Entre sa vie et la Parole.
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