Dès lors qu’une parole est émue, elle se communique. Non
dans la transparence d’une pensée, dans la clarté d’un sens, mais dans
l’évidence d’une émotion. Palpitation, frémissements, cassures, brisures, reprises,
relances, montées et retombées, ceux qui liront vraiment le dernier livre d’Eric
Sautou comprendront que ses poèmes s’ils font bien entendu signe, le font bien au-delà ou en deçà, de
toute signification intellectuelle. Figures qu’ils sont, dans le sensible, d’un
intime traversé.
Parus ces derniers jours chez Flammarion, les poèmes que rassemble
Beaupré restent très proches de ceux que ses lecteurs auront trouvés en
2017 dans la Véranda. Où se disait, se vivait aussi, le deuil de
Marcelle, sa mère, perdue en 2014. Mais le livre ici de par la perspective que
lui donnent ces trois nouvelles longues années, les jours et les jours,
donc qui depuis se sont accumulés, acquiert une charge émotionnelle plus forte.
Une tonalité peut-être aussi plus sombre. Dépeuplée. Car si l’image de la
véranda se voulait, somme toute, lumineuse, celle de l’étang de Beaupré, dans
laquelle finalement se noie le souvenir de la disparue, ne reflétant plus rien
pour l’auteur des nuages qui le survolent, témoignent que peut-être là, en
vérité je ne sais, quelque chose s’est refermé. Qu’un impossible a pris fin.
Que le travail orphique du poète qui, comme dans la Véranda, noue sa
parole vivante à celle toujours vivante par lui, de sa mère morte, que ces
mots/fleurs qu’ils échangent jusqu’à les voir tomber et retomber, incessamment
sur le corps de page du poème, se voient opposer désormais la dure réalité de
la tombe. Cette porte par où les vivants quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils
tentent, n’entrent pas.
Alors il n’y a pas d’analyse à faire des poèmes d’Eric
Sautou. Juste à entendre jusqu’à son épuisement leur parole affectée. Qui
revient inlassablement à tenter de construire et reconstruire l’utopique maison
familière de langage qui l’espace d’un instant ou pour toujours enfin les
réunirait. Et la mère. Et l’enfant. Et cet homme vieilli qu’il est en train de
devenir. D’où ces reprises obsédantes comme dans certains airs déchirants de
musique, des mêmes motifs, thèmes qui jamais n’entrent dans la description,
restent toujours dans la totale ouverture des réalités génériques – fleurs,
feuilles, arbres, nuages, vagues, jours, nuits, les plus à même bien entendu de
faire espace pour le cœur. Et infuser en nous, l’insistant vibrato de leur note
commune. Et désolée.
Lire une sélection de poèmes de Beaupré.