vendredi 4 novembre 2016

DE NOTRE POUVOIR DE LAISSER S’ASSÉCHER OU DE FÉCONDER NOS VIES. SUR LE DERNIER LIVRE DE MARIELLE MACÉ, STYLES.


CLIQUER DANS L’IMAGE POUR LIRE NOTRE EXTRAIT DE STYLES








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De quoi, de qui, sommes-nous les serviteurs ? D’un ordre social qui nous gouverne ? Des habitudes que nous avons contractées ? Des pulsions profondes qui inconscientes nous travaillent ? Des mystérieuses chimies de nos cerveaux ? Des langues pourquoi pas encore qui façonnent nos représentations du monde? Les raisons ne manquent pas à ceux qui ne veulent voir en l’homme que la triste, rumineuse et malhabile marionnette de jeux de forces multiples qui l’animent. En même temps l’empêchent. Pour ne lui concéder qu'une illusoire liberté.

Mais, si loin d’être les administrés de vies qui jamais totalement, c’est vrai, ne nous appartiennent, nous étions capables, chacun à notre façon, d’investir les mille et une sollicitations du vivre ; et empruntant parmi les multiples formes qui nous traversent celles qui trouveront matières à s’incarner, se prolonger ou se laisser redéfinir, c’est selon, nous disposions du pouvoir d’affirmer, d’inventer, envers et contre tout, cette singularité d’être que nous refuse un peu vite l’esprit réducteur et conformiste du temps.

Je ne sais si le tout dernier livre de Marielle Macé tranche dans la production universitaire du moment. Je suis loin d’être au fait de tout ce qui se publie aujourd’hui dans ces territoires qui m’ont toujours un peu effrayé, sinon rebuté, par leur caractère de parole souvent étrangement inhabitée. Mais je vois bien que son livre qui s’autorise régulièrement la confidence, est d’un auteur « affecté » par son sujet. D’un auteur qui du coup me concerne. Répondant à certaines questions que, vivant, je me pose. Mettant ainsi ses clartés, ses lumières, sur des choses que je sens.

Et si nous pouvions un peu bricoler comme Sujets véritables, comme buissonnières libertés, ces vies qu’on voit de plus en plus faites pour être  assujetties ?

D’autres, j’imagine, ont rendu compte de son livre. Le replaçant dans le grand concert des productions intellectuelles de l’époque. En soulignant les vues les plus pertinentes, en pointant aussi, c’est certain, les angles morts. J’y ai pour ma part d’abord conforté l’admiration que j’éprouve pour le Michaux de Passages, pour le Barthes de la Préparation du roman ... pour tant d’autres encore à commencer par le Michel de Certeau de l’Invention du quotidien qui, l’un des premiers dans ma bien paresseuse évolution intellectuelle, m’a fait comprendre comment perruquage et braconnage étaient non pas les deux mamelles de notre vie mais deux modes extraordinaires par lesquels nous pouvons un peu bricoler comme Sujets véritables, comme buissonnières libertés, ces vies qu’on voit aussi de plus en plus prêtes à être assujetties.

On reproche aujourd’hui souvent aux colériques leurs excès. À ceux qui ne se retrouvent pas dans les simplifications d’usage, leur élitisme. L’ouvrage de Marielle Macé apportera à ceux-là qui ne sont pas très à l’aise dans le grand corps d’habitudes empruntées de l’univers social actuel, une sorte de légitimation de leurs mauvaises manières. Loin de n’être que pure recherche de distinction, affirmation énergumène ou posture, le souci obstiné de nuances, le refus des connivences ordinaires, comme l’emportement face aux façons de vie jugées insupportables, sont pour Marielle Macé à mettre au crédit de certaines sensibilités qu’elle n’hésite pas à qualifier de poétiques, émanant de dispositions d’être quasi sismographiques capables de repérer mais aussi d’évaluer, les grands mouvements profonds qui affectent les sociétés et menacent par certains de leurs aspects de les rendre en partie inhabitables. C’est ce qu’elle montre à travers les exemples de Baudelaire et aussi de Pasolini dont elle explique qu’il fut celui qui le premier l’ouvrit au désir d’étudier, au-delà des groupes et des individus, les formes particulières prises par la vie. Ses styles. N’en vitupérant celles qu’il voyait émerger de son temps que dans la mesure où elles étouffaient, selon lui, les chances de l’apparaître humain. 


Se délivrer totalement de « l’abcès d’être quelqu’un ? » 

Loin ainsi de nous entraîner à la célébration narcissique des petites différences, pratique malheureusement bien connue de divers milieux poétiques, c’est à partir d’une conception élargie, inquiète et toujours en devenir, du processus d’individuation affectant ce que nous tenons parfois frileusement pour nos identités, que Marielle Macé s’ingénie à valoriser en l’homme cette capacité d’attention qui permet d’éprouver de nouvelles relations avec le monde et de reconnaître autour de soi pour tenter de les comprendre, d’autres compétences de vivre.

Cela ne va bien sûr pas sans problèmes. Car, si, comme l’écrit Michaux, l’attention portée à la foule des propriétés, des façons, qui de partout nous traversent, nous délivre heureusement de « l’abcès d’être quelqu’un », il faut quand même un peu de fermeté pour qu’une forme existe. Et nul ne prétendra voir dans le Léonard Zelig imaginé par Woody Allen  - tour à tour obèse, grec, rabbin, noir, nazi, évêque, jazzman, politicien, pilote d'avion, psychanalyste... et à qui il suffit d'approcher une espèce, une communauté ou une simple personne pour en épouser immédiatement les caractéristiques - la figure idéale d’une individuation parfaitement aboutie.

Non. S’il importe, toujours pour reprendre Michaux, de ne jamais se laisser enfermer dans son style, toutes les formes ne nous conviennent pas. Certaines sont pour nous plus fécondes, entraînantes, que d’autres. D’autres inversement nous seront mortifères. Ou nous ne saurions rien en faire. En fait, nous fait mieux comprendre Marielle Macé, les formes de vie que le monde et sa puissance constante d’invention, de renouvellement, nous propose, ne devraient jamais nous laisser indifférents. Elles réclament au contraire la plus grande ouverture et la plus grande vigilance. Car, comme le dit si bien aujourd’hui le philosophe François Jullien, elles constituent pour nous des ressources. Manière pour chacun, non d’endurcir et d’exalter sa propre identité, mais de tester la plus ou moins grande fécondité, comme dirait Jean-Christophe Bailly, de l’humus particulier sur lequel il fait sa vie.

mercredi 2 novembre 2016

MORT D’UN PERSONNAGE. SUR LAME DE FOND DE MARLÈNE TISSOT.

Mon pere est mort, Dieu en ayt l’ame,
Quant est du corps, il gyst soubz lame…
François VILLON
Le Testament

Je viens de lire le petit livre de Marlène Tissot Lame de fond, produit par La Boucherie littéraire de l'exigeant Antoine Gallardo que je remercie bien de me l’avoir adressé et j’aimerais en dire ici quelques mots qui viendraient rendre justice à l’émouvante et fragile sensibilité de son auteur. À la façon juste aussi qu’elle a de rendre compte de ce que l’idiotie contemporaine appelle le travail du deuil et qui n’est que le jeu millénaire des façons par lesquelles les vivants, comme ils peuvent, s’accommodent de la disparition ou de la perte d’autres qui comptaient, en profondeur, pour eux.

MOTHERWELL DANS LA CHAMBRE D'AMOUR 
Pas nécessaire en fait de savoir si le disparu dont il s’agit dans le livre de Marlène Tissot est son père, son grand-père, quel était son âge véritable ou la place précise qu’il occupait dans la vaste configuration sociale hors de laquelle il est de plus en plus difficile pour chacun de trouver à se définir... Je ne retiens du livre que la possession d’une modeste habitation au bord de la mer vers Cancale, une certaine qualité de lumière insaisissable au bord des yeux, l’odeur tout à la fois âcre et douce d’un vieux pull marin... et surtout cette capacité qui n’est pas seulement de paroles que possèdent certains êtres de nous rendre le monde plus large à habiter (p. 48). «Cours, ma belle ! Nage dans le ciel » [...] Avec toi tout est permis. Avec toi on chahute l’apparence des choses ordinaires, on colorie le monde. Avec toi, je nage dans le ciel, je suis une sirène qui ne craint pas la mer à boire. »

Certes, nous ne manquons pas de livres commandés par les morts1. Et peut-être n’existe-t-il d’ailleurs de vrais livres que ceux-là que nous inspirent la perte et la nécessité encore, non d’en guérir ou d’oublier, mais comme le disait Char, d’en faire l’aliment d’une plus grande capacité d’être. L’ouvrage de Marlène Tissot avec justesse et discrétion en fournit à mes yeux une nouvelle preuve. Lui qui finit par nous faire comprendre qu’on ne réinvente ceux qui manquent qu’en en projetant devant nous la vivante couleur et qui se termine par ces lignes bien belles : « Dans ta cage thoracique, l’oiseau a cessé de chanter. Mais ses ailles palpitent encore en moi. Comme s’il s’apprêtait à m’envoler. Tu m’avais prévenue : « Tout n’est que commencement ». Et aujourd’hui je suis prête à te croire, prête à laisser ta fin devenir un début . »

NOTE :
Parmi les œuvres majeures auxquelles je pense, je ne saurais trop inciter le lecteur à se tourner vers les livres de Frank Venaille et tout particulièrement Hourra les morts ! qui compte en particulier un texte tout à fait extraordinaire évoquant la crémation de son père (voir un commentaire que nous avons jadis réalisé pour des élèves de lycée). Chacun se souviendra également du Pas revoir de Valérie Rouzeau, prix des Découvreurs 2001. Sans oublier, pour rester dans le champ des auteurs pour lesquels nous avons de l’amitié, le beau livre d’Edith Azam Décembre m’a ciguë chez POL ou celui d'Olivier Barbarant,Élégies étranglées dont le commentaire que nous en avons donné il y a quelques années peut largement trouver à s'appliquer à l'ouvrage de Marlène Tissot.

jeudi 13 octobre 2016

LANCEMENT DE NOS RENCONTRES D’AUTEURS.

Laurence Vielle Vincent Granger et Thomas Suel Channel  6-10-2016


C’est avec Laurence Vielle que viennent de débuter les rencontres 2016-2017 que nous organisons autour du Prix des Découvreurs. Plus de 200 élèves du lycée Berthelot de Calais, et du lycée Carnot de Bruay la Buissière accompagnés de leurs enseignants se sont ainsi rendus dans la belle salle du Passager au Channel pour y découvrir celle qui vient d’être sacrée « poète nationale » de Belgique.

Accompagnée du musicien Vincent Granger venu spécialement de Lyon, Laurence Vielle a partagé la scène avec Thomas Suel un habitué de ces rencontres que nous avons toujours plaisir à retrouver.

«Ce qu’on vient d’entendre nous a vraiment redonné la pêche » commentait un jeune de terminales à l’issue du spectacle. «Oui ça nous aide à mieux comprendre le monde et à mieux nous comprendre nous-mêmes » ajoutait l’une de ses camarades toute aussi enthousiaste. Pour Martine Resplandy, organisatrice de cet évènement, « Laurence Vielle et Thomas Suel sont des artistes qui s’intéressent aux gens, qui savent porter un regard critique sur notre époque difficile. Leur travail montre aux jeunes qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils ne doivent pas se replier sur eux-mêmes. C’est aussi notre mission à nous professeurs de leur faire rencontrer de telles personnalités à l’énergie communicative ».

Question de style !  Le propre de l’artiste est-il pas, si l’on en croit le tout dernier livre de Marielle Macé, justement intitulé Styles, de mettre son imagination conceptuelle, et sa créativité au service des autres, de « favoriser l’effet retour de cette force » à l’intérieur du collectif, dans l’espérance de permettre à chacun de réviser, d’élargir ou simplement de redynamiser sa manière propre d’être en vie.

jeudi 15 septembre 2016

AUTOUR DE LA GUERRE 14-18. DES RESSOURCES POUR LA CLASSE. UNE BELLE RÉUSSITE ENCORE DU LYCÉE BERTHELOT DE CALAIS.


Nous recevons aujourd’hui,  suite à la commande que nous a passée l’an dernier le lycée Berthelot de Calais, le petit livre que nous avons réalisé autour des paysages de la Grande Guerre. Conçue par Martine Resplandy, professeur de lettres et référente culturelle de l’établissement, l’opération qui a bénéficié de l’aide du Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais et a obtenu le label de la Mission du Centenaire de la guerre 14-18, a conduit une 50 d’élèves de Calais sur les traces de quelques-uns des poètes et artistes du début du XXéme  jetés dans ce qu’on a pu appeler « l’enfer du front ».
  
Accompagnés par 3 écrivains qui se sont efforcés de les aider à mettre des mots sur cette expérience particulièrement difficile, ces élèves ont pu approcher de façon plus significative et profonde des lieux comme le Mémorial de Thiepval dans la Somme, le célèbre Chemin des Dames dans l’Aisne ou encore celui de la Main de Massiges dans la Marne par où passèrent, entre autres, le caporal Cendrars et le sous-lieutenant  Apollinaire. 

Nous donnons ci-dessous à découvrir le PDF de ce petit ouvrage qui témoigne de la qualité que peuvent atteindre les actions menées à l’intérieur d’un établissement scolaire dès lors qu’elles trouvent à s’appuyer sur de véritables compétences et sur des structures animées par une réelle ambition culturelle.

Ceux qui voudraient en savoir plus, voire s’approprier à leur tour de nouvelles ressources, pourront aussi télécharger les importants et très complets documents pédagogiques fournis aux élèves pour préparer leur voyage (cliquer pour cela sur les liens ci-dessous).






vendredi 2 septembre 2016

EXOTEN RAUS !

Musée des Beaux-arts de Tours  et son cèdre du Liban
   
Billet paru à l’origine dans POEZIBAO et dont le caractère d’actualité, je pense, n’échappera à personne.

Forêts de combat ! (Kampfwälder). Combien de fois ne s’est-on pas heurté, jusqu’au cœur des situations les plus douces, les plus apparemment bienveillantes à cette «dureté imprévue» qu’évoque dans Paysages urbains, Walter Benjamin comprenant au spectacle de fleurs «serrées en pots contre les vitres des maisons», de certaine petite ville du nord – pensées, résédas – qu’elles représentaient moins « un salut de la nature », «qu’un mur contre l’extérieur». 

Politique, idéologie, la vieille fantasmatique de la défiance et des exaltations imbéciles du moi et de l’identité ravage toujours l’ensemble de notre pitoyable et souvent effrayante économie humaine. Sait-on suffisamment par exemple que les gros concepts de supériorité de la race aryenne et de purification ethnique exposés dans Mein Kampf furent, à l’époque nazie, appliqués rigoureusement aussi au paysage. Destruction des espèces dîtes dégénérées, malades. Proscription des variétés insolites. Des feuillages bigarrés. De toute la gamme des grimpantes, des pendantes, des spiralées ! Bordures composées uniquement d’espèces indigènes droites capables de faire obstacle au virus étranger tout en procurant au peuple le milieu nécessaire à son bien-être physique et spirituel. Autour de 1939, le conflit qui embrase l’Europe n’épargne pas les plantes ! Un groupe d’illustres botanistes soutenu par les plus hautes autorités réclamera «une guerre d’extermination» (Ausrottungskrieg) contre… la balsamine à petites fleurs, cette intruse mongole, venue menacer « la pureté du paysage allemand» !

mercredi 24 août 2016

C’EST LA RENTRÉE. PROPOSITIONS D’INTERVENTIONS.



C’est la rentrée. Comme chaque année les actions les plus diverses seront proposées aux enseignants qui n’auront finalement que l’embarras du choix. Ou qui, c’est aussi malheureusement le cas, négligeront de s’investir dans ce domaine pourtant de plus en plus nécessaire à l’ouverture culturelle des jeunes dont ils auront reçu la charge.                    

 Nourrir l’intelligence sensible !

Les enseignants qui nous connaissent savent qu’ils peuvent compter sur nous pour continuer à leur proposer des actions de qualité capables de nourrir réellement l’intelligence sensible de leurs élèves et de venir compléter utilement le travail de formation qu’ils mènent au quotidien pour éveiller de manière active leurs classes à une compréhension plus large et juste des problèmes de leur temps et donner sens à leur enseignement.

Travailler en interdisciplinarité !

Depuis longtemps d’ailleurs nous nous réjouissons de voir que nos propositions intéressent bien au-delà des classes de lettres et bien au-delà du strict domaine de la poésie contemporaine qui pour être au coeur de nos activités est loin de mobiliser la totalité de notre attention. Nous croyons de moins en moins à la pertinence des frontières intellectuelles ou culturelles. Nous sommes persuadés que nous n’avons qu’à gagner à multiplier les points de vue, faire dialoguer les disciplines, entreprendre en commun. La vie, le monde, la réalité forment un immense continuum que seul un souci intellectuel de clarté et d’efficacité pratique nous oblige à découper selon des disciplines et un jeu commode d’étiquettes dans lesquelles il importe de ne pas se laisser enfermer.

Bénéficier de la caution E.N. !

C’est sans doute la raison pour laquelle nous bénéficions depuis de nombreuses années de la reconnaissance officielle du Ministère de l’Éducation Nationale qui nous a inscrit à son B.O., du soutien actif du Rectorat de Lille et que nous avons pu nouer un partenariat fécond avec des institutions culturelles telles que le Printemps des Poètes et la Maison des Écrivains et de la Littérature.

Pour découvrir le détail de nos propositions d’action cliquer sur le lien ci-dessous.

lundi 1 août 2016

ÉCART OU DE LA FOLLE PRÉTENTION DES POÈTES RATÉS.

Les récriminations incessantes des ratés m'excèdent. Parmi elles il en est que je supporte moins encore : celles de ces poètes qui n'ayant rien à dire, rien à nous faire éprouver qu'une profonde commisération pour leur piètre maîtrise, s'offusquent de l'absence d'écho que suscite dans les media leurs œuvres ridicules. Je ne sais qui est ce T. Deslogis dont j'ai découvert il y a quelque temps qu'il nourrissait l'ambition de sauver l'humanité humaine (sic) en publiant chaque jour un poème de sa composition dans un quotidien qui aurait l'intelligence de lui ouvrir enfin ses colonnes ! Mais en matière de dénonciation quant au scandale qu'il y a à frustrer le bon Peuple de sa voix immortelle, ce monsieur ne fait pas dans la dentelle et il semble que son obstination tout comme l'aveuglement de certains de ceux à qui il s'adresse, paient: chacun peut désormais régulièrement se délecter sur le site d'une revue dédiée à la culture (!!!), d'un poème de M. Deslogis traitant d'une actualité aussi capitale que le fut, par exemple, naguère, la sortie de l’ouvrage signé par Dame Trierweiler !

Voici les toutes premières strophes du fabuleux poème, justement intitulé Ecartèlement, que M. Deslogis consacre à cet évènement. Nous y verrons comment, pour reprendre ses mots, notre Archiloque "polit la graine de la pensée et nourrit la part la plus profondément humaine du citoyen":
"Du dénudé nappé d'art, tant la star brille,/ Au contre-vent qui mis à nu tous nous les brise -/Écart...
J'ai vu la rue a vu l'aveugle aussi par mime / A vu la nue qui prudemment titille /À la normale à peine. Alors, là, fallait-il/ Aliéner l'humanique esthétisme ?/ En s'écartant.
Et cependant si les seins ne sont qu'aux filles/ L'émasculé, lui, est Président Où est la crise ? / En Syriak islamisque au commandant Poutine ?/ Ou en Chomdu ? Et non ! En #gateàpine ! / Écart..."
(sic, sic et resic!!!)

mercredi 6 juillet 2016

À LIRE CHEZ POTENTILLE : DE NOUVELLES « PICTURAE LOQUENTES » D’HENRI DROGUET.

CHRONIQUE DE NUREMBERG, 1492
Palimpsestes et rigodons, du poète Henri Droguet, vient d’être publié aux éditions Potentille. Le lecteur, que ne séduisent pas trop les fadasseries plus ou moins habiles que nous servent les petites mains intéressées de la mode, se délecteront, je pense, de cette occasion de voir rouvert ici le grand opéra de langues par lequel Henri Droguet met en scène, à sa manière, toute charnelle et de matières, le puissant dynamisme cosmique au sein duquel sont engagées nos interloques et ô combien fragiles humanités.

On y appréciera comme, sans les grands épanchements lyriques dont il s’est tôt délivré, ce poète parvient à donner à entendre la note sourdement existentielle d’une conscience qui, aléatoirement retournée sur elle-même, se découvre simplement assurée de sa seule réalité multiple, jubilatoire et passagère. Dans un souci évident non de représentation réaliste du monde mais de compositions et recompositions incessantes de substances verbales – chaque poème pouvant passer pour le palimpseste du suivant – l’ouvrage célèbre effectivement de la façon la plus vive cette danse à deux temps, cet effréné rigodon toujours à relancer, que nous exécutons – macabres - avec la vie. La vie prise. Reprise. Et toujours à réinventer.

 À moins que par la grâce d’une formule, d’une illusion, d’un moment brusquement arrêté, ne naisse l’impression d’avoir mis dans le mille – rigodon ! -  même s’il n’existe pas de cible. Que des signes d’exister.


À cette occasion, et pour aller plus loin dans le commentaire, je pense intéressant – l’oeuvre d’Henri Droguet reposant sur des choix d’écriture, dans l’ensemble assez stables – de redonner l’article que j’ai consacré il y a une dizaine d’années dans la Quinzaine Littéraire, à son ouvrage Avis de passage, paru chez Gallimard.

PROTOCOLES CHARIVARESQUES

« Voilà[…]ça flaire/ça fouit ça fouine/ça graillonne/ça enfourne estropie/défonce ça/choute et chagne/ça machine/ça exproprie/c’est imminent.// ÇA ?QUOI ? »

Cet extrait du poème intitulé L’ENTREVU qu’on trouvera dans AVIS DE PASSAGE qui succède à  48°39’N-2°01’W, titre indiquant les coordonnées géographiques de la ville de Saint-Malo où réside, entre pluies, vents et mer, sous l’incessante battue des éléments, le poète Henri Droguet, nous permettra peut-être de mieux saisir le cadre de l’acharné travail de langue et de célébration malgré tout, que ce dernier mène en littérature depuis de nombreux livres. Placé sous le signe de la peinture, par une double épigraphe, empruntée à Pierre Soulages et à Nicolas de Staël, Avis de passage est bien d’abord un livre qui donne à voir, une pictura loquens, comme en témoigne l’abondance des titres à vocation picturale, sinon cinématographique ou théâtrale qu’il donne à ses poèmes: « Grisaille, Petit tableau parisien, Panorama, Scénographie, Petit format, Trompe-l’œil, Extérieur nuit, Polyptique, Encre, Marine… ». Plus encore, ce livre grouille de matières, de formes, d’espaces assemblés que viennent animer de vigoureuses métaphores, par quoi s’acquiert tout un effet de profondeur, de mouvement surtout, qui ne sont effectivement pas sans rappeler le geste de l’artiste sur sa toile. Anch' io son' pittore semble nous dire Henri Droguet qui face à l’ombre désespérante conçoit ici « des protocoles / pour mettre savamment  / l’invisible en couleurs / rouge hérissé  vert pointu  bleu tempête »

mercredi 29 juin 2016

C’EST L’ÉTÉ ! REGARDONS MIEUX POUSSER LES HERBES.

HARTUNG
Est-ce le pré que nous voyons, ou bien voyons-nous une herbe plus une herbe plus une herbe? Cette interrogation que s'adresse le héros d'Italo Calvino, Palomar, comment ne pas voir qu'elle est une des plus urgentes que nous devrions nous poser tous, aujourd'hui que, du fait des emballements et des simplifications médiatiques souvent irresponsables, risquent de fleurir les plus coupables amalgames, les plus stupides généralisations et les fureurs collectives aveugles et débilitantes. C'est la force et la noblesse de toute l'éducation artistique et littéraire que de dresser, face à tous les processus d'enfermement mimétique, la puissance civilisatrice d'une pensée attentive, appliquée au réel, certes, mais demeurée profondément inquiète aussi de ses supports d'organes, de sens et de langage.

Ce que nous appelons voir le pré, poursuit Calvino, est-ce simplement un effet de nos sens approximatifs et grossiers; un ensemble existe seulement en tant qu’il est formé d’éléments distincts. Ce n’est pas la peine de les compter, le nombre importe peu; ce qui importe, c’est de saisir en un seul coup d’œil une à une les petites plantes, individuellement, dans leurs particularités et leurs différences. Et non seulement de les voir: de les penser. Au lieu de penser pré, penser cette tige avec deux feuilles de trèfle, cette feuille lancéolée un peu voûtée, ce corymbe si mince …

jeudi 23 juin 2016

UNE PENSÉE DE TOUT LE CORPS.


KANDINSKY Accord réciproque, 1942
Dans le prolongement de notre précédent billet sur le beau livre de Christiane Veschambre, Basse langue, nous redonnons ces quelques réflexions susceptibles de faire peut-être un peu mieux comprendre la spécificité d’un certain langage poétique irréductible à la simple communication conceptuelle.

Il y a dans un musée de Londres « la valeur d'un homme » : une longue boîte-cercueil, avec de nombreux casiers, où sont de l'amidon — du phosphore — de la farine — des bouteilles d'eau, d'alcool — et de grands morceaux de gélatine fabriquée. Je suis un homme semblable écrit dans une lettre de 1867 le poète Stéphane Mallarmé à Eugène Lefébure, son ancien condisciple du lycée de Sens, après avoir remarqué qu'a contrario, pour être bien l’homme, la nature se pensant, il faut penser de tout son corps, ce qui donne une pensée pleine et à l’unisson comme ces cordes de violon vibrant immédiatement avec sa boite de bois creux.

Oui. C'est peut-être cela - comme le remarque bien ici Mallarmé - qui œuvre finalement au cœur de l'écriture ou de la parole poétique. Une pensée de tout le corps. Pas seulement de la tête ou du cerveau. Des cases et des casiers qui décomposent. Mais une mise en vibration pleine et à l'unisson de toutes les cordes de l'être dans la caisse profonde, résonante et unifiée du monde. Déjà, comme l'écrivait Baudelaire, à un certain niveau de perception des choses, les parfums les couleurs et les sons se répondent dans une sorte de synesthésie permettant toutes sortes de correspondances. 
Mais il importe de reconnaître que chacune de ces sensations s'inscrit pour commencer dans une dimension plus large et sans doute aussi plus confuse moins aisément représentable du sensible qui est celle de l'intensité mais aussi du mouvement, du rythme. Affectant le corps-esprit bien avant que n'interviennent pour la conscience les classiques différenciations que lui imposent l'inévitable taxinomie sensorielle ainsi que les élaborations conceptuelles produites par la culture. Un peu comme, ainsi que le rapporte un intéressant article de Claire Petitmengin, ce qui se passe chez l'enfant qui n'expérimente pas un monde d'images, de sons et de sensations tactiles mais un monde de formes, de mouvements, d'intensités et de rythmes, c'est-à-dire de qualités transmodales transposables d'une modalité à l'autre qui lui permettent d'expérimenter un monde perceptuellement unifié (où le monde vu est le même que le monde entendu ou senti ) ce qui permet la résonance, l'accord entre deux univers, base de l'intersubjectivité affective.

Ce qui signifie de manière un peu réductrice peut-être que le poème parle, touche, émeut, s'éprouve en tout premier lieu par sa dimension profondément musicale, unifiée, non comme succession clairement identifiable de sonorités porteuses ou non de sens mais comme variation continue d'intensités, modulation colorée de rythmes intérieurs, la capacité qu'il possède de commencer là où la plupart des autres écrits jamais n'atteignent: dans l'espace infra-sensoriel, vibrant, spirituel, de l'expérience non encore intellectualisée et séparée. Qui fut celui des origines. Et que nous retrouvons dans chaque moment d'ouverture ou de co-naissance au monde, arraché à l'ensemble construit des représentations différenciées qui normalisent.