mercredi 22 mars 2023

PLUIE. UN RECUEIL DE QUATRAINS DE FRANÇOISE MORVAN AUX ÉDITIONS MESURES.

Pluie, qui se présente ici au singulier, est le titre de la suite d’une soixantaine de quatrains rassemblés par Françoise Morvan dans le récent ouvrage publié par la bien singulière maison d’édition créée par elle et son compagnon André Markowicz, sous l’appellation de Mesures [1]. Une soixantaine, je devrais dire en fait très exactement 64, ces poèmes étant répartis en 4 sections de 16 quatrains, séparées par des photographies réalisées par l’auteur elle-même, chaque section évoquant quand on y regarde d’un peu près, une saison, l’ensemble nous emmenant de l’été au printemps.

Succession de minuscules tableaux donnant une idée de l’immensité du monde, ces 64 quatrains héritent selon leur auteur davantage de la tradition française, notamment de la poésie baroque, que du haïku, qu’elle considère n’être en français qu’une forme flasque [2]. J’avoue ne pas totalement saisir la pertinence du propos, observant cependant qu’en effet les poèmes de Françoise Morvan, qui se composent strictement de vers comptés[3], délaissent totalement l’impair s’organisant en ensemble mariant plus ou moins librement l’octosyllabe au décasyllabe, ce dernier à l’alexandrin. Ne recourant de plus au rejet que de manière exceptionnelle.

Vers de facture traditionnelle donc, comme la strophe qui les rassemble, le mètre choisi par Françoise Morvan se révèle d’autant plus inspiré par le bel héritage de notre poésie française, qu’il semble le plus souvent s’inventer sur fond d’assonances et d’allitérations, une subtile musique de mots le rythmant de façon souterraine avec une maîtrise, une souveraineté, dont on peut regretter qu’elles soient devenues rares chez nos poètes actuels[4].

Actuelle, la poésie de Françoise Morvan ne l’est d’ailleurs pas davantage dans ses thèmes que dans sa forme. Certes la pluie est un intemporel. Mais les images, les tableaux qui composent le recueil paraissent la plupart du temps empruntés aux époques chaque jour plus lointaines des enfances rurales. Où l’on portait à l’école la blouse ou le tablier. Où les maîtres nous récompensaient de beaux livres cartonnés rouges, frappés d’or et où sur le chemin des classes, claquaient encore les lessives mises à sécher dans les prés.

Ne considérer ce travail que sous l’angle de la nostalgie serait toutefois réducteur. Attentive aux mille et une variations de la nature, c’est avec une précision de vocabulaire doublée d’une grande plasticité syntaxique qu’en vérité Françoise Morvan s’efforce de cerner l’instant où justement dans le monde un mouvement se libère, un parfum se diffuse, une énergie se répand, une couleur illumine, ou s’éteint, l’instant où sous l’action de la pluie qui s’apprête, s’active puis s’éloigne et tout se remet à briller, les paysages comme les cœurs, les âmes, se métamorphosent nous faisant pressentir de mystérieux secrets. D’autres invisibles et immémoriales présences. Et si l’ouvrage entreprend de sans doute nous amener à saisir comme la note ultime de la pluie, sa capacité générique, c’est bien de pluies, au pluriel, dans leur unicité, leur spécificité que dans le mouvant miroir de ses pages le livre s’attache à dresser le pittoresque et troublant inventaire. Dans toute son épaisseur, sa puissance impossible en fait à soumettre, toujours un peu voilée, de temps.

Je ne connais pas assez le parcours et l’œuvre de Françoise Morvan pour saisir avec davantage de pertinence l’ambition qui assurément est la sienne à travers ce recueil que je lis pour ma part[5] avec plaisir. Et émotion. Celle en particulier d’un temps retrouvé. D’atmosphères traversées. De toutes ces scènes vues dont le souvenir s’est imprimé et parfois se réveille non pas ici à la façon d’un évènement proustien mais au détour d’un mot, d’une phrase, d’une juste orchestration de syllabes murmurant à l’oreille.

Françoise Morvan, j’ai vu, écrit pour les enfants. Ce livre ne leur est a priori bien sûr pas destiné. Mais le vieil homme que je suis apprécie, je dois le reconnaître, ce livre qui parle toujours en lui à l’enfant qu’il a été. Au petit paysan sans doute aussi qu’il rêve toujours d’être.

VOIR NOTRE CHOIX DE TEXTES



[1] On trouvera le lien vers cette maison ici.

[2] Voir son blog ici.

[3] Le lecteur attentif y trouvera en cherchant bien et surtout s’il se fonde sur les principes scolaires l’obligeant à prononcer les syllabes muettes placées devant consonnes, quelques vers impairs. Rien toutefois qu’une apocope bien réalisée ne puisse ramener par exemple à un alexandrin ou un décasyllabe comme c’est le cas dans le vers suivant : « La pluie est pleine de rires vermillon » Accessoirement on trouvera aussi dans notre choix de textes un vers de 14 syllabes qui n'est en fait qu'un octosyllabe accompagné d'un hexamètre.

[4] Je ne saurais trop engager le lecteur à se mettre à l’écoute de ces multiples et pas toujours si visibles effets quand il lira les pages que nous avons pour lui retenues dans notre anthologie.

[5] Je dis ma part car je suis bien certain qu’aux yeux de beaucoup de poètes qui se disent contemporains, ceux qui en particulier n’auront jamais eu d’oreille, cette poésie qu’ils ramèneront à quelques images depuis longtemps vieillies, des rythmes qui ont fait leur temps et qu’on ne peut utiliser désormais qu’à travers un projet qu’ils diront « post-moderne » semblera de peu d’intérêt. La qualifiant sans doute au mieux pour d’ailleurs s’en moquer, de jolie. Mais auront-ils compris que ressusciter son enfance bretonne pour Françoise Morvan ne peut se faire qu'à partir des rythmes et des images, d'une représentation de la poésie, qui justement l'aura nourrie à ses débuts.Et que "filialement" si je peux retenir ce mot, elle prolonge dans le monde d'aujourd'hui.Se moquant d'ailleurs bien apparemment des modes.


 

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