C’est en recourant à nouveau à un beau nom de plante que Camille Loivier qui fait partie de ces poètes que j’ai plaisir à suivre, a choisi d’intituler son tout dernier ouvrage. « Cardamine » est un terme générique qui recouvre en fait près de 150 espèces dont certains de mes amis, sans en connaître toujours, je suppose, l’appellation scientifique, peuvent citer avec moi les plus répandues, cardamine hirsute, cardamine des près, cardamine amère… La cardamine des murailles pousse entre les pierres des murs de mon jardin. On dit qu’elle est comestible, goûteuse. Et j’avoue que j’ai plaisir à la voir recouvrir de ses fleurs minuscules ces espaces réputés ingrats.
Sur la cardamine hérissée qui est sans doute celle à laquelle pense Camille Loivier, je sais aussi qu’on la considère en général comme une mauvaise herbe que la plupart des jardiniers d’occasion s’emploient à éradiquer. Ou qu’ils tondent à ras pour entretenir comme il se doit leur gazon. Elle en parle d’ailleurs dans un de ses poèmes :
il n’est plus rien resté des cardamines coupées à blanc
nues quelqu’un qui ne les a pas vues
pas retenu par quelque chose qui
du fond lointain de lui-même serait remonté
je vois pourtant son visage sous la casquette à longue visière
les rescapées ont fané immédiatement dans le vase
elles dégagent en fanant une odeur un peu écoeurante
leur nom est relié à ces fleurs mauves
qui meurent aussitôt coupées dans l’eau mauve
Alors je sais bien que ce n’est pas seulement ce vouloir vivre difficile des plantes que tente d’évoquer le recueil assombri de Camille Loivier mais plutôt que d’analyser, analyser toujours et abstraire, j’aimerais partager encore ici une page qui me parle, consacrée à la cueillette jamais si innocente qu’il y paraît, des fleurs :
quand je cueille une fleur dans le jardin
je le fais toujours en lui parlant
je n’entre pas dans les détails
mais explique
aucune fleur ne consent à être coupée
même le gel qui viendra la brûler en une nuit
ne la fait quitter le jardin sans regret
je peux mesurer la portée de mon geste
à sa faiblesse
une fleur que l’on invite à l’intérieur
on la brise
on lui dit tu n’es plus une fleur
Souvent je me dis qu’on idéalise un peu trop ce monde du jardin. Qu’on voudrait toujours vert.Tout brillant de couleurs. Puis tout peuplé de chants. Et de miroitements d’eau dans les bassins. Et j’aime que dans ce livre de Camille Loivier la première impression de jardin qu’elle donne soit non pas celle de ce jardin glorieux de catalogue mais celle d’un espace qui fait sentir le manque en même temps que la course inflexible du temps :
La fin de l’hiver est peut-être le seul moment de l’année où l’impression que je garde du jardin correspond à ce qu’il est : terre grise aux arbres dénudés, rivière rapide, joncs secs, lumière pâle
Je ne sais précisément à quelles secrètes blessures les poèmes du livre de Camille Loivier qui nous dit aussi à plusieurs reprises vouloir s’enfoncer dans la terre, se réfèrent. Que sont ainsi les sangles et les sanglots du jardin de sa mère qui en forme la partie dernière ? « Cardamine » je l’ai dit est une appellation générique et le titre du livre de Camille Loivier fait bien comprendre que le poète ici n’attend pas qu’on fantasme à l’excès sur son histoire singulière. Alors je me contente de ces histoires d’orties, de ronces, de graines aussi qui personnellement me fascinent mais dont Camille Loivier confie qu’elle n’a pas la patience d’attendre qu’elles lèvent, ne préférant d’ailleurs pas davantage s’attacher au bourgeon qui trop souvent « ne s’ouvre pas, pourrit, se dessèche et tombe pour une raison inconnue ». Le monde de Camille Loivier, qui « va vers ce qui est brisé jeté à terre » n’est pas ce monde idyllique de la joie pure et de l’expansion vitale, rétif qu’il est à l’abandon. À la naïve et heureuse confiance. Non que ces belles dispositions n’existent pas en elle. Mais de même que les bourgeons ont souvent bien du mal à s’ouvrir, ces choses tout au fond qu’elle semble porter n’ont apparemment pas toujours trouvé dans le terrain propre de vivre l’aliment qui était nécessaire à leur éclosion. Alors il faut bien que la poésie apporte un peu son secours et permette d’imaginer comment :
on vivrait en compagnie des arbres
la chaleur des plantes
pour avec elles
se sentir dans l’humanité des feuilles
le silence des mots posés – désaltérés
dans la grande respiration de lumière
ou comme dans ce dernier poème nous soulève tendrement dans un simple et maternel mouvement:
les bords moussus dans la brume
la barque a trouvé dans un mouvement ample son écueil
la place juste réservée entre l’herbe et l’eau
elle ne bouge pas plus que l’eau ne bouge
on perçoit au loin un très léger balancement sans poids
une rivière qui ne porte pas de rêve mais une minuscule barque quelqu’un est
seul mais la lune brille il rentre chez lui
murmurant en secret ce mot, sans doute : cardamine.
N.B. En complément de cette note de lecture le lecteur pourra lire ma présentation de Joubarbe, court ouvrage d'une quarantaine de pages paru en 2015 aux éditions Potentille.
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