jeudi 28 mars 2019

DE LA DIFFICULTÉ DE L’INCARNATION. LE BEL OBUS. UN OUVRAGE DE GUILLAUME DE FONCLARE.


Dans ma peau, un livre de Guillaume de Fonclare qu’une amie m’a très récemment donné à lire, connaissant mon intérêt pour ce qui a trait aux paysages de la Grande Guerre, est un livre que je qualifierais volontiers de touchant si je pouvais débarrasser le mot de cette nuance de niaise et visqueuse sensiblerie qu’il prend aujourd’hui de plus en plus à la une des media populaires. L’auteur, alors directeur de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, y raconte son combat quotidien contre une maladie dégénérative qui le rend prisonnier comme il l’écrit « d’une gangue de chair et d’os » et l’amène à se retrancher progressivement dans les limites de plus en plus étroites et mesurées des déplacements que lui permet sa résistance à la souffrance. On le voit à ces diverses formules : difficile pour lui de ne pas établir de parallèle entre sa douloureuse et mal supportable condition et celles de ces millions et millions d’hommes dont l’établissement qu’il dirige a charge d’entretenir l’émouvant et ô combien pitoyable souvenir.

C’est ainsi que dans l’imaginaire de celui qui se confie à travers ce tout premier ouvrage, se tisse au-delà des distances établies par le temps et les situations, toute une série de renvois et d’échos par lesquels la souffrance absurde en soi qu’il éprouve prend sens et profondeur à la lumière de celles tout aussi absurdes subies plus que vécues par ces jeunes de l’autre siècle que l’absence de progès humain condamna aux effroyables boucheries que nous ne pouvons que très abstraitement nous représenter.


Et c’est la voix de la douleur, celle déchirante de la douleur physique, jointe à la perspective d’une disparition rendue par le mal moins irréelle et moins lointaine qui ouvre ici l’espace par lequel communiquent sans jamais se recouvrir vraiment bien sûr, ces deux niveaux si différents en apparence d’expérience et de tragédie.


J’attendais donc beaucoup de la lecture du tout dernier ouvrage de Fonclare, Le Bel Obus, que les toutes nouvelles et élégantes éditions Cours toujours ont eu la gentillesse de m’adresser. Construit sur une idée relativement originale : celle de faire d’un obus, par la grâce d’une longue prosopopée, l’un des personnages principaux de son livre et de confronter son histoire ainsi que sa maléfique figure à celle d’une famille d’artisans lorrains dont la destinée se trouve bouleversée par les guerres – celles de 1870 et de 14 – et leurs terribles conséquences, le livre de De Fonclare, qui se lit avec intérêt de par la clarté de son style et la précision de sa documentation, laisse toutefois sur sa faim par son caractère finalement un peu sec, surplombant, manquant à mes yeux de cette chair romanesque dont il possède la matière sans parvenir à lui donner justement corps. C’est que le livre qui couvre plus d’un siècle d’histoire et plusieurs générations, est de ces livres courts qui tiennent plus du simple récit que du roman véritable. Le temps romanesque y est toujours ramassé, compressé, au détriment de la scène qui donne davantage à sentir et à épouser les tensions et les mouvements dramatiques auxquels sont confrontés les personnages. Celui d’Émile par exemple, véritable Trompe la mort que l’obus allemand qu’il a ramassé et désamorcé rend fantastiquement invincible, jusqu’à ce que très ironiquement la grippe espagnole l’emporte comme elle le fit d’Apollinaire dans les touts derniers jours de la guerre, souffre à mes yeux de la comparaison avec l’extraordinaire et complexe personnage voisin que parvient à faire vivre pour nous le romancier canadien Joseph Boyden, dans Le Chemin des âmes


Reste que ce livre bridé répond parfaitement à l’intention, je crois, de la collection qui l’accueille qui est de traiter de l’esprit d’un lieu, d’une région, d’une époque, à partir d’un objet qui s’en fait ou en est le fétiche. Dans une telle perspective, plus illustrative en somme que proprement créatrice, l’ouvrage est une réussite. Il dit ou redit ici, un peu sur le mode finalement du documentaire de fiction, qui tend, avec ses forces et ses faiblesses, à s’imposer comme un genre à part entière, bien des choses qu’il serait dommage pour ne pas dire criminel, pour nous tous, de laisser s’oublier.

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