jeudi 31 mai 2018

SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.


                       Il  « ne nous a point donné des paroles mortes
Que nous ayons à renfermer dans des petites boîtes
 (Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes en bois ou en carton. »

Charles Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu


Bien souvent j’aurais, dans ce blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre. Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants. Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles. Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.



Animer est un mot magnifique. Dont il importe de garder toute l’originelle puissance. Qui est de communiquer ardeur, enthousiasme. D’insuffler autant que possible la vie. On le réduit malheureusement parfois à la recherche appauvrissante, desséchante, d’une assez vaine agitation de surface. Se contentant de satisfaire des curiosités accessoires. Par quelque monstration plus ou moins attendue. Que quelques-uns parmi les intervenants acceptant trop facilement d’être exhibés dans leur cage, exécutent à travers la mise en scène narcissique de leur petite personne.


La rencontre ponctuelle encourage ces dérives qui n’apportent pas grand-chose. C’est pourquoi je suis si heureux lorsque j’ai l’occasion de découvrir le travail réalisé autour des rencontres par certains des établissements avec lesquels nous aimons à travailler. Qui savent aussi bien préparer à la rencontre qu’en prolonger les effets par les pratiques les plus diverses et les plus nourrissantes. Je pourrais énumérer ici bien des noms comme ceux des lycées Wallon de Valenciennes, Rimbaud de Sin-le-Noble, Carnot de Bruay la Buissière, Berthelot bien sûr de Calais, Branly de Boulogne-sur-Mer, Mousseron de Denain… des collèges Desnos de Masny, du Bras d’Or d’Ecuires, Daunou de Boulogne-sur-Mer… sans oublier tous ceux qui trop loin de l’Académie de Lille pour que je puisse m’y rendre, m’adressent les témoignages de leurs inventifs et parfois émouvants travaux. 


Là encore ce qui compte n’est pas, comme l’a dit avec la sensibilité particulière qui la caractérise Lili Frikh dans son intervention du 18 mai dernier au Channel, sur le Devenir du poème, de faire écrire pour écrire, mais d’offrir par la qualité du dispositif mis en place, au jeune qui voudra vraiment s’en saisir, l’occasion de découvrir de nouvelles capacités de création, de découvrir aussi à quel point les matériaux qu’il utilise, résistent à sa volonté d’expression tout en lui apportant de quoi  l’excéder et la faire advenir à de nouvelles dimensions d’être. Ce par quoi il se pourrait bien qu’il comprenne comment par la parole et l’art, il ne se reflète pas simplement lui-même. Mais se construit. 


En attendant, nous n’avons pas, nous poètes intervenant dans les classes, d’autres objectifs à nous donner que de tout mettre en œuvre pour témoigner d’abord de l’importance que devrait avoir pour chacun, de prendre soin de sa parole et de savoir se mettre à l’écoute des autres. Pour, que dans ce grand concert de voix qui renvoient, toutes singulières, à la vie qui traverse, chacun trouve enfin légitime de venir habiter mais habiter vraiment la sienne. Dans le constant souci non de s’y enfermer. De s’enclore. Mais d’y faire entrer plus d’air. De chaleur. Et toujours plus de lumière. 


Pour cela : pas de message à faire passer. Pas de contenu de discours même si bien entendu il n’existe pas de parole qui ne charrie de multiples idées, maints savoirs prétendus, sourdes affirmations. Ou vibrantes. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Qui n’en est que la matière. Compte en fait la manière. Qui prend forme dans l’être. Et seule je pense agit. Relie. Fait sens autre qu’abstraitement ou tristement scolaire. Car il ne s’agit dans ces moments que de véritable présence. Regarder. Écouter. Se penser. Se parler. Taire. Être ensemble. Tandis qu’avec le poème, autour, dedans, peut-être

vivre
c’est ouvrir les yeux
si rien majuscule n’écarte

L’Herbe
La Barque
Le Matin

ou l’éclat du Soleil sur les charniers du Monde

le Ciel dessus qui change
mais nous reste toujours

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