Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
dimanche 22 mars 2020
mercredi 18 mars 2020
MIEL, LITTÉRATURE ET MODE D'EMPLOI DES MACHINES Á LAVER !
CLIQUER POUR OUVRIR LE PDF |
J'aurai bientôt l'occasion, j'espère, de présenter et commenter un peu le livre de réflexion de Pierre Vinclair qui accompagne chez Corti la publication de La Sauvagerie qu'il définit comme une "épopée totale concernant l'enjeu le plus brûlant de notre époque, la crise écologique et la destruction massive des écosystème".
En attendant je propose au lecteur de se pencher sur quelques pages de cet ouvrage qui ne devrait pas laisser indifférent.
samedi 14 mars 2020
vendredi 13 mars 2020
JEUX DE PISTES. LIRE SANDRA MOUSSEMPÈS AUX ÉDITIONS DE L’ATTENTE.
Dira-t-on du livre de Sandra
Moussempès, Cinéma de l’affect, sous-titré Boucles de voix off pour
film fantôme, qu’il
défie tout commentaire : la complexe élaboration que son auteur fait subir
aux confidences qu’elle y adresse à ses lecteurs, les laissant finalement comme
face à une « porte sans serrure dont nul ne possèderait »
comme elle l’écrit, le code secret, « code intérieur bien sûr, aucune
combinaison chiffrée ne pouvant être efficace ».
C’est vrai que le livre de
Sandra Moussempès n’est pas de ceux qu’on peut lire d’un œil distrait et qui se
comprennent avant même d’être lus. Si la maîtrise de la langue, contrairement à
ce que vers quoi s’oriente de plus en plus la logique du temps, y est
absolument parfaite, donnant des phrases d’une précision et d’une évidence syntaxiques
remarquables, l’univers référentiel, comme on dit, vers lequel ces phrases font
signes, interroge par son apparente opacité. Et la diversité des pistes –
j’emploie le mot ici dans le sens que lui donnent les actuelles techniques
d’enregistrement audio-visuelles – la façon dont elles sont combinées,
superposées, ont de quoi dérouter.
Qu’est-ce toutefois que dire
sa propre vie, sinon entrer tout entier en relations. Au sein d’un espace-temps
formel où la matérialité des choses dont on fait multiplement l’expérience,
apparaît toute tissée d’affects mobiles qui s’accumulent en nous pour
s’exprimer en pensées, se voir traduire en voix, à travers des opérations
d’organes et d’intelligence qui nous demeurent en grande partie obscures.
C’est bien consciente de tout
cela que Sandra Moussempès se met ici en scène. Avec cela qu’elle nous fait, si
je peux dire, tout un cinéma. Non pour épater le bourgeois. Mais pour se
libérer de certaines angoisses. Et continuer à se construire. Par une
compréhension plus affinée sinon des opacités, du moins de ces divers brouillages,
occultations ou effets parasites imposés à toute volonté d’expression.
Dédié à un certain R.,
présenté comme « l’amoureux errant de ce dédale », Cinéma
de l’affect, doit être d’abord lu comme une chronique amoureuse. Une
relation apparemment bousculée, difficile dans laquelle la complicité première
des corps, des voix et des projets, les attachements, le « conte de fée
psychique sans dialogue » qu’ils génèrent, finalement se désagrègent,
laissant l’esprit s’interroger sur la nature réelle de ce qui a eu lieu :
« escroquerie ou flamme jumelle, connard ou amour vrai, la
reconstitution des faits se trouve dans une sacoche vide jamais retrouvée ».
Mais comme l’esprit – pourquoi
ne pas d’ailleurs dire ici l’âme ? -
a besoin de sens, d’insérer chaque séquence de son propre vécu dans une
sphère d’existence et de compréhension plus large, la rumination à laquelle
Sandra Moussempès se livre dans cet ouvrage, passe par l’interrogation des
principaux domaines d’expérience qui lui sont chers et façonnent depuis
longtemps son imaginaire. Ainsi de sa relation singulière à la voix. Comme à ce
que nous avons en nous de plus intime. Et qu’on aurait bien tort de ne
considérer que comme un simple organe de parole. Du son. Du bruit. A la fois appareil et produit de langage. La
voix c’est ce qui porte. Et nous porte vers l’autre. De la chair et de l’être.
Pris dans une même tension. Et dans un même appel.
Ainsi Cinéma de l’affect interroge
t-il la voix. Celle de son auteur d’abord. Dans son rapport au chant. Et par
suite dans son rapport au père. Puis à l’ensemble de sa « lignée ».
Insistant plus particulièrement sur cette Angelica Pandolfini, cette arrière-grand-tante
qui au début du XXème fut une cantatrice célèbre et dont Sandra
Moussempès dit avoir hérité de son timbre. La découverte sur YouTube d’un
enregistrement de la voix de sa lointaine parente l’amenant à ce constat,
renforcé par une certaine confiance accordée aux expériences spirites, que
« les voix ne se dispersent jamais tout à fait » même si
« on ne sait pas où elles vont et si elles montent au ciel avec les
défunts ».
Alors, que se conserve-t-il ou s’invente-t-il de nous, dans
la voix ? Celle que par exemple on aura laissée s’enregistrer sur le
répondeur de l’amant. Celle qu’on aura conservé de lui sur tel ou tel appareil.
Rejoindront-elles un jour toutes celles qui aujourd’hui remisées dans « un
hangar désaffecté au département des rubans sonores démagnétisés », conservent
dans le fouillis des appareils devenus obsolètes – vieux magnétos à bandes,
K7 audio, répondeurs téléphoniques ou Walkmans sans leur casque - « les messages des années 80, 90, des
voix de défunts ou d’enfants à présent adultes ».
De fait, toutes ces voix, chacune avec son timbre propre,
qui auront tenté de se trouver passage, de s’éterniser sur la cire d’un
microsillon, dans la chambre numérique d’un appareil enregistreur, et se seront
posées comme autant de voix off sur les images saccadées du film étrange de
leur vie, ne sont-elles pas figures de cette condition qui fait de nous, fondamentalement,
fantômes ? Egarés parmi d’autres fantômes, esprits, revenants, simulacres,
phantasmes, ectoplasmes… , toutes formes que nous désirons pour les aimer ou
les avoir aimées, saisir ou ressaisir, sans que bien sûr cela nous soit
possible. Même avec les meilleurs appareils – le cœur en est-il un ? – du
monde.
Reste l’art. L’écriture conçue comme un art, venant tresser
ses filets de mots, ses emboitements de formes, imposer ses miroirs déformants.
L’art qui, comme dans un vieil épisode de Colombo, n’en finit pas de tourner
autour de ses sujets, jusqu’à ce que l’approximation devant laquelle il nous
laisse, nous lasse. Nous réduisant pour conclure à la sommaire définition de ce
que nous sommes. Défilant sur l’écran à la façon rapide d’un générique. Ici :
« une Emily Brontë parisienne, d’origine basque et sicilienne,
sub-londonienne d’adoption, devenue quasi Normande. »
mardi 10 mars 2020
LA NUIT DES ROIS À LA COMÉDIE FRANÇAISE. VIVE LE VRAI SPECTACLE VIVANT !
La Nuit des rois de Shakespeare est une pièce
farcesque. Une vraie pièce de carnaval. C’est en ce sens d’ailleurs que le
célèbre metteur en scène allemand Thomas Ostermeier l’a monté en 2018 à la
Comédie française. Et c’est un pur régal que de voir en mars 2020 cette pièce continuer
sous sa direction à vivre en intégrant pour les tourner en dérision quantité
d’éléments qui font la tristesse sinon le malheur de notre sombre actualité, du
recours insupportable au 49.3 à la propagation angoissante de la peur du
coronavirus.
Il est loin le temps où l’on se rendait en habits à la
Comédie Française pour y voir jouer des pièces à costume. Aujourd’hui pour
reprendre le slogan d’une marque de fast food on y va comme on est. Et
les acteurs jouent en slip. Quand ils ne le baissent pas pour montrer quelque plus
intime partie de leur anatomie. Et si je ne pousse pas la naïveté au point d’ignorer,
dans ce changement d’esprit, la mise en place de nouvelles postures, j’aime
voir par là le théâtre renouer vraiment avec l’une de ses fonctions principales
qui est de parler au présent pour un public vivant.
Pour faire mieux réagir son public Thomas Ostermeier n’hésite
jamais à bousculer les codes. Ainsi la part qu’il fait tout au long de sa mise
en scène au mauvais goût tant des costumes que de certaines des plaisanteries
qu’il donne à faire à ses très remarquables acteurs, va, comme le veut d’ailleurs
tout l’esprit de la pièce, dans le sens d’une remise en question de tous les
attendus, de toutes les pseudo-définitions par lesquelles sont encadrées
d’ordinaire nos représentations et à travers elles, nos vies. À commencer par les
identités que nous nous supposons. Que nous attribuons aussi à nos partenaires
d’existence. Et jusqu’aux animaux avec lesquels nous partageons notre si
déroutante et confondante habitation.
J’ai eu la chance, la veille de la représentation au Français,
de pouvoir assister au théâtre de la Colline à la mise en scène du texte de
Peter Handke, Les innocents, moi et l’inconnue au bord de la route
départementale, par l’excellent Alain Françon. Force est de constater que
la belle esthétique de Françon, l’incontestable talent de ses acteurs,
l’intelligence aussi qu’on sent bien déployée partout sur la scène, n’empêchent
pas le texte très fort mais quand même un peu bavard de l’auteur, de susciter à
la longue un certain ennui que ne dissipe pas entièrement les fort beaux
tableaux d’hiver et de nuit de la fin. Le côté couillu de la représentation
donnée à la Comédie Française et l’implication que, par des effets d’ailleurs
un peu faciles parfois, les acteurs réussissent à obtenir du spectateur, font à
l’inverse que les presque trois heures de représentation passent là comme
lettre à la poste et qu’on entend bien aux applaudissements de la salle que
chacun serait bien encore resté des heures à prendre plaisir à ce vivant
spectacle qui venait de lui être offert.
Bien sûr les deux pièces ne sont pas de même nature. Ni de
même portée. Et si toutes deux engagent à la réflexion elles le font dans un
esprit totalement différent. Qui témoigne quand une nouvelle fois qu’au
théâtre, l’esprit de sérieux et la pertinence approfondie du verbe et de tous ses
discours l’emportent rarement sur le langage irrévérencieux, tout débridé des
corps et le sens actualisé de la raillerie et de la dérision.
lundi 9 mars 2020
CEZANNE À MARMOTTAN. PANURGISME ET CORONAVIRUS !
Á
quoi peut bien servir d’organiser à grands frais une exposition qu’on rend par
ailleurs quasiment invisible par les conditions de visite qu’on inflige au
public venu s’en régaler. Ce Cezanne, Rêve d’Italie que propose
actuellement le Musée Marmottan, a tout a priori pour séduire. Outre la
réputation bien entendu du maître d’Aix, tant auprès du grand public que des
vrais connaisseurs, sans compter bien sûr les artistes eux-mêmes, l’idée de
mettre doublement en perspective son œuvre en la comparant à ses sources
italiennes ainsi qu’aux nombreux peintres de la péninsule qui s’en sont ensuite
inspiré, a de quoi attirer. Toutefois comme les rapprochements effectués par les
organisateurs de l’exposition sont loin de sauter toujours immédiatement à la
vue, il faut pour tirer vraiment profit de la visite pouvoir prendre le temps
de tranquillement regarder et comparer les œuvres et de lire pourquoi pas les
nombreux cartels explicatifs qui très pédagogiquement les accompagnent.
Paysage classique de Francisque Millet |
Or une telle chose est impossible. Encombré de visiteurs et
surtout de groupes faisant cercles autour de différents conférenciers, au point
de masquer de leur masse importune la plupart des tableaux qui y sont accrochés, l’espace
relativement étroit des salles qui s’offre au parcours tient plus de la jungle amazonienne
ou du grand magasin le premier jour des soldes que du lieu de contemplation et
de réflexion qu’il devrait avoir pour vocation d’être.
C’est bien dommage assurément. Mais finalement bien
représentatif de l’évolution de nos sociétés qui font consommation de tout et
ont édifié le panurgisme touristico-culturel au rang de vertu cardinale. Alors
que l’art continue à ne pas trop nourrir son homme, la culture, elle, s’en
nourrit sans complexe, lançant les foules avides de distinction vers les
grandes choses souvent méprisées du passé, à grands coups de lancements
publicitaires.
On pourrait recommander aux responsables de Marmottan de réserver, comme cela se fait par endroits, les visites guidées à quelques
plages horaires pour redonner au visiteur solitaire un peu de la jouissance
effective du lieu. Pas certain que cette décision de bon sens prime sur la
politique du chiffre qui ravage la plupart des "managers" du temps. Ne reste
d’espoir alors que dans le coronavirus. Quand on s’apercevra que devant les
tableaux ici rassemblés, de Cezanne, de Tintoret, de Poussin ou de Morandi, ce
sont des foules qui s’entassent à se marcher sur les pieds, engoncés dans leurs
manteaux, leurs pardessus – le musée n’ayant pas de vestiaire ! – chaque
visage à moins de cinquante centimètres de son voisin, peut-être que pour
éviter la fermeture on se résoudra à ne faire entrer qu’un petit contingent de
visiteurs qui enfin pourra profiter de ce qu’il n’hésitera sans doute plus alors
à estimer avoir été une belle exposition.
lundi 2 mars 2020
NOUS INVENTER DE NOUVEAUX COMMUNS.
En matière de livre de résidence le pire côtoie parfois le
meilleur. Nous connaissons tous de ces minces plaquettes où sous couvert de
rendre hommage au territoire qui l’a quelque temps hébergé tel estimé confrère
s’en fait comme il peut le rhapsode, bricolant quelques rapides pièces de
circonstances dans l’espoir d’ainsi s’acquitter de l’engagement prévu dans son
contrat.
Il n’est pas toujours simple d’écrire sur commande. Ou d’en
trouver le sens.
Florence Jou n’est apparemment pas de ceux que rebutent ce
type d’exercice. Invitée par Le Grand café, un dynamique Centre d’Art
Contemporain installé depuis plus d’une vingtaine d’années sur l’estuaire de la
Loire, à Saint-Nazaire, la jeune poète-performeuse a bien assimilé l’esprit de
cette structure dont une des raisons d’être est d’associer autant que possible
les publics diversifiés auxquels elle se trouve rattachée, au processus de
création mis en place à leur contact par des artistes que la production d’une
œuvre achevée retient moins que l’invention collective d’un chemin enrichissant
ou renouvelant les pratiques de chacun.*
Certes dans ses Alvéoles Ouest, Florence Jou ne se
libère pas totalement des poncifs qui accompagnent ces productions sensées
réveiller pour se la réapproprier la mémoire d’un territoire. Reprenant ici celle des travailleurs des bureaux d’étude des gigantesques
chantiers de Saint-Nazaire, elle joue à mon avis un peu trop facilement de la nostalgie
d’un monde d’avant le numérique où les tracés effectués sur les plans par des employés devant à l’expérience plutôt qu’à leur diplôme, contrôlant l’ensemble de leurs outils, n’étaient pas encore désolidarisés des corps, « pas encore coincés dans les modélisations » d’un programme élaboré sans eux. Par les machines.
On lui en tiendrait rigueur si l’ensemble du livre se
contentait d’une critique de convention des systèmes oppressifs nous enfermant
aujourd’hui de plus en plus dans le cercle malheureux de nos passions tristes.
Mais, dans un esprit et une certaine invention de
formulation qui m’a parfois rappellé le travail d’Alain Damasio dont j’étais
d’ailleurs en train de relire la postface qu’il vient d’écrire au livre
indispensable de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Florence Jou, contre ce qu’elle nous invite à voir comme une terrible entreprise de broyage
des aspirations légitimes de l’individu, nous entraîne à tout un travail de résistance
et de réaffirmation créatrice, inventive, de nos libertés profondes. Face ainsi
à ce qu’elle nous donne à penser comme une entreprise de « pestonnage
massif » par laquelle l’individu se fait piler, dépiler « comme
du basilic, comme de l’ail, comme des pignons », elle revendique pour
chacun l’art du bartitsu, cette méthode de défense personnelle née en
Angleterre à la fin du XIX, reposant « sur le sens de l’équilibre, l’art de
la ruse et une économie de coups ».
C’est que l’heure n’est plus à la plainte voire à la
résignation. Mais à l’invention de nouveaux espaces et de formes nouvelles de
résistances. Dans la création de nouvelles solidarités. Si possible joyeuses.
Allègres. Mobiles. Et pourquoi pas flottantes.
Dans ce domaine l’art doit bien tenir sa place. C’est
pourquoi dans la dernière partie de son texte Florence Jou rejoue la scène
inaugurale de la création du centre d’art qui l’accueille, réinventant
l’argumentaire de Sophie Legrandjacques qui allait devenir sa toute première
directrice. Insistant sur la nécessité de « casser les stéréotypes de
l’art identitaire » pour proposer à ces Messieurs de la municipalité
une aventure susceptible de créer sur leur territoire de nouvelles relations. De
faire émerger chez ses habitants une autre et plus fertile intelligence et du
monde et d’eux-mêmes.**
Une alvéole est une cavité dans laquelle comme une dent,
comme une plante, quelque chose de l’ordre de la vie, de la création, est
susceptible de prendre un jour racine. Les Alvéoles de Florence Jou sont
à prendre comme la reconnaissance par l’artiste qu’elle est de la puissance
d’un lieu où cette vie s’invente, anglant comme elle dit « vers de
nouveaux communs », plongeant « dans des ouvertures et des
passages », débordant pour finir « d’un réseau inextricable de
nouvelles affinités ».
NOTES
* C’est ainsi que ce livre a été conçu pour servir de
support à une performance réalisée au Grand Café dans un dispositif sonore
imaginé par l’artiste Dominique Leroy. Dans ce dispositif cinq performeurs
amateurs dont la directrice du Grand Café ont pu prendre leur part.
vendredi 28 février 2020
UN POÈME DE NIMROD.
Un poème du livre de Nimrod qui peut-être n'est pas le plus significatif de l'ensemble. Mais qui fait écho en moi à bien des choses, avec cette façon qu'il a, autour de la mention d'un paysage qui m'est cher, de rassembler ces mondes qui aujourd'hui plus que jamais affrontent leur puissance...
vendredi 21 février 2020
GUERRE AUX RESTAURATEURS ? UNE HALTE Á PIERREFONDS.
Cliquer pour accéder au PDF |
Qu’est-ce qui peut bien constituer l’authenticité d’un
monument ? Est-ce principalement comme semble le penser la majorité d’entre
nous, la persistance dans le temps de ses matériaux d’origine. Auquel cas rien,
nous venant des plus lointains passés, ne sera plus authentique bien entendu qu’une
ruine. Ou, comme c’est par exemple le cas pour la tradition japonaise, la forme
qui porte son esprit ou pour mieux dire le modèle immatériel qui aura pu dans
le passé en susciter la construction et par la suite son usage.
Á
ce moment de notre petite histoire nationale où nos responsables politiques auront
à se prononcer sur les suites à donner à l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, ces
questions naturellement se posent. En des termes je veux bien le croire
beaucoup plus complexes encore. C’est pourquoi je ne crois pas inutile de
partager sur ce blog quelques réflexions qui me sont venues à la suite d’une
visite du Château de Pierrefonds qu’on peut finalement considérer comme emblématique d’un
type de restauration penchant plutôt du côté de la conception
japonaise. Viollet-le-Duc n’a-t-il
pas là, dans sa quête du monument perdu situé l’authenticité dans la
reconstruction, à force de plongées dans le passé et d’un inlassable travail d’observation et de connaissance mais à partir aussi des matériaux et des techniques de son temps, d’un modèle idéal de gothique capable de
parler à nouveau à l'esprit.
On trouvera dans ce dossier outre mes réflexions sur le site
et quelques rapides recommandations pour le séjour, deux textes
particulièrement intéressants que je donne dans leur intégralité, l’un d’Anatole
France exprimant ses réactions à la découverte de Pierrefonds juste après sa
restauration, l’autre de Victor Hugo, un pamphlet
magnifique et bizarrement très peu connu, que je recommande vraiment à tous pour sa verve inimitable et pour
les multiples échos qu’il peut faire à notre sombre actualité.
mercredi 12 février 2020
NAGER VERS LA NORVÈGE HIER AU LYCÉE BRANLY DE BOULOGNE-SUR-MER.
Comme toujours grand plaisir d’avoir
hier pu accompagner un nouvel auteur de la Sélection du Prix des Découvreurs au
lycée Branly de Boulogne-sur-Mer. Et d’avoir ainsi pu découvrir moi-même la
personnalité de Jérôme Leroy, un poète à la fois filial - par la reconnaissance
qu’il voue à la riche tradition poétique qui l’a précédé - et singulier - par
la façon qu’il a de savoir faire résonner à partir d’elle la relation intime et
engagée qu’il entretient avec le monde contemporain.
Merci et bravo à l’importante
équipe des professeurs de lettres et des professeurs documentalistes d’avoir pu
maintenir en dépit des difficultés, la plus grande partie des 7 rencontres initialement
prévues.
vendredi 7 février 2020
POÉSIE POUR LES POISSONS ROUGES ? Á PROPOS DE LA RÉÉDITION DU MAURICE BLANCHARD DE PIERRE PEUCHMAURD.
Non, affichés amateurs de poésie chichiteuse, de biographie
chipoteuse, de paquet bien ficelé, rien pour vous dans ce livre ! Car même
si des auteurs s’y montrent et fortement, vous ne les verrez pas. Ne les
entendrez pas. Quand ils diront la liberté. Quand ils diront la vérité. Quand
ils crieront, eux les ratés, qu’ils vous emmerdent. Et ne vous comptent
que pour du beurre. Á fondre dans leur propre lumière.
Ne nous faisons pas d’illusions. Un poète rare, mort, parlant
d’un autre poète, tout aussi rare, tout aussi mort : c’est une drôle
d’idée que les éditions Pierre Mainard ont eue là, de proposer à nouveau, à
l’active incuriosité de leurs contemporains, ce livre que Pierre Peuchmaurd
consacra en 1988, dans la collection des Poètes d’aujourd’hui, dirigée par
Seghers, à ce grand poète si grandement méconnu que fut et que continue d’être,
Maurice Blanchard.
Alors, mes contemporains, si prompts à vous saisir du
moindre prétexte pour vous exciter, vous faire un peu plus exister, sur les
réseaux oiseux, sur les réseaux noiseux qui occupent le monde, oui, vous mes
semblables, triangles, carrés, citrouilles ou pommes de terre, qui vous
regardez « dans des miroirs, géométriques quant à la surface,
rigidement cadavériques dans leur profondeur[…] et vous sculptez ainsi votre
monument funéraire » combien de doigts de la main serez-vous pour reconnaître
les intenses fulgurations, les opéras sanglants, de ces « poètes de
proie ». Qui sont aussi des fêtes. Dont vous ne savez rien.
Pourtant, mi choix de textes, mi biographie supposée, le maurice
Blanchard de Peuchmaurd est de ces livres qui honorent et leurs auteurs et
ceux, lecteurs comme éditeurs, qui leur permettent d’exister. De vivre. De ces
livres porteurs d’incandescentes paroles. De celles qu’on ressent comme si on
avait tout-à-coup mis son doigt dans la prise. De celles qui, assumant, en ce
siècle « d’otages et de copies conformes », leur irréductible
et triomphale marginalité, tracent d’invincibles routes, renversant tout sur
leur passage, et l’indifférence des autres et les traverses des chemins, se
foutant pas mal d’être et surtout n’être pas, comprises. Sinon par les poissons
rouges.
Car, « saltimbanque du non-sens », le poète
y dresse lui-même ses barricades mystérieuses. Fait sa lumière de même. Et
aussi son obscurité !
mardi 4 février 2020
POUVOIRS DE LA POÉSIE.
Pour lire l'ensemble de l'entretien : https://www.facebook.com/olivier.barbarant/posts/10218907281025423
lundi 3 février 2020
ALAIN DAMASIO. UN LIVRE BLEU POLYCHROME. OU LIRE POUR AFFIRMER LA VIE.
Il est réconfortant après avoir enduré les intarissables
et nébuleux bla-bla de certains petits Narcisse institutionnels qui ne
condescendent à aborder les questions qui les dépassent qu'avec l'ironique ou
méprisant détachement qui fera d'eux toujours des goujats de la pensée, de
pouvoir compter, chez soi, sur l'amitié de certains livres. Et de retrouver, auprès
d'un auteur aimé, cet élan vital que le petit cirque culturel et ses
insupportables simulacres semblent en partie conçus pour briser. Le recueil de
nouvelles d'Alain Damasio, Aucun souvenir assez solide est de
ces livres qui, en dépit du tableau des plus manifestement inquiétant qu'ils
brossent de notre situation et de l'avenir que nous nous fabriquons, sont
susceptibles de nous redonner cette force, cette impulsion si nécessaires pour
ne pas renoncer à rester tout simplement vivants.
Il y aurait des pages et des pages à écrire pour rendre
un peu compte du caractère inventif et stimulant de l'œuvre de Damasio. Qui
mûrit ses livres sans être comme d'autres, obsédé par le rythme infernal des
publications. Ce qui donne à chaque fois des ouvrages qui nous travaillent
longtemps et dans les profondeurs. Je considère, pour sa puissance poétique,
bien supérieure à celle de trop nombreux ouvrages réalisés par de purs poètes
et pour la qualité des réflexions vers lesquelles il nous entraîne, sa Horde
du contrevent comme un des romans majeurs de ces dix dernières années
et attends avec impatience ses Furtifs qui devraient paraître
sous peu.*
Ne disposant pas aujourd'hui du temps, ni peut-être du
courage nécessaires pour revenir en détail sur toutes les impressions que m'a
laissées une telle œuvre, j'aimerais cependant quand même partager ici un court
passage d'une nouvelle dans laquelle la figure d'un scribe lancé tout entier
dans l'écriture impossible du Livre, celui qui fera corps enfin avec la vie,
rejoint pour moi idéalement la figure que je me fais depuis longtemps du
véritable lecteur, un lecteur pour qui la dictée du texte et la soumission à
laquelle ce dernier le contraint n'implique aucune perte de liberté,
constituant en fait l'occasion d'un déploiement qui n'a de limites que celles
qu'il se donne lui-même. Loin de tout fantasme de Vérité. D'identité. Délivré
de la tentation d'étouffer le lexique entraînant, rayonnant, de la vie, sa
brûlure, sous la cendre reposée des pensées d'inventaire.
TEXTE d’ALAIN DAMASIO
Il faut comprendre qu'El Levir défendait une vision de la
littérature (et plus encore du Livre, débat nodal) qui malgré la profondeur de
ses travaux et l'ampleur de l'estime que la communauté des érudits lui
accordait, non sans réticence, non sans crachat pour ses calligraphies de plein
air, n'était plus partagée par personne.
Cette vision, indiscutable pour lui, antérieure même à toute
raison, était que la littérature, comme tout art authentique, ne pouvait être
que puissance de vie. Donc que le Livre, s'il existait, ne pouvait qu'incarner,
avec la plus féroce intensité, la vie — et plus profondément qu'incarner, mot
presque statique, la faire fulgurer, siffler, se découdre comme une peau, pour
libérer, par éclats — par écart et petit bond, salto, vague haute déferlée,
rouleau ou ressac — une coulée de sang pur, d'un rouge d'encre longue, que rien
ne pouvait faire sécher, ni vent ni temps, ni le soleil au zénith. Rien,
puisque le rythme capturé-relancé à chaque lecture, à chaque attaque de glotte
placée au premier mot du premier vers, redéfroissait la totalité de la surface
physique du son, lâchait au souffle toute la violence articulatoire des
phonèmes briquetés et découplait, sur la page, la masse d'abord compacte des
lettres aboutées, pour lui déplier à mesure, comme on offre à un enfant une
plage, l'espace où s'architecture l'épars.
On avait toujours objecté, à cette vision, à cette audition,
à ce cri, l'idée que le Livre ne pouvait, s'il était unique, contenir quelque
chose d'aussi peu rigoureux que la vie, d'aussi multiplement déformable et
fluant. Pour une lourde majorité d'érudits, le Livre ne pouvait dévoiler que la
Vérité. La Vérité était une. Il n'y avait donc qu'un Livre. Marmoréen. Porteur
d'une lumière implacable. Lire le Livre était donc accéder à la Vérité de
l'Être, de la Nature ou du Monde (c'était selon la nature des digestions),
autrement dit à Dieu.
L'originalité d'El Levir, à ce titre, n'était pas tant qu'il
ne croyait à aucun dieu mais que n'y croyant pas, il n'eût pas renoncé à
l'espoir du Livre, comme si la Vie, le soleil ivre tournoyant dans le texte
suprême, pouvait jeter, du cœur de l'inscrit, en pleine âme, une couleur
unique. À la vérité, ses plus proches collaborateurs, dont je fus, surent
toujours qu'il n'en était pas exactement (pas du tout) ainsi. La théorie d'El
Levir, par ses ennemis simplifiée à outrance, s'appuyait sur cette
conviction : qu'un texte unique, même court, recelait une potentialité
vertigineuse de sens; que les effets de rythme, dans le plan d'immanence
sonore, pouvaient se démultiplier presque à l'infini, aussi bien par vibration
moléculaire, de proche en proche, que par effet sonar, avec des sons pulsés
dans le vide, sans écho audible, qui apportaient une respiration à même le
bruissement; enfin que le jeu des lettres et des mots, la proximité des
signifiants (par exemple, rappelait-il toujours, cette manière qu'a «nuit»
d'être hantée par son propre verbe, ou « lourd » de vibrer avec lent
et sourd), les anagrammes ou les palindromes (une passion dévorante du scribe)
pouvaient, si l'on en tenait compte «comme de spectres circulant dans l'ombre
blanche de la page», ouvrir au Livre la diversité du vivant. Un Livre unique,
oui, d'une seule couleur, pourquoi pas ? – disons bleu – mais d’un bleu
hurleur, changeant comme un ciel rougit, se violace puis vire soudain au noir.
Un Livre bleu polychrome.
Aucun souvenir assez
solide P. 236 - 238
* Ce billet a été publié pour la première fois le 14 avril 2014
jeudi 30 janvier 2020
TRAVAILLER POUR L’AVENIR. DE LA LUTTE DE JACOB AVEC L'ANGE AU MUSÉE DE LA MINÉRALOGIE DE PARIS !
Quel point commun entre La Lutte de Jacob avec l’Ange
de Delacroix et ce minerai de couleur-brun-rouge appelé coltan, parfois
encore tantalite, dont on nous dit que le sous-sol de la République
démocratique du Congo contiendrait plus des trois-quarts des réserves
mondiales ?
Tout dans l’univers est lié. Nous n’avons que le choix des
parcours. De ceux qui nous font avancer un peu plus dans la connaissance et la
mesure de nos responsabilités. Ou à l’inverse de ceux qui feront de notre existence
qu’elle n’aura servi à rien. Pire ! Qu’elle n’aura fait que contribuer à
précipiter la perte de tout ce qui en nous, autour de nous, constitue la
prodigieuse et fragile beauté de la Vie.
Les choses ne se passent pas trop bien, semble-t-il, ces
derniers temps, dans les établissements scolaires. L’extrême concentration des
esprits sur l’évaluation, le système des notations et le jeu permanent des
contrôles, tendraient selon nos collègues à enfermer les apprentissages dans un
temps administratif bien éloigné de ce qui féconde les curiosités, épanouit
lentement la réflexion, intensifie pour finir la résonance des découvertes qui
transforment.
Alors, un parcours comme celui que nous venons d’accompagner
allant du dernier grand combat d’un des plus grands peintres du XIXème à
la prise de conscience des guerres dissimulées aujourd’hui dans le monde pour
la propriété des terres rares, un parcours qui fait traverser moins d’un
kilomètre des rues parmi les plus richement historiques de Paris, du parvis de
l’église Saint-Sulpice où se lisent encore des vestiges à moitié effacés de
notre grande révolution jusqu’à cette partie préservée de l’Hôtel de Vendôme où
se niche l’un des plus beaux musées de minéralogie du monde, un parcours allant
de la petite histoire à la grande politique internationale en passant par la
science des cristaux et l’art difficile de la fresque, de la petitesse de
l’homme attaché à détruire les traces de ceux auxquels il est opposé à la
grandeur des quelques-uns qui nous débordent par leur travail, leur créativité
ou leur génie, oui, ce parcours pourra-t-il toujours s’effectuer avec les
écoles ou ne restera-t-il que le souvenir d’un simple moment arraché à la
triste routine d’une formation de plus en plus considérée autour de nous comme
un dressage.
Travailler pour l’avenir ! tel est l’intitulé de
la singulière journée que nous avons imaginée avec l’équipe rassemblée par le
Proviseur du lycée Berthelot de Calais pour effectuer dans l’esprit du
Laboratoire Novalis auquel j’ai l’honneur avec les Découvreurs d’appartenir, et
dans le cadre d’un travail tournant autour de la publication par les éditions
invenit du Système poétique des éléments, une véritable action éducative
à vocation transdisciplinaire.
Tenons-nous en aux grandes lignes. Pour une bonne trentaine
d’élèves de secondes qui pour la plupart débarquaient pour la première fois dans
notre capitale, la découverte de la célèbre peinture de Delacroix La Lutte de Jacob avec l’Ange fut l’occasion de faire comprendre que toute œuvre est
combat. Que la beauté, le génie ne sont pas donnés d’emblée. Qu’il existe
toujours des difficultés à surmonter. Des matériaux à dompter. Que tout cela,
bien sûr, réclame du temps. Parfois beaucoup de temps. Celui de la formation
d’abord, puis celui nécessaire à la constitution d’une expérience. Et le temps
pour finir de sa conception et de sa réalisation.
Le chemin qui mène de l’église Saint-Sulpice où s’admire
(entre quantité d’autres choses) l’œuvre de Delacroix et le Musée de minéralogie (sis au 60 Boulevard Saint-Michel) passe très heureusement par une
étroite et très courte rue, la rue Férou, qui fournit en raccourci l’occasion
d’évoquer les mille et une richesses que la ville de Paris offre à la considération
du promeneur curieux tout autant qu’averti. Sans négliger l’intérêt qu’il y a à
se pencher quelques secondes sur le coût des offres immobilières exposées en
vitrine de l’agence qui occupe le coin de la rue, et qui remarquons le au
passage a pris la place d’une célèbre librairie, L’Âge d’homme !, on
peut attirer ici l’attention sur le pouvoir d’attraction et de stimulation d’une
capitale qui sur quelques mètres carrés d’habitation et à proximité du célèbre
salon de Madame de la Fayette, accueillit tant d’illustres provinciaux tels Prévert,
Chateaubriand, Renan, Taine, le peintre Fantin-Latour originaire du Dauphiné
sans compter de grands américains comme Man Ray qui y avait un atelier,
Hemingway qui dit-on y écrivit l’Adieu aux armes ou encore Scott
Fitzgerald.
Bien sûr la rue Férou est aujourd’hui davantage célèbre par l’impressionnant
poème mural de 300 m2 réalisé par le peintre calligraphe hollandais
Jan Willem Bruins qui a reproduit sur le mur de l’Hôtel des impôts par quoi
commence la rue, le célèbre poème de Rimbaud, ce fameux Bateau ivre que le jeune Arthur aurait lu
en 1871 dans un café aujourd’hui disparu, situé à quelques dizaines de mètres,
sur la place. Utile nuance à nos propos concernant le vieux Delacroix : la
valeur, comme le fait dire Corneille dans le Cid, n’attend donc pas
toujours le nombre des années. Et c’est sa force aussi que de pouvoir se lancer,
comme le fit Rimbaud et comme le montre son poème, dans l’inconnu et l’aventure
déconcertante aussi des découvertes.
Traversant alors les beaux et classiques jardins du
Luxembourg en profitant pourquoi pas de ses jolies toilettes gratuites (chose
rare !) une photo s’impose avec en arrière plan le grand bassin et la
majestueuse façade du Palais où depuis 1799 siège le Sénat de France. Sur quoi se
fondent donc la grandeur et la magnificence d’un état ? Pas certain que
les jeunes gens qui posent sur la photo se posent cette grave et difficile question.
Une réponse leur sera toutefois en partie fournie au Musée de la minéralogie
maintenant tout proche où les attend le conservateur Didier Nectoux qui, après
leur avoir retracé un rapide historique du lieu, expliqué les nécessités économiques,
industrielles et par voie de conséquences politiques et pédagogiques auxquelles
répond une école comme celle de l’École
des mines dont le musée dépend, leur avoir magistralement fait comprendre pourquoi
la cristallographie allait dès l’an prochain devenir une discipline obligatoire
dans l’ensemble des programmes de première, les avoir aussi laissés s’extasier
devant les merveilles de roches exposées dans ses innombrables vitrines, finit
par leur parler de notre mystérieuse tantalite.
Non, la tantalite n’est pas que ce bloc relativement informe
et pas trop séduisant de roche exposé dans la vitrine. C’est un morceau de
matière dont l’appropriation est devenue aujourd’hui vitale pour les sociétés
qui sont parvenues à rendre indispensables aux milliards d’êtres humains que
nous sommes, ces portables par lesquels nous vivons désormais connectés. Les
découvertes d’abord fondamentales des savants, la puissante créativité des
ingénieurs et le savoir-faire des techniciens et des machines se sont
rassemblés pour qu’autour d’une infime partie de la matière cachée dans cette
roche, matière dotée de propriétés qu’elle est seule à posséder, puissent
fonctionner ces appareils que nous utilisons sans jamais nous poser la question
des ressources naturelles indispensables à leur création.
Le travail de connaissance des savants pour déterminer les
propriétés singulières des éléments, ont conduit depuis l’avènement de l’ère
industrielle, les autorités à s’intéresser sérieusement, méthodiquement, aux
richesses innombrables des sous-sols comme à chercher par tous les moyens
disponibles à se les approprier. Fut-ce par la guerre. Ou la colonisation. De
la vient en partie la grandeur des états. Tous ces cailloux qu’on voit dans les
différentes vitrines sont en fait des richesses dont la possession importe. Et
conduit comme aujourd’hui par exemple au Congo à ces guerres qu’on dit tribales
mais qui cachent en fait des intérêts économiques très puissants.
Demandant à son public de réfléchir un peu aux incidences
des portables que chacun tient effectivement bien à la main, Didier Nectoux
fait comprendre le lien avec le travail des enfants qui exploitent au Congo les
mines de coltan. Lui demande jusqu’à quel point il se sent collectivement
capable d’aller pour lutter contre de telles dérives. Avant d’insister sur le
fait qu’il appartient à chacun de choisir son parcours. Car le monde a besoin
de savants, de techniciens qui travaillent à la fabrication d’un monde plus
responsable et proposent à tous des solutions viables. Mais aussi de politiques
qui fédèrent les énergies en les organisant autour de lois justes et
protectrices. De juristes qui pensent ces lois et les rédigent. De journalistes
qui éclairent réellement l’opinion sur les véritables enjeux du monde dans
lequel nous vivons. D’artistes qui nous illuminent et donnent un sens plus
large à nos aspirations. De professeurs enfin qui sachent bien transmettre. Et
qui d’abord éveillent.
Nous sommes passagers du temps. Sur une terre dont nous
exploitons depuis toujours les richesses pour nous construire un environnement à
la hauteur de nos besoins et de nos aspirations. Mais si ces dernières n’ont
aucune limite, il n’en va pas de même des ressources naturelles dont nous
disposons. Quel Ange viendra bientôt nous interdire comme dans cet autre
tableau de Delacroix vu lui aussi à Saint-Sulpice, de pousser plus avant le
pillage de ces biens pour en laisser leur juste part aux générations à venir.
On ne croyait voir là que des cailloux. De petits blocs de
couleurs informes, au mieux quelques splendides cristaux arrachés quelque part
aux entrailles comme on dit de la terre. On y a vu finalement notre histoire.
Et les défis, formidables, qui nous attendent. Cela n’ira pas sans combat. Dans
lequel il faudra que nos jeunes s’engagent. Chacun dans son domaine. Mais dans
le souci commun de maintenant travailler, mieux que nous, à préserver l’avenir.
lundi 27 janvier 2020
mercredi 22 janvier 2020
ÉCRIRE POUR DÉPLOYER LA VIE: Les amours suivants de Stéphane Bouquet
F. Bacon, In memory of George Dyer, panneau central |
Transformation d'une forme de vie en une forme de langage et
transformation d'une forme de langage en une forme de vie, comme l'affirmait du
poème le regretté Henri Meschonnic, c'est ce qu'exemplairement le lecteur
pourra voir s'accomplir dans l’ouvrage de Stéphane Bouquet, Les amours
suivants. Car c'est avant tout l'incessant mouvement le portant de sa vie à
la parole et de sa parole à la vie qui anime et génère le fond d'invention
constamment émouvant des livres de ce poète.
De la vie, Les amours suivants tentent, au
moyen de formes à la fois variées et supérieurement désinvoltes, de retenir le calendrier
disparate et d'une certaine façon pittoresque d'un quotidien principalement
urbain fait en grande partie de déplacements dans divers lieux plus ou moins
éloignés du monde, avec leurs spectacles très actuels de rues, de métros, de
passants dont la "fugitive beauté", comme aurait dit
Baudelaire, constitue à l'occasion "un dangereux débarquement
d'espérance". Et parce que ce livre se place, de par son titre ainsi
que par le choix dans sa première section du sonnet, certes très librement
modernisé, sous le signe de notre bonne vieille lyrique amoureuse, c'est cette
existence là, l'amoureuse, cette intensité là, cette bouleversante
présence/absence là, que l'auteur, à sa manière, plurielle, affranchie de toute
convention, cherche aussi à saisir.
Dans un
entretien avec Frank Smith, Stéphane Bouquet affirme que poésie et désir
sont pour lui exactement la même chose. Que la poésie, "c’est l’espérance
que le monde est là et qu’il va nous laisser entrer, venir. Ou qu’il va venir
en nous, entrer". "Une activité de dé-solitude".
C'est ainsi que la suite nombreuse des amours composites évoqués tout au long
des pages dans leur crudité parfois de notations les plus charnelles, ne doit
être compris que comme la forme métonymique, intimement vécue certes, d'un
appétit de relation plus large, débordant, avec le présent toujours renouvelé
du monde. Dont la façon de se donner comme de se dérober, d'excéder notre
capacité à tout retenir provoque chez le poète aussi bien l'élégie, le thrène,
l'hymne... Encore que chez Bouquet qui répugne à l'éloquence, ces formes ne
s'expriment que sous le couvert d'une parole qui pour être toujours inventive et
parfois déconcertante reste fondamentalement triviale, communicante, au sens où
elle ne cherche à aucun moment à s'affirmer pour elle même. Mettre en avant le
ça aux dépends maladroits de l'être.
Que l'on soit à Taipei, Brooklyn, Berlin ou simplement à
Paris, en compagnie d'un amant turc, cubain ou taïwanais..., gentiment repoussé
par un autre devant un film de Michael Winterbottom, branché sur Facebook ou
Youtube ou se parlant à soi-même à la seconde personne du féminin dans les
salles désertes du château de Sans-souci, c'est toujours "la mort
éparpilleuse" qui finalement tire dans l'ombre les ficelles de notre
mutable et mal pérenne condition. Elle qui bloque sur 18, 13, 15, 19 ... le
nombre d'années vécues par ces adolescents gays suicidés que l'auteur énumère
dans l'une des plus belles suites du livre. Alors s'il faut qu'on meure, et
vite, faut-il vraiment toujours, comme le réalise Madame de Mortsauf, que
Bouquet cite sans doute à partir d'un texte de Pierre Michon tiré du Roi
vient quand il veut consacré aux Vies minuscules, mourir
en ayant trop peu vécu ? Sans être "jamais allé chercher quelqu'un sur
la lande" ?
Et c'est bien parce que tout ne doit pas finir déjà dans
la mort, qu'il est de plus en plus apparemment nécessaire pour Bouquet de
multiplier en lui, autour de lui, les preuves d'existence. En fabriquant par
exemple à partir du toucher amoureux "l'utopie provisoire qu'il y a
dans la société des gestes " En faisant que la poésie très
simplement vienne pour nous, "voler les choses à l'absence ".
Nous conduise dans le bruit de notre "enfance intérieure/ qui crépite
toujours plus fort […] vers les demains défatigués ".
Car amour, poésie ne relèvent ici que d'une seule morale : "fais ce que
déploie la vie". Une double éjaculation. Qui ne répugne à aucun
bavardage. Aucune trivialité. Quitte à choquer les lecteurs. Et pas
nécessairement les plus prudes. Car "nul/ son n'est dissonant qui nous
parle de vivre ".
Certes, l'amour, la poésie, ne sont au fond que de petits
miracles. Précaires. Imparfaits. Le langage ne marche pas pour de vrai. L'autre
qu'on aura aimé finira sans doute par "devenir anonyme dans le t/
apostrophe de l'expression je t'aime " : les pronoms ne
conservant pas la forme des visages. Et pas certain que le poète qu'on est
parvienne, à la différence de celui qu'on rêve, d'atteindre à "la
grande écriture lisible par les arbres/ aussi et par la société des bêtes ".
N'empêche que les bulletins de survie que
constituent les poèmes, équipés qu'ils sont "pour saisir le moindre
frisson", avec leur "cliquetis de mots jeté/ parmi la
poussière noire", leurs merveilleux néologismes, constituent autant de
propositions n'attendant qu'à se nouer à l'imaginaire propre du lecteur. Un
lecteur "électro-compétent" qui serait, comment dire, capable
de se brancher sur la même source d'intensité, musicalisée, résonnante, que le
poème. Attendant la même chose du monde. Comme un surcroît dans le soir de
lumière. Un luxe un peu moins désuni ou mieux relié d'être.
Une façon, à la fin, de se sentir, peut-être et malgré tout
- c'est le tout dernier mot du livre - ensemble. Suffisamment
ensemble.
N.B. : Ce billet a été publié pour la première fois le jeudi 7 novembre 2013
Inscription à :
Articles (Atom)