C’est dans le livre de Jan Wagner, australie,
dont j’ai récemment rendu compte ici, que j’ai découvert l’existence du
portrait de la petite Antonietta, fille d’un « sauvage »
ramené des îles Canaries et atteinte de cette rare, très rare maladie, l’hypertrichose
qu’il ne faut pas confondre avec l’hirsutisme, beaucoup plus répandue. Ce
portrait réalisé en 1595, à Bologne, sans doute à la demande du grand
naturaliste de la Renaissance Ulysse Aldrovandi, par la peintre Lavinia Fontana,
se trouve depuis quelques années au Château Royal de Blois en souvenir du
premier « possesseur » de la famille Gonzalez dont Antonietta
est la fille, Henri II. C’est à la mort de ce dernier que son épouse Catherine
de Médicis aurait cédé les Gonzalez à ses cousins de Parme. (voir mon précédent article : Des sauvages et des poils)
Antonietta et son père lui-même atteint
d’hypertrichose, maladie d’origine génétique, faisaient partie de ces « mirabilia »
, c’est-à-dire de ces créations de la nature qui excitent la curiosité,
l’étonnement ou l’effroi, c’est selon, dont les hommes de la Renaissance se
montrèrent si friands. Qu’on pense à ces Cabinets de curiosité que tous les
grands personnages de l’époque se devaient de posséder. Le système de pensée de
l’époque étant profondément différent du nôtre comme l’aura bien montré par
exemple Michel Foucault dans Les Mots et les choses, voyait dans les
créatures humaines comme les Gonzalez, ni tout à fait des êtres humains, ni
tout à fait des bêtes, mais à cause du lien avec l’animal qu’induit leur
pilosité assimilée à un pelage, les considérait comme des êtres hybrides qui ne
pouvaient qu’être dépourvus d’âme. Ce qui ne les empêchait pas de se voir
confier certaines fonctions. Le père d’Antonietta par exemple fut formé aux
humanités, apprit le latin et accéda auprès d’Henri II à la charge d’aide
porteur du pain de sa Majesté.
Se posant devant la petite toile de Blois
enfermée dans son cube de verre, le poète ici laisse libre cours à ce sentiment
d’empathie qu’on ne peut manquer d’éprouver devant le visage de cette petite
fille dont finalement on ne sait et ne saura rien de la façon dont elle aura
personnellement vécu son étrange situation. C’est souvent l’intérêt de la
poésie de Jan Wagner que de nous faire partager sa curiosité du monde et
de nous faire voyager aussi bien dans le temps que dans l’espace. Dans
l’infinie réalité des choses comme dans l’imagination qu’on en a.