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Gentile da Fabriano Offices, Florence
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« Le massacre des innocents. Avignon, musée du Petit
palais. Je pense aux mères sous le gouvernement d'Hérode qui ordonna que tous
les garçons de moins de deux ans soient égorgés pour dévier le cours de la
venue du Messie. A ce cadeau de Dieu le père à Jésus, en laissant égorger tous
les garçons autres.
Je me demande si, et sur quelle place de Mai, les mères
se rassemblèrent pour crier leur colère contre l'Instigateur suprême du
scénario.
Je comprends la fuite en Égypte de Marie, comment
aurait-elle soutenu leurs regards, avec ce nouveau-né sans plus aucun de son
âge autour — seul et unique ?
La parole d 'évangile de Matthieu est restée muette quant
aux filles négligées dans l'assassinat. Devinrent-elles des gars — travesties
dans l'image d'un disparu comme remède impossible à la douleur des mères ?
Priver ainsi son fils de compagnon de jeux, cela a t-il
quoi que ce soit de sensé de la part d'un père, même Éternel ? »
Je ne me souviens pas d’avoir vu ce tableau du peintre
siennois du XVème siècle, Benvenuto di Giovanni, dont partent les
singulières interrogations de Geneviève Peigné dans ce livre, Ma mère n’a
pas eu d’enfants que viennent de faire paraître les belles éditions des
Lisières.[i] C'est vrai que de Giotto jusqu’aux plus récents reportages photographiques,
notamment sur la guerre de Syrie, le thème du massacre des innocents n’a cessé
de hanter la fabrication des images à partir desquelles les artistes ont tenté
d’exprimer quelque chose de l’horreur que leur inspire la succession
ininterrompue d’atrocités dont la puissance armée des hommes mise au service
des autorités les plus barbares et les plus implacables, peut se rendre
coupable. Qu’on considère par exemple, à côté de toutes les références célèbres
de Bruegel à Picasso, en passant par le superbe tableau de Poussin qu’on peut
voir au Musée de Chantilly, cette seule planche de Théodore de Bry (planche 59)
montrant, à partir d’un texte de Bartolomé de Las Casas, un conquistador
jetant un enfant indigène à ses chiens.