Son frère n’a que 20 ans quand
il la peint grandeur nature allongée sur l’herbe fleurie qui borde la rivière
Aven coulant en arrière plan entre les arbres un peu grèles du petit Bois
d’Amour. Madeleine, elle, a 17 ans. Et dans sa posture étudiée de gisante qui
la fait un peu ressembler par la proximité de l’eau à la célèbre composition de
John Everett Millais représentant la mort d’Ophélie, qu’on peut voir à la Tate
Britain de Londres, elle aussi semble flotter sur la toile rêveuse, être comme
aspirée, soulevée par quelque charme indéfinissable. Le charme ici peut-être
d’un moment de bonheur ressenti, d’équilibre capté entre les âmes et les
choses, qu’à jamais le tableau aura retenu pour nous, dans ses verts, ses
bleus, ses roses, son ocre, les noirs aussi des troncs qui ne font plus
barrière mais entrainent le regard vers les reflets dans l’eau, d’un ciel
mouvant d’été.
L’histoire aura bien retenu
que cette Madeleine peinte ici par Émile
Bernard aura en cette année 1888 attiré dans le gros bourg de Pont-Aven où
s’est depuis quelque temps établi une solide colonie de peintres, l’attention
de Gauguin. Au point de se voir par lui attribuer, pour rire, un petit tableau
connu sous le nom de Fête Gloanec, actuellement au Musée des Beaux Arts
d’Orléans. Avant qu’au verso d’une œuvre intitulée La Rivière Blanche, il
ne réalise d’elle un magnifique portrait que détient le musée de Grenoble. Mais
l’histoire n’est guère prodigue sur le destin relativement exceptionnel de
cette femme qui fut aussi un moment comme fiancée au peintre Charles Laval,
artiste à mon sens injustement éclipsé par la notoriété de l’auteur du fameux Christ
jaune, qui partagea avec lui un atelier à la Martinique et signa même de
son nom des toiles qui lui sont aujourd’hui réattribuées.