Seules les pulsations du coeur retenaient ·Reitz désormais. Son organe battait encore bien qu’il n’y eût plus aucune nécessité d’alimenter un corps en oxygène. C’était une énigme. Pourquoi donc battait un coeur enseveli dans un corps de papier ? Quel était ce pouls qui demeurait maître du temps ? ·Reitz ne cherchait pas de réponse. Il se contentait de jouir de ce rythme. Ce battement était en lui-même la question, sa formulation et l’étendue considérable des réponses possibles. Alors ·Reitz comprit peut-être ceci. Un temps avait été provisoirement ouvert, comme on ouvre l’accès à un espace : son coeur battait pour la mer de cadavres nus. Nul retour à la vie, nulle descente des visages sur les corps anonymes, nul reflux du sang dans les membres durcis, nulle consolation, simplement une présence dans le meurtre, un don dérisoire sans doute, une venue : un coeur battait dans la mer de cadavres nus. Ainsi le meurtre souverain connaîtrait lui aussi, un instant, la mélodie territoriale du merle. ·Rêve l’avait dit : Le vif du rythme saisit le sang blanche.[1]
J’imagine assez bien la réaction perplexe du lecteur ignorant du travail de Julien Boutonnier, à la découverte de ce bref passage tiré de l’ouvrage que je viens de lui offrir à lire. M.E.R.E., sous titré Rêverie-Auschwitz, publié par les éditions du Dernier Télégramme est un livre monstre de près de 700 pages. Est-ce un récit ? Un traité ? Un composé de poésie visuelle ? Une histoire fantastique de métamorphose ? Un commentaire de rêve ? Un chant à la mémoire d’une mère. Et de tous les disparus ? Une réflexion sur les pouvoirs ou pas de la littérature ? Le statut particulier de celle qu’on appelle des camps ? Un tableau expressionniste de la dépression ? Une caricature des modes de pensée et d’organisation de nos sociétés d’imposition ? L’œuvre d’un fou littéraire qui, à la différence du personnage imaginé par Queneau dans La Petite gloire, se serait trouvé quand même des lecteurs ?