Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
dimanche 16 janvier 2022
samedi 15 janvier 2022
S’IL FALLUT UN JOUR LA GUERRE, UN PREMIER LIVRE SECOURABLE D’ANNE BROUSSEAU AUX ÉDITIONS LA TÊTE À L’ENVERS.
Amrita Sher-Gil, Paysage d'hiver Hongrie, 1939 |
On sait à quel point le mot « guerre » couvre aujourd’hui un spectre des plus larges. Notre bon Président n’a-t-il pas établi que nous étions en guerre. Contre un virus invisible sans doute. Mais en guerre quand même. La guerre dont parle Anne Brousseau dans l’ouvrage qui paraît d’elle aux éditions La tête à l’envers, est quant à elle une guerre intérieure. De celles qui déchirent l’être. Le rendent mal habitable. Douloureux. Jusqu’à le rendre insupportable. Parfois.
Ce n’est toutefois pas de l’intérieur comme généralement le fait cette forme de poésie dite confessionnelle dont le mérite quand elle est vraie – terme bien sûr dont il faudrait activement débattre – est de mettre en évidence et de proposer en partage, cette intime difficulté à vivre qui est le lot de bien des âmes et pas toujours des plus apparemment fragiles, non, ce n’est pas de l’intérieur, à la première personne, qu’Anne Brousseau rend compte de cette « part noire » destructrice, adonnée à la colère, que beaucoup portent en eux. Et qui leur fait la guerre. Écrits à la troisième personne, la suite, l’itinéraire, que forment la quarantaine de courts poèmes qui composent l’ouvrage, dressent en fait l’image d’une figure masculine qui entreprend sa lente et difficile reconstruction, près d’une femme et d’un jardin vers lesquels elle est revenue. Et c’est à toute la puissance d’empathie de l’auteur, plutôt qu’à sa capacité directe d’expression, son expressivité pure, que nous devons d’approcher par le texte, le drame dont elle s’efforce de comprendre et de nous faire comprendre l’énigmatique nature.
jeudi 13 janvier 2022
INÉPUISABLE ! SUR LE DERNIER LIVRE DE PIERRE VINCLAIR, L’ÉDUCATION GÉOGRAPHIQUE AUX ÉDITIONS FLAMMARION.
Inépuisable Pierre Vinclair. Voici que paraît en ce début janvier, chez l’éditeur Flammarion, un nouveau titre de lui, L’Éducation géographique se présentant comme le premier volume, en près de quatre cents pages, d’un ensemble qui en comptera, nous est-il annoncé, trois autres. Rares sont les poètes d’une telle fécondité. Qui, à l’époque de la multiplication des furtives plaquettes dans lesquelles cherche à se concentrer l’ardent foyer de la plupart des énergies poétiques, risque à certains de paraître suspecte. L’exemple toutefois dans le passé d’un Hugo ou aujourd’hui d’un Darras, nous empêchant, quant à nous, de lui en faire a priori procès. D’autant que l’ambition, le projet comme la mise en oeuvre des publications de Vinclair, présentent toujours quelque chose d’intéressant. Intéressant étant d’ailleurs l’une des notions majeures autour desquelles tourne sa réflexion poétique.
Ainsi « dire ce qui compte à ceux qui comptent » sans vouloir faire Littérature, c’est-à-dire, sans vouloir coûte que coûte imprimer sa marque dans l’histoire d’un genre ou prétendre bouleverser d’un grand geste d’écriture l’être, pourquoi pas, de l’homme au cœur même de la Nature et du Monde, se contenter d’adresser ses compositions de parole à des lecteurs dotés pour soi de valeur, en faire donc communication – c’est moi qui souligne – a tout pour éveiller bien sûr mon intérêt. Sans préjuger naturellement de la nature de ce « dire », du contenu précis de ce qui compte, ni de la personnalité de ses destinataires. Qui peuvent tout aussi bien aller du moi singulier de l’auteur, qui se trouve être son premier lecteur, son premier « découvreur » en somme, à l’humanité tout entière.
samedi 8 janvier 2022
NOUS RÉAPPROPRIER L’ÉPOPÉE. SUR LE DERNIER LIVRE DE JACQUES DARRAS, AUX ÉDITIONS DU CASTOR ASTRAL.
ÉPIQUE ! en capitales d’imprimerie suivies d’un point d’exclamation tel est le titre de la toute dernière publication du poète Jacques Darras aux éditions du Castor Astral. Voila qui nous avertit qu’il ne s’agit pas là d’un simple ouvrage d’histoire littéraire mais bien plutôt comme toujours chez Darras d’une affirmation d’être qui sonnerait ici comme un cri de ralliement s’efforçant d’entraîner avec lui l’ensemble des forces créatrices qui s’occupent encore aujourd’hui à donner sens et puissance à la poésie. Le sous-titre de l’ouvrage, Le poète dans le temps, sans majuscule à poète, indiquant qu’il ne s’agit pas ici de se limiter à circonscrire un genre mais de s’inscrire au cœur d’une communauté de concepteurs et d’inventeurs de formes répondant par la parole aux défis de leur temps.
Il suffira d’ailleurs de lire l’émouvante dédicace rédigée par l’auteur à « la mémoire d’Édouard Darras », son « grand-père paternel, pulvérisé dans la poussière de l’anonymat par l’artillerie allemande dès septembre 1914, au Bois de la Gruerie, et de son fils Paul », père de l’auteur, « orphelin à l’âge d’un an, pupille de la Nation, retenu prisonnier plus de cinq ans en Silésie lors de la Seconde Guerre mondiale » pour bien comprendre les véritables enjeux d’un livre qui ne vise à rien moins qu’à « exhorter le sujet humain à s’affranchir définitivement des nationalismes et collectivismes de toute espèce, et à reprendre l’épopée simple et aléatoire de sa vie sur Terre, en étroite filiation avec les siens, les éléments et les étoiles dans l’Univers ».
mardi 4 janvier 2022
JUIN SUR AVRIL, UN TRAVAIL D’ELKE DE RIJCKE AUX ÉDITIONS LANSKINE.
Passer d’un signe de feu à un signe d’air, de l’énergie libérée et sans doute un peu folle du désir à une sorte de plus cérébrale compréhension de ce qui fait sa relation profonde à ce qui de partout la déborde ainsi pourrait, dans un premier temps peut-être, se définir le projet du dernier livre de l’artiste-poète bruxelloise Elke de Rijcke que viennent de publier les éditions LansKine.
Tournant autour des drames compliqués de la relation amoureuse, des effets aussi de l’âge sur le corps, des incessantes métamorphoses dont se pare l’existence, des pertes irréversibles encore qui la scandent, nourrie d’une attention précise incessamment renouvelée aux innombrables et mouvants objets des sens et de l’art comme de toute une littérature scientifique dont le vocabulaire d’ordinaire jugé incompatible avec celui de la poésie est en revanche assez souvent convoqué par les artistes contemporains et leurs ingénieux curateurs, le livre d’Elke de Rijcke est un livre ambitieux qui ne se propose rien de moins encore que de renouveler sa « captation du réel » dans un effort qui va de l’organique à la pensée et réciproquement, comme de la sensation à la représentation se repliant systématiquement sur elles-mêmes.
samedi 1 janvier 2022
samedi 11 décembre 2021
ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. ÉCRIRE AU CŒUR DU MONDE. AVEC CLAUDE FAVRE.
Pour une présentation de ce livre voir notre note de lecture précédente.
HOSPITALITÉ DE LA POÉSIE. SUR L’ÉCHELLE DANSER DE CLAUDE FAVRE AUX ÉDITIONS SÉRIE DISCRÈTE.
C’est une poésie courageuse, généreuse, hospitalière que celle de Claude Favre dans ce court livre publié avec l’aide du CNL, par série discrète, jeune maison d’édition bordelaise que je ne connaissais pas mais qui mérite apparemment d’être découverte.
Il faut un certain sens de l’équilibre pour oser, comme l’indique le titre, sur l’échelle danser, et c’est un art de funambule que convoque Claude Favre qui trace page à page, mot après mot, sa ligne entre ce que lui dicte son sentiment personnel de précarité et la manière intime dont elle participe de la grande souffrance du monde, enfin, des innombrables victimes, laissés pour compte, qu’il produit. Jusqu’à s’émouvoir du sort des papillons monarques, qui en raison de la hauteur du mur construit par Trump à la frontière mexicaine ne peuvent plus accomplir leur migration hivernale vers le sud et se voient condamnés à disparaître. Et j’apprécie que contrairement à ce que je vois dans l’attitude de certaines des belles âmes qui ne font que commerce de leur engagement, s’emparant des causes du moment pour faire publiquement étalage de leur invétéré narcissisme, la compassion qui anime Claude Favre n’est jamais vague. Mais accompagnatrice[1].