samedi 11 décembre 2021

HOSPITALITÉ DE LA POÉSIE. SUR L’ÉCHELLE DANSER DE CLAUDE FAVRE AUX ÉDITIONS SÉRIE DISCRÈTE.

C’est une poésie courageuse, généreuse, hospitalière que celle de Claude Favre dans ce court livre publié avec l’aide du CNL, par série discrète, jeune maison d’édition bordelaise que je ne connaissais pas mais qui mérite apparemment d’être découverte.

Il faut un certain sens de l’équilibre pour oser, comme l’indique le titre, sur l’échelle danser, et c’est un art de funambule que convoque Claude Favre qui trace page à page, mot après mot, sa ligne entre ce que lui dicte son sentiment personnel de précarité et la manière intime dont elle participe de la grande souffrance du monde, enfin, des innombrables victimes, laissés pour compte, qu’il produit. Jusqu’à s’émouvoir du sort des papillons monarques, qui en raison de la hauteur du mur construit par Trump à la frontière mexicaine ne peuvent plus accomplir leur migration hivernale vers le sud et se voient condamnés à disparaître. Et j’apprécie que contrairement à ce que je vois dans l’attitude de certaines des belles âmes qui ne font que commerce de leur engagement, s’emparant des causes du moment pour faire publiquement étalage de leur invétéré narcissisme, la compassion qui anime Claude Favre n’est jamais vague. Mais accompagnatrice[1].

De l’équilibre, il en faut aussi pour ajuster sa voix à celle de tous ces écrivains du monde dont elle aura appris par cœur les textes qui lui reviennent en fortifiants éclats tout au long des quelques soixante-dix pages d’un ouvrage tenu, qui bien que procédant par fragments successifs dépourvus d’articulation logique, paratactiques en quelque sorte, suivent le fil d’une sensibilité toute tendue par cette nécessité qui l’anime d’aller, de continuer à avancer, avec ses mots, avec les mots, tous les mots rassemblés, pour dire à la fois la détresse, le manque mais aussi le désir, le besoin de justice et surtout de beauté. De plénitude aussi. Dont on voit à chaque endroit à quel point ils l’emplissent.

D’où ces nombreux verbes. Ces multiples infinitifs qui font tantôt constat. Tantôt programme, intention. Force mobilisée. Car l’écriture ici est tout sauf littérature. Manifeste dans le fond mais plus que de survie, manifeste, je dirai, de foncière hospitalité, celle qui consiste à ne se sentir exister qu’en se laissant traverser, et par les voix des autres et leur exigence de vie. Exigence qui dans la bouche de Claude Favre bouscule à l’occasion tout le convenu, l’apprêt confortable des mots sans qu’à aucun moment ne se perde la vitale nécessité de se faire comprendre. Ou pour le moins, entendre. Et pourquoi pas, aimer.

On ne peut d’ailleurs qu’être bouleversé par une telle voix qui fait s’entrecroiser tant d’énergie, de rêves et de misères vraies. Qui rappelle aussi de quels pouvoirs peuvent être les mots. Qui comme la panthère de Dante[2], derrière leur séduisant parfum ne sont pas dépourvus de griffes. Attirent abstraitement – simples signes - pour mieux, chez certains, leur déchirer le cœur. Ce cœur justement qu’on sent, chez Claude Favre, tellement perméable à toutes les douleurs, qu’il cogne fort et monde. Et retentit en nous. Comme appel à nous retrouver plus ensemble et surtout plus humains.

DÉCOUVRIR UN EXTRAIT SIGNIFICATIF

[1] Je ne sais pas grand-chose de Claude Favre sinon que sa situation matérielle ne doit pas être drôle. C’est cela peut-être aussi qui, c’est bien connu, la rend « hospitalière ». (voir pages 42 et suivantes du livre.)

[2] C’est sur une référence à la panthère de Dante que se clôt le volume. Ici Claude Favre reprend l’allusion à la chasse qui animait la pensée de l’auteur de L’éloquence en langue vulgaire. Pour elle l’inverse d’une quête de l’identité. Plutôt celle d’une des-identité (cf. « N’endosser aucune identité. Brûler les papiers » dans un souci d’ouverture généralisée au monde. Je propose de mon côté une autre interprétation de cette allégorique panthère.

 

2 commentaires:

  1. que c'est magnifique de recevoir cette page en cette fin d'année...cette fin d'année précisément.. si misérable. merci beaucoup

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