mercredi 24 novembre 2021

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. DEUX PETITS LIVRES D’ÉRIC SAUTOU PUBLIÉS CHEZ FAÏ FIOC.


« ce sont/ de petits grelots dans la main (des chansons minuscules) ». Ce qu’Éric Sautou, dans le tout dernier poème de Son enfance[1], dit, sans d’ailleurs le préciser, des fleurs qui, dans son souvenir, à moins que ce ne soit vraiment sous ses yeux, refont merveilleusement bouquet, peut aussi bien se dire de ses propres poèmes, dans leur touchante et discrète fragilité. Cette impression qu’ils donnent d’être moins l’expression d’un sentiment que le remuement, l’incessant tremblement d’une conscience alarmée que tout peut venir et revenir troubler.

 

Le trouble est d’ailleurs une des caractéristiques de cette poésie où tout, c’est vrai, paraît dans une sorte de transparente opacité qui veut que les réalités les plus intimement éprouvées ne soient en mots traduites qu’à travers les termes les plus génériques qu’il appartient au lecteur dans le silence de sa propre sensibilité, l’évidence pour lui jamais arrêtée de sa propre histoire, de refaire à son tour vibrer. Et bien sûr autrement[2].

 

C’est ce silence là qu’accuse à chaque instant le blanc qui fait que les vers de Sautou, avec leurs constants glissements, débordements, recouvrements, leurs répétitions, reprises, leurs ellipses, leurs cassures et leurs subtils déboitements, finissent par pouvoir dire ce que les mots ne peuvent dire. Car la poésie pour Sautou n’est pas faite de mots, de ces mots dont il dit que même sils ne sont jamais sans importance, ils empêchent le sens. Font obstacle. Elle n’est que traversée. Tentative de traversée. Mouvement vers. Vers l’au-dedans, comme vers le disparu des choses. Qui pour lui pourtant ne sont jamais très loin. Viennent et reviennent en vagues. Sans qu’on puisse les retenir. Jamais.

 

Poésie de l’indicible, c’est par son extrême simplicité de langue et le caractère réellement éprouvé de son art que la poésie d’Eric Sautou parvient à communiquer quelque chose de notre inguérissable fragilité dans un monde où chaque chose fait écho à la perte, à l’absence. Comme à notre impuissance. Ce sont certes de petits grelots. Et leur musique est souvent bien mélancolique. Je plains ceux qui, poètes, ou se prétendant tels, à l’écoute de cette voix, en eux ne l’entendraient pas. Ou ne voudraient pas y descendre[3].

DÉCOUVRIR DES EXTRAITS.


[1] J’aimerais tout citer de ce dernier poème dont je ne voudrais pas abimer en les glosant lourdement l’évidence magnifique et la profonde simplicité. Juste quand même signaler comment les toutes dernières lignes nous conduisent à travers un jeu subtil d’oppositions à la fois thématiques, temporelles et syntaxiques jusqu’au sentiment d’une accordance comme retrouvée avec le présent immense.

[2] Ainsi, dans cet autre recueil, C’est à peine s’il pleut : la phrase titre apparaît à plusieurs reprises dans le livre, précédée d’un vœu, d’une prière « que revienne qu’il pleuve qu’il pleuve/ aujourd’hui que revienne c’est à peine s’il pleut ». Composés en partie à La Tamarissière, qui doit être une plage de l’Hérault, ces vers ne peuvent être sentis par moi qui suis des plages venteuses et pluvieuses du nord, de la même façon. Nous n’aspirons que bien rarement à la pluie dans nos boréales – j’exagère -  contrées. Bien entendu je comprends qu’il ici question de tout-à-fait, ou presque, d’autre chose que soulignent justement la répétition de la voyelle assourdie oe, la rime intérieure entre « peine » et « revienne »…

[3] Dans le dernier poème de C’est à peine s’il pleut, en date du lundi 21 mars, jour donc de printemps, « où tout est vert et bleu », Sautou qui vient d’évoquer « les vagues ou bien les voix » termine en écrivant : « alors je vous entends je vous entends/ je vous entends et je descends »

 

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