vendredi 12 novembre 2021

EN PERSPECTIVE. LES LARMES D’EMMANUEL MACRON.


 « Ému à en pleurer. » Je lis dans le Huffpost de ce jeudi 11 novembre qu’au cours de la cérémonie organisée par lui au Mont Valérien, pour honorer la mémoire du dernier compagnon de la libération, Hubert Germain, le Président Macron, n’aurait, en effet, pas caché ses larmes.  « Une séquence rare, commente le site d’information, pour un président de la République, rompu aux cérémonies parfois graves et solennelles. » Ces larmes m’en rappellent d’autres. Qu’analyse l’historienne de l’Antiquité, Sarah Rey dans un ouvrage intitulé, Les Larmes de Rome.

 

« Au début des années 60 avant J.C., écrit-elle, Jules César a pleuré au pied d’une statue d’Alexandre le Grand. Le futur dictateur commence alors sa carrière politique, il n’est encore que questeur en Espagne. Ses tournées d’inspection le conduisent jusqu’à Gadès (Cadix), au bord de l’Océan, ce bout du monde. D’ordinaire désinvolte, le jeune homme retrouve son sérieux devant l’effigie du conquérant et fait montre d’une tristesse qui en dit long : « Comme écœuré de son inaction, en pensant qu’il n’avait encore rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre, il demanda tout de suite un congé pour saisir le plus tôt possible, à Rome, les occasions de se signaler.[1] » Ses larmes sont chargées de sens, elles relèvent de l’aemulatio Alexandri, d’une comparaison avec le roi de Macédoine, qui ennoblit son élève en politique. Dans cet épisode espagnol comme dans d’autres récits, il apparaît que les Romains aiment pleurer « à la grecque » : ils sanglotent à l’évocation d’anciennes gloires helléniques, tel Alexandre, ou reproduisent les lamentations des héros homériques. Ils cherchent ainsi à s’inscrire dans un mouvement historique dont ils sortent vainqueurs : ils succèdent valeureusement aux Grecs, ils imitent leurs épanchements mêmes et vont plus loin qu’eux dans la solidité de leurs conquêtes autant que dans l’expression de leurs sentiments. Mais les soupirs que pousse César à Gadès sont bien vite chassés. Son ambition l’appelle à Rome. Des pleurs au rebond politique, il n’y a qu’un pas. Cette anecdote prouve que les émotions ont toute leur place dans l’espace public romain. Pour un homme en vue, comme César prétend le devenir, l’insensibilité constitue l’un des pires défauts qui soit. Lorsque Ptolémée XIII lui livre la tête coupée de Pompée, il ne se réjouit pas de ce cadeau sanglant, contrairement aux plans du jeune roi d’Égypte. Il se montre au contraire profondément ému par l’infortune de son ancien rival, il gémit sur le grand homme dont la course fut arrêtée sur une plage d’Alexandrie[2]. Feintes ou sincères, les larmes de César annoncent la suite : les jours de Ptolémée sont comptés, le conquérant installe bientôt Cléopâtre sur son trône. […] Propédeutiques à l’action, les larmes […] honorent le dirigeant qui les verse. ».



[1] Suétone, Vie de César, 7,1.

[2] Plutarque, Vie de César, 48,2 et Vie de Pompée, 80, 7.

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