vendredi 10 janvier 2020

ACTUALITÉ DE L’ŒUVRE D’ART. LE RADEAU DE LA MÉDUSE DE GÉRICAULT.

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« Lorsque l'incompétence et l'irrationalité, piétinant toute décence, continuent à mettre en danger des vies de 'moindre valeur', alors nous pouvons chercher avec une énergie et une attention accrues la connaissance que prodigue l'art. »
Oui, le regard qu’il est légitime de porter sur les grandes créations de l’imagination artistique ne peut s’abstraire de toute interrogation sociale et politique. Si le tableau nous parle, en lignes comme en couleurs, en formes et proportions, l’esprit qui le contemple a le devoir aussi de questionner la relation qu’il entretient avec les grandes idéologies et les divers systèmes de domination à l’œuvre dans son époque.
Le Radeau de la Méduse n’est pas seulement la prouesse artistique d’un jeune homme de 28 ans qui s’affirme comme l’un des peintres les plus doués de sa génération. Il est aussi pour chacun une image dans laquelle peut se lire quelque chose de la destinée d’une société abandonnée par ceux qui ont mission de la secourir ou de la piloter. C’est la raison pour laquelle la grande romancière américaine que nous citons ci-dessus, en a fait l’œuvre emblématique du travail mené par elle au Louvre en 2006, sous le titre Etranger chez soi. On sait que cet immense tableau qui fit l’objet de longues et méticuleuses recherches, suscita dès sa présentation au Salon de 1819 diverses polémiques du fait de ce qu’il donnait à voir et surtout à comprendre des effets désastreux d’un système politico-social accordant pouvoir aux individus les moins compétents sur la foule innombrable de ceux qui, comme on dirait aujourd’hui, ne sont rien. Cette contenance hautaine et méprisante, qu’on appelle la morgue, bien des hommes malheureusement toujours la manifestent. Elle fut celle de ce vicomte Duroy de Chaumareys, ce royaliste émigré et parfait incapable, auquel fut confié le sort de la Méduse qu’ignorant les conseils avisés de ses subalternes, il envoya s’échouer sur le banc de sable d'Arguin, au large de la Mauritanie. Condamnant plus de cent de ses hommes dont 15 seulement survécurent, à dériver sans vivres sur un radeau, ce premier de cordée trouva tout aussi naturel après avoir embarqué les hommes qui lui étaient confiés dans cette catastrophique aventure, d’assurer sa survie et celle des quelques privilégiés qui l’accompagnaient en montant, sous la protection de la troupe, dans un des rares canots dont il avait pensé à équiper son navire…

C’est le propre des chefs-d’œuvre de pouvoir être toujours réinterprétés. Qui ne voit qu’aujourd’hui l’œuvre de Géricault conserve sa capacité à alimenter nos réflexions comme à soutenir nos révoltes et nos indignations. Et je m’étonne – sans vraiment m’étonner - que notre époque si prompte à la commémoration ait à ce point négligé le bicentaire d’une des œuvres les plus marquantes de l’histoire de notre peinture. Puissent les quelques pages du commentaire éclairant qu’en donne Peter Weiss dans son Esthétique de la Résistance inciter ceux qui les liront à ranimer en eux l’esprit de ce sombre et terrible tableau.

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