Fernand Léger, Le Campeur, vers 1954, Biot |
L’été. Nous avons la chance de pouvoir profiter de la
franchise du moment non pour pratiquer le saut à l’élastique ou le jet ski mais
pour nous adonner aux plaisirs de la marche, aux joies de la baignade sur des
plages peu fréquentées ou des cours d’eau encaissés cherchant leur voie parmi
les roches et glissant sur des pierres où nous n’avons jamais mis le pied… Et
nous aimons l’été l’idée d’une autre vie ailleurs. Dans les couleurs et les
odeurs d’un pays qui n’est pas le nôtre. D’une campagne différente. Soumise à
des régimes de vents et de chaleurs, de découpes des ombres, d’affirmations
parfois brutales de lumière qui réveillent nos sens d’ordinaire peu enclins à
se trouver brusqués.
Ainsi, nous profitons des étés non pour tenter de revivifier
nos vieux corps mais pour faire un peu l’expérience d’une nouvelle enveloppe de
chair. Nous déployer un peu autrement dans l’espace du monde. Avec l’espérance
que ce que nous emporterons d’impressions et de lucide compréhension de ce que
nous devons à l’incertaine plasticité de notre être nous rendra finalement
moins gauches. Ou gourds. Plus aiguisés. Qui sait ? Peut-être plus
ouvertement vivants.
Et nous aimons alors que ces dispositions qui en l’un de ses
points particuliers, pour ne pas dire infimes, nous relient au grand substrat
physique de l’univers, servent de socle aux plaisirs que nous donnent la
découverte et l’incorporation de ces autres beautés que nous devons au génie
créateur de l’homme. Que ce soit ce village rassemblant ses maisons autour de
son église au sommet d’un éperon, ces œuvres intelligemment réunies pour
témoigner des multiples influences exercées sur un artiste dont la réputation
aura traversé les frontières, voire la dégustation d’un vin ou d’un mets que la
perfection reconnue de son lien avec la justesse d’un sol et d’une toute
rayonnante saison, nous fait frissonner de bonheur.
De cela nous avons besoin pour écrire et pour lire. Pour
animer aussi les pages de ce blog et conserver l’élan qui depuis maintenant
près d’un quart de siècle nous conserve sensible à ces voix parfois si
différentes de la nôtre.
Oui l’été élargit. Il élargit et nous permet d’enrichir
cette banque d’images et de souvenirs dans lesquels nous puisons tout au long
de l’année pour éveiller autour de nous d’autres curiosités. Rendre plus
familier ce qui a priori déroute. Redonner aussi parfois ses parts d’ombre à ce
qui se présente trop clair. La poésie ne prend pas de vacances. Elle prend
l’air. Sort un moment des mots pour aller voir les choses. Et faire un peu
l’épreuve de ce que pourrait être la vie sans le souci d’une œuvre ou d’un travail
à faire.
Hélion, Au cycliste, 1939,Centre Pompidou, Paris |
L’été alors, adonnés à la
santé du moment, comme l’écrivait Goethe,
peut-être sortons-nous enfin de l’abstraction des choses où nous condamne le
rythme de l’existence quotidienne pour revenir au monde comme les personnages
de cette première toile figurative de Hélion, Au cycliste, peinte en 1939, qu’on peut voir en pendant d’une œuvre
de Fernand Léger dans l’exposition intitulée VIS À VIS que son joli musée de Biot dans les Alpes Maritimes,
consacre à ses amitiés artistiques (voir note).
Léger, Les loisirs sur fond rouge, 1949, Biot |
Ce qui nous ramène à cette rude et difficile idée du
caractère à la fois merveilleux et terrible de tout ce qui existe : cet
homme sur un vélo qu’Hélion imaginait aller « aux choses, aux fleurs, aux paysages, vers les femmes » allait
en fait aussi vers les horreurs de la seconde guerre mondiale.
L’été ne ferme pas les yeux.
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