« Circé l'enchanteresse estoit vestue d'une robe
d'or, de deux couleurs, estoffée partout de petites houppes d'or et de soye, et
voylée de grands crespes d'argent et de soye : ses garnitures de teste, col et
bras, estans merveilleusement enrichies de pierreries et perles d'inestimable
valeur : en sa main, elle portoit une verge d'or de cinq pieds, tout ainsi que
l'ancienne Circé en usoit, lorsque, par l'attouchement de cette verge, elle
convertissoit les hommes en bestes et en choses inanimées. »
Les historiens du
spectacle s’accordent généralement pour voir dans le Balet comyque de la
Royne (1), présenté le dimanche 15 octobre 1581 dans la salle du Petit-Bourbon,
face au Palais du Louvre, la première ébauche significative de ce qui allait
devenir l’Opéra. On voit par la description qu’en donne ici le principal
organisateur, l’italien Balthasarini qui prit pour l’occasion le nom de Balthasar
de Beaujoyeulx et se fit attribuer le titre de Valet de Chambre du Roy &
de la Reyne sa mère, qu’on ne lésinait guère à l’époque sur les costumes et
que si ces derniers ne se souciaient que fort peu de naturel ou de vraisemblance,
tout semblait bien être fait pour qu’ils concourent avec les autres éléments du
spectacle à émerveiller le spectateur et mettre surtout en valeur la
magnificence des personnalités qui l’avaient commandité (2).
Je sais finalement assez
peu de choses sur l’histoire du costume de scène : ma formation m’ayant
malheureusement fait me tourner davantage vers la matière verbale des textes
que vers ces matières et ces formes textiles dont j’ai à l’occasion pu me
rendre compte qu’elles jouent dans certaines productions un rôle remarquable.
C’est pourquoi passant dernièrement à proximité de Moulins, je n’hésitais pas à
faire un léger détour.
Moulins, Moulins sur Allier, est une ville disparate. J’y
logeai dans une grosse bâtisse sans grâce après un bien délicieux repas au Bistrot de Guillaume et m’être démultiplié
à l’infini entre les glaces du superbe Grand Café de style 1900 qui se trouve à
deux pas sur la place. En chemin j’avais eu la surprise d’une sorte de grosse
villa touquettoise prise entre la tour-donjon médiévale, dite la Malcoiffée dont
je possède dans mon bureau une jolie gravure réalisée au XIX par Queyroy, et
les ailes d’un beau pavillon présenté comme le premier bâtiment de style
renaissance construit en France vers 1500 pour cette Anne de Beaujeu dont je
comptais bien découvrir le portrait sur le volet droit du célèbre triptyque de
la Vierge de l’Apocalypse que cache la chapelle des Evêques parcimonieusement
ouverte dans la cathédrale proche.
Mais c’est à l’ancienne et noble caserne de cavalerie qui
borde la rive sud de l’Allier et abrite aujourd’hui le Centre national du
costume de scène et de la scénographie, première structure au monde à être
entièrement consacrée au patrimoine du spectacle vivant (théâtre, opéra, danse…)
que j’entendais consacrer l’essentiel de mon attention. On y arrive assez vite
par ce pont réalisé dans la seconde moitié du XIX par un certain Régemortes mais
que d’aucuns dans la ville, continuent d’attribuer au plus célèbre Hardouin, le fameux architecte de Louis XIV
qui en construisit une première version à trois arches vite emportée par les
crues sauvages de la forte rivière qu’elle s’imaginait souverainement dompter.
Il faisait un soleil de plomb, royal, dans la vaste et belle
cour de caserne édifiée sous Louis XV et rien ne pouvait d’abord me convenir
mieux que cet impératif obligeant de ne pas soumettre les fragiles costumes à
des lumières trop vives ainsi qu’à des températures caniculaires. Je passais
assez vite sur l’espace dédié depuis la naissance du musée à Noureïev pour réserver
les faibles capacités de concentration que me laisse la fatigue des voyages, à
l’exposition en cours consacrée au monde enchanté des contes de fées.
Naturellement en ce cœur des vacances d’été, les salles
parmi lesquelles étaient distribuées les différents aspects du passionnant
parcours qui m’attendait étaient plus qu’animées par tout un brouhaha
diabolique d’enfants que leurs pauvres parents tentaient avec plus ou moins de
patience et de savoir-faire d’entraîner à la rédaction du carnet de visite ou
du livret-jeu que la plupart des établissements d’aujourd’hui se sentent tenus
de proposer pour en motiver et guider la visite. Pas facile de ce fait
d’entendre et de regarder tranquillement les extraits de spectacle
judicieusement placés au pied des vastes vitrines où se trouvaient exposés une
partie des quelques 150 costumes issus des diverses représentations de contes
évoqués en ces lieux. Et j’avoue que je
regrettais bien alors de n’avoir pas à disposition la baguette de Circé qui m’aurait
aisément permis de mettre un terme à toute cette agitation.
On l’ignore généralement mais Charles Perrault était
petit-fils de brodeur tout comme Jean-Baptiste Poquelin était fils de drapier.
Et c’est vrai qu’on ne compte pas parmi les personnages des contes qui toujours
nous fascinent ces petites ou larges mains qui travaillent le cuir ou la
toile : fileuses, tailleurs, dentelliers et brodeurs, savetiers,
cordonniers, nous rappellent à quel point les métiers du costume tenaient une
place de choix dans l’univers d’autrefois. Et c’est à juste titre que l’intéressant
Dossier (3) réalisé par l’équipe pédagogique du musée rappelle que « parmi les nombreux ingrédients qui assurent le bon déroulement de ces
intrigues sur scène, les costumes dont certains sont devenus de véritables
symboles comme le manteau du Petit Chaperon rouge, la peau d’âne de la
princesse, la pantoufle de vair de Cendrillon, les bottes du Chat botté et du
Petit Poucet, la redingote du Petit Prince, les atours maléfiques de la fée
Carabosse... figurent au tout premier plan » et précise que « toujours
réinterprétés aujourd’hui, les contes, en particulier ceux de Charles Perrault,
offrent aux costumiers un terrain fertile à l’expression de leur
imagination » constatant
« qu’ ils y déclinent un vocabulaire vestimentaire, où les styles et
les époques, historiques ou contemporaines, réalistes, fantaisistes ou
futuristes, se côtoient avec magie. »
Costume de Jorge Gallardo pour la Belle et la Bête |
Et c’est bien là le grand mérite de cette intelligente et
agréable exposition : que de mettre clairement en lumière l’inventivité et
la créativité de ces costumiers qui, partant d’un même texte, l’habillent
suivant des esthétiques singulières. Car, si un certain nombre de compagnies de
ballet ou d’opéra, voire de marionnettistes ont tendance à propos des œuvres
les plus connues de ce répertoire des contes, à ne pas trop s’éloigner des
représentations traditionnelles, ou à se contenter de quelques signes pauvres
et allusifs, les meilleures n’hésitent pas à faire œuvre de plus d’imagination
et à faire se produire leurs personnages sous des dehors beaucoup plus
surprenants en créant pour eux de véritables costumes relevant d’une esthétique
plus ambitieuse et plus contemporaine. Ce qui suppose des costumiers qui soient
aussi des artistes. En témoignaient ici pour moi à Moulins, ces somptueux costumes
d’inspiration japonaise de Tomio Mohri, réalisés pour le Coq d’or de Rimski-Korsakov à l’intention du metteur en scène issu
de la tradition kabuki, Ennosuke Ichikawa. Ou les créations aux antipodes l’une
de l’autre de Philippe Guillotel et de Jorge Gallardo pour la Belle et la Bête confrontées dans la salle 12 de l’exposition.
Ceux qui suivent un peu régulièrement ce blog savent qu’il
m’arrive de pester contre l’emploi de plus en plus fréquent comme de plus en
plus vague de l’adjectif « poétique ». Cet adjectif ne servant
souvent qu’à conférer une sorte de plus-value factice à toutes sortes de
réalités n’ayant rien à voir avec ce genre appelé « poésie » qui par
ailleurs peine à survivre dans notre époque où l’industrie culturelle est
presque totalement parvenue à étouffer les productions d’art ne se réclamant
que d’une authentique exigence de création personnelle. Pourtant, je
n’hésiterai pas ici à écrire que cette exposition du musée du costume de scène
de Moulins a quelque chose de poétique si l’on veut bien entendre par « poétique » non ce trop fameux « je ne scay quoy » dont
Furetière disait qu’on l’employait pour désigner les « choses dont on ne peut trouver la vraye
expression » mais ce qui déporte l’imagination vers de nouveaux
espaces, stimule notre sensibilité à de nouvelles matières et identifie
finalement de nouveaux domaines de création conscients de leurs logiques
propres.
Et tant mieux pour les enfants s’ils se sont amusés !
NOTES
1.
On trouvera tout ce qu’il
faut savoir sur le Ballet comique de la reine et jusqu’à la somme qu’en tira
Pierre De Ronsard en cliquant sur le lien suivant :
2.
Adolphe Julien à qui l’on
doit une des premières histoires du costume de théâtre (parue chez Charpentier
en 1880) rapporte qu’ « à
l'occasion, les comédiens ne rougissaient d’ailleurs pas de stimuler pour leur
costume la générosité des grands et que lorsque Quinault fit jouer, en 1665, à
l'Hôtel de Bourgogne, sa comédie de la Mère
coquette ou les Amants brouillés, Raymond Poisson, le Crispin sans rival,
le chef de cette célèbre famille de comédiens, se trouva fort embarrassé pour
se procurer le costume d'une extrême élégance qui convenait à son rôle de
marquis ridicule. Le spirituel acteur s'en tira par l'épître suivante :
A MONSEIGNEUR LE DUC DE CREQUY
Les Amants brouillés, de Quinault,
Vont dans peu de jours faire
rage ;
J'y joue un marquis, et je
gage
D'y faire rire comme il faut
;
C'est un marquis de
conséquence,
Obligé de faire dépense
Pour soutenir sa qualité ;
Mais, s'il manque un peu
d'industrie,
Il faudra, de nécessité,
Que j'aille, malgré sa
fierté,
L'habiller à la friperie.
Vous, des ducs le plus
magnifique,
Et le plus généreux aussi,
Je voudrais bien pouvoir ici
Faire votre panégyrique :
Je n'irai point citer vos
illustres aïeux
Qu'on place dans l'histoire
au rang des demi-dieux ;
Je trouve assez en vous de
quoi me satisfaire;
Toutes vos actions passent
sans contredit.
Ma foi! Je ne sais comment
faire
Pour vous demander un habit. »
3.
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