mardi 15 novembre 2022

SUPPORTER L’INSUPPORTABLE. SUR LE LIVRE DE FRANÇOIS COUDRAY ÇA VEUT DIRE QUOI PARTIR AUX ÉDITIONS ALCYONE.

De quelle consolation sont capables les mots ? Face à la perte. Au deuil. À la souffrance, impossible chez certains, à supporter. Je ne sais. Ne sachant en fait qu’une chose : c’est qu’ils restent nécessaires. « Il fait plus clair quand quelqu’un parle » nous fait comprendre Freud. « Toute peine est supportable dans la clarté » écrit la philosophe Simone Weil.

Mettre des mots sur le suicide d’un frère plus jeune[1], s’interroger sur tout ce que la réalité comme le sentiment, de son absence, aura transformé et continue de transformer en lui, constitue le dur et sans doute indispensable travail auquel François Coudray s’est jeté au sens presque physique du terme, dans l’ouvrage qu’il fait aujourd’hui paraître chez Alcyone. Divisé en 3 courtes sections, Cendre[2], Lieu, Corps, émaillé de diverses expressions ou citations empruntées à une bonne dizaine d’auteurs aimés, Ça veut dire quoi partir est un livre par lequel une douleur tente progressivement de s’habiter elle-même, la déchirure d’une absence de se recoudre en présence, un vide enfin de se renverser en plein.

dimanche 13 novembre 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. PIERRE PERRIN.

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Pour compléter ma récente note de lecture sur l’ouvrage de Pierre Perrin, Des jours de pleine terre, voici quelques poèmes qui viendront j’espère donner à leur lecteur l’envie d’en découvrir davantage. Les pédants s’ingénieront, c’est aussi leur droit, à examiner d’un peu plus près la manière dont l’auteur travaille à faire jouer le rythme ample déjà de ses vers, bien assourdi, c’est vrai, par l’absence de rimes, avec celui distinct de ses phrases, jouant souvent de leur non-coïncidence. Ce qui ne va sans doute pas sans essentielle signification. Tant le rythme en poésie parle. Les mêmes pédants, dont je suis bien entendu, ne manqueront pas non plus de rapprocher le caractère volontairement trivial parfois du poème, voir celui intitulé La Porte, de certaines poésies fameuses du premier Rimbaud. Celui d’avant les Illuminations. Par quoi se vérifiera le caractère filial, comme j’ai dit, de cette écriture qui sans doute ne sera pas trop bien accueillie par nos extrêmes contemporains. Ils n’oublieront pas pour finir de se pencher sur l’usage très personnel par Pierre Perrin de l’épigraphe. Un usage qui réhabilite cet élément en en faisant un élément essentiel du texte. Lui conférant souvent une dimension réflexive supplémentaire. Ce qui me conforte dans l’image que je me fais de ce poète anti- mallarméen au possible qui loin de vouloir comme c’est un peu la mode dans certains milieux, suspendre le sens, cherche par tous les moyens à le multiplier.

Et puis parce que tout pédant peut cacher sous sa glaçante écorce un cœur prêt à s’enflammer, ils ne résisteront pas à contempler longuement, comme en écho à tous ces mots, les pommes tellement présentes, vibrantes, de Courbet. Des pommes qui auront vu l’écroulement de la Commune. Mais n’en font que davantage éclater leurs couleurs sur un mirage d’éternité[1].



[1] Comtois comme lui, Pierre Perrin a consacré à son « pays » Gustave, et sous le titre Le Modèle oublié, un livre dont l’un des principaux mérites, à ma connaissance, est d’évoquer l’histoire de ce peintre à partir du regard de son principal modèle, Virginie Binet.

jeudi 10 novembre 2022

PIERRE PERRIN, POÈTE FILIAL ET RÉFRACTAIRE. À PROPOS DE SES JOURS DE PLEINE TERRE AUX ÉDITIONS AL MANAR.

« Dès que quelqu’un est mort, une rapide synthèse de sa vie à peine conclue se réalise. Des milliards d’actes, d’expressions, sons, voix, paroles, tombent dans le néant, quelques dizaines ou centaines survivent et quelques-unes de ces phrases résistent, comme par miracle, s’inscrivent dans la mémoire comme des épigraphes, restent suspendues dans la lumière d’un matin, dans les douces ténèbres d’une soirée ». À quoi se réduit c’est vrai la mémoire que nous conservons des autres. Poètes, combien d’entre nous laisseront derrière eux, en heureux talisman, comme l’écrit Pasolini, ces « quelques phrases qui résistent », cette poignée de paroles vivaces échappées du néant où nous serons plongés ?

C’est donc essentiellement pour soi, pour le présent, qu’il faut se résoudre à écrire. N’en déplaisent aux Ronsard, aux Hugo, même aux Apollinaire de contrebande qui fréquentent aujourd’hui les bas ou les hauts lieux de la poésie en y transportant les illusions, les chimères de l’ancien monde. Pathétique, de plus en plus, de voir tous ces livres paraître en rêvant de partages. Pire parfois, d’une postérité.

vendredi 4 novembre 2022

LA POÉSIE EN MODE PRIVÉ. À PROPOS DE CONSTRUIRE DE CLARA REGY CHEZ RHUBARBE.

La poésie qu’on pourrait dire de mode privé, j’entends par là celle par laquelle une histoire personnelle cherche au moyen d’une langue le plus souvent elliptique, imagée, et sans passer par les opérations formelles de la représentation romanesque, à faire entendre ce qui la touche, l’affecte, ce qu’elle voudrait aussi pouvoir communiquer de sentiments tus, effacer de malentendus, à propos de toutes ces relations difficiles aux autres comme à soi auxquelles la vie nous oblige, cette poésie de mode privé témoigne toujours à mes yeux de cette absolue nécessité de la parole. Celle qui vient donner sens. Recrée de la présence. Renoue l’ensemble des drames vécus, des solitudes traversées, aux imaginaires communs de la langue. Pour s’offrir alors en partage. Se fondre en société[1].

Construire de Clara Regy, qui prolonge un peu comme elle me dit Ourlets II dont j’ai pu ici rendre compte, reprend son interrogation sur la figure du père dont elle survole à grands traits l’histoire, de son enfance de gamin nageant « dans les eaux souillées d’un étang où les vaches buvaient », éclatant dans les champs des grenouilles, décapitant des vipères, jusqu’à sa mort à l’hôpital, en passant par des scènes à l’intérieur d’une cuisine qui le montrent riant avec sa fille d’un passage de fées ou se déplaçant à grand-peine de son fauteuil au buffet pour s’y saisir comme il peut d’un morceau de pain et d’un verre de vin.

mercredi 2 novembre 2022

QUEL VIBRANT PILONNAGE ? SUR BRAIRE-ÂNE DE PATRICK WATTEAU AUX ÉDITIONS OBSIDIANE.

Tension de grille

Le thoracique est de pilonner le sujet comme apparence devancière, quoique l'apparition objective soit l'unique manière de se rejeter en arrière. Cette cause affûte tout car le nom ne doit pas être prononcé. Les mots de même assonance doivent être tus également. La tension s'étend à la file du fils et de la fille, au lignage près. Ce mouvement est celui des trayeurs de mon âme qui n'ont cessé de me retraire. D'où l'origine ballottée d'être le mot de passe, non plus d'os, comme tout à l'heure, mais de degrés. Or, le virement de la chose arrive toutes les fois que les termes sont contradictoires, alors que non, la défectibilité du rien montre la puissance d'agir du néant.  

Qu’on ne s’attende pas que je rende clair ici le propos de Patrick Wateau qui débute Tension de grille, l’une des courtes proses rassemblées sous le titre de BRAIRE-ÂNE aux éditions Obsidiane. Car ce que se propose l’auteur à travers ces phrases dont l’énigme l’emporte à chaque fois sur le caractère d’évidence que pourtant la claire syntaxe affecte de leur conférer, n’a rien de cette pensée mimétique qui ne se sert des mots que pour les faire aussitôt s’abolir dans quelque illusion de choses.

dimanche 30 octobre 2022

JEUX SANS FRONTIÈRES. SUR LES CRADUCTIONS DE BRUNO FERN, TYPHAINE GARNIER ET CHRISTIAN PRIGENT AUX ÉDITIONS LURLURE.


 

C’est un petit ouvrage réjouissant que nous proposent les éditions lurlure avec ces Craductions par lesquelles le trio constitué par Bruno Fern, Typhaine Garnier et Christian Prigent, prolongeant par là l’entreprise amorcée dans Pages rosses, paru aux Impressions nouvelles, s’ingénient à « traduire crado modo locutions savantes, bouts de citations, paroles de chansons, titres, noms propres » etc… empruntés non plus cette fois seulement au latin, mais à toutes sortes de langues européennes y compris, pourquoi pas, notre lointain ( far ) breton !

Se donne alors à savourer ce jeu potache[1] qui seul en fait sait redonner à la langue comme une évidence première, sa foncière matérialité d’éléments convertibles que l’intelligence libérée, joueuse, volontiers iconoclaste, entraîne comiquement à signifier par rapprochements, suggestion, voisinages, tout autre chose. De cette sorte de quiproquo verbal affectant par belle malice l’ignorance du béotien bousculant les frontières, il ressort que rien n’est jamais figé réellement pour l’esprit, l’esprit alerte, qui pourtant de plus en plus confronté à toutes sortes de formules cherchant à le fossiliser n’en conservera pas moins toujours, ses capacités de détournement, la carnavalesque puissance de leur opposer masques, tarasques ou bergamasques ! À plaisir comme à volonté.

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[1] Je recommanderai d’ailleurs volontiers aux professeurs de mes amis de donner à découvrir quelques exemples de ces craductions en demandant par exemple à leurs élèves dans un premier temps d’identifier la langue source, la nature du terme ou de la locution avec son sens puis de retrouver le processus par lequel aura pu passer l’auteur. Enfin d’imaginer pourquoi pas des craductions alternatives.

samedi 29 octobre 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. MILÈNE TOURNIER : SE COLTINER GRANDIR.

 

 Je n’aurai finalement rien écrit sur le dernier livre de poésie de Milène Tournier. Non par indifférence. Bien au contraire. Mais parce qu’il fait pour moi partie de ces livres dont on ne peut parler à la hâte. Ces livres qui pour leur auteur ont quelque chose de vital. Et qui pour les lecteurs dont je suis ouvrent à l’intérieur des espaces où se reconnaît pour eux l’essentiel de ce qu’ils ont aussi à vivre.

vendredi 28 octobre 2022

ÉLOQUENCE DE LA PEINTURE. À PROPOS D’ALICE NEEL.


On connaît peut-être ces Conversations sur la connaissance de la peinture où Roger de Piles, diplomate mais aussi grand théoricien de l’art du XVIIème siècle, fait s’affronter en la personne de Damon, l’expert et de Pamphile, l’amateur, deux conceptions, non pas de la peinture mais de son approche par ceux qui prétendent s’y intéresser. La peinture qui par essence ne parle pas, est par nature muette, ne fait-elle pas plus entendre par son silence que n’importe quel discours, n’importe quel aveugle assemblage de mots ? Est-il aussi bien nécessaire de tout savoir sur un artiste pour se laisser émouvoir par son œuvre ? Oui, comme souvent, on aurait tort de mépriser ces lointaines interrogations, venues d’ailleurs elles-mêmes de plus loin, au nom de je ne sais quelle avantageuse ou contrainte modernité.

mardi 11 octobre 2022

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. UNE RENCONTRE CONTINUÉE DE JAMES SACRÉ AU CASTOR ASTRAL.

J’aime la poésie de James Sacré. Comment d’ailleurs ne pas l’aimer, elle qui noue depuis plus d’un demi-siècle une relation à la vie toute d’ouverture, d’attention, de sensibilité sans jamais élever la voix, adopter de grands airs ou renvoyer son lecteur à sa prétendue nullité. Certes il y a parfois quelque complaisance et une certaine facilité dans l’œuvre si généreuse de Sacré, mais c’est aussi ce qui nous la rend plus humaine et familière[1], dans sa toute confiante et voisine prodigalité.

D’autant que le souci de langue, l’inquiétude vraie qu’il en a, empêche chez lui à chaque fois l’image de se figer, la fragile rencontre qu’établit le texte avec le monde de, comment dire, se vernisser, se vitrifier et qu’il est à mon sens un des rares chez qui la parfaite clarté toujours de l’expression, qui ne va pas comme on le sait, chez lui, sans bien des libertés, ne se berce d’aucune illusion de maîtrise ou d’appropriation.