Les retours que certains établissements, nous adressent, au sujet de la participation de leurs élèves au Prix des Découvreurs, font toujours bien plaisir à recevoir. Surtout ils nous confortent dans l’idée que plus que la désignation d’un ou d’une lauréate, importe d’avoir, à partir de nos propositions, su entraîner des jeunes à s’emparer des outils du langage comme de ceux de l’image et de la musique, bref de divers champs de la création, pour les autoriser à mettre à leur tour en forme, leur toute neuve ce qui ne veut pas dire vide ou insignifiante, expérience de la vie.
Je ne peux citer tous les messages récemment reçus. Ni publier ici l’ensemble des travaux qui m’ont été montrés comme les caviardages par exemple réalisés par ces collégiens de troisième de l’Académie de Rennes qui m’ont bien impressionné. De toute cette production, je me contenterai de donner un seul exemple, emprunté aux élèves d’un lycée que je connais bien pour y être à plusieurs reprises intervenu. Avec toujours le même bonheur.
Les élèves de secondes de Fanny Cambron-Huvelle (lycée Arthur Rimbaud de Sin le Noble) ont cherché à se rapprocher de leur propre vie à partir de quelques voies ouvertes par la lecture de certains textes de Milène Tournier, tirés de L’Autre jour, publié l’an passé chez Lurlure. On y voit notamment comment ces textes d’un jeune auteur contemporain autorisent mieux que tout autre qui serait issu d’un passé plus lointain à dire avec les mots d’aujourd’hui ce qui reste vécu dans le monde présent. On y sent comme la poésie d’aujourd’hui, dans cette perspective, peut agir comme une sorte de réactivation de cette parole sensible et créative que certains voulaient croire déjà, chez nos jeunes, perdue. Le poète et philosophe Jean-Claude Pinson dans les divers ouvrages qui ont suivi Habiter en poète, a largement théorisé la notion de « poétariat » dans laquelle il voit la force seule capable de faire un jour échec au règne de l’Homo œconomicus qui précipite actuellement le monde vers sa perte. Que chacun devienne, à travers l’éducation qu’il reçoit et la manière dont il cherche alors à s’instituer en Sujet de sa propre vie, l’artiste de son existence.
« Si l’on veut bien être attentif à ce que Deleuze appelait « le devenir révolutionnaire des gens », on verra » écrit Jean-Claude Pinson, dans un fort article qu’on pourra lire en accès libre ici, « que ce devenir artiste est aujourd’hui, aussi virtuel et minoritaire qu’il soit encore, un devenir général. C’est la force des mœurs des temps démocratiques que de placer chacun devant le dilemme de se faire « le poète de sa propre existence » ou bien de n’être qu’un mort-vivant parmi d’autres. Et quand il s’agit d’exister comme individu, chacun est enclin à exercer sa « raison artistique », à se conduire (sinon se considérer) comme un artiste (et d’abord de sa propre vie). Chacun du moins s’efforce de se ménager un atelier (ou chambre à soi, ou cabane) où il pourra « perruquer », exercer cette « créativité dispersée, tactique et bricoleuse » dont parle Michel de Certeau (tel aujourd’hui s’essaiera à la sculpture ; tel autre bricolera sa house music ; tel autre mettra en page son blog…). »
Car il ne s’agit plus de déplorer, comme on le fait, à longueur de temps, le peu d’intérêt que, sur le plan de la réception, suscitent en général les œuvres de l’esprit. Ce qui compte est de voir qu’au plan de la production, le désir de création va se généralisant.
C’est, en ce qui nous concerne, notre fierté, que de proposer depuis plus d’un quart de siècle, à tous ceux qui nous font confiance, des voies, à chaque fois singulières, pour accompagner ce désir, en le rendant plus conscient. Peut-être aussi plus puissant.