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dimanche 14 mars 2021

AVEC LES DÉCOUVREURS, LIRE EN TOUTE GRATUITÉ L’ÉDITION NUMÉRIQUE DE COMPRIS DANS LE PAYSAGE.

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 Trois ans depuis qu’avec les éditions LD j’ai pu redonner le texte de Compris dans le paysage, publié pour la première fois en 2010 chez Potentille. Depuis j’ai eu l’occasion d’en parler régulièrement dans les classes qui m’avaient spécialement invité pour évoquer à partir de ce texte comment la poésie en tant que parole profondément intime pouvait – si elle le pouvait – aborder la question de l’horreur dans laquelle historiquement baignent les sociétés. Je remercie chaleureusement les professeurs qui m’auront donné cette occasion rare de faire entendre dans toute sa richesse et sa complexité un travail qui en dépit de sa brièveté m’aura beaucoup appris sur la nature et les pouvoirs de la parole poétique et largement contribué à construire la représentation théorique que désormais je m’en fais et cherche à travers mon travail critique à partager. Peu d’exemplaires en sont maintenant disponibles. Et le succès que je découvre des tous nouveaux Cahiers numériques de Poésie en Partages que j’ai récemment lancés me prouve que l’on aurait bien tort de systématiquement vouloir éditer sur papier, ce qui oblige à les vendre, des productions qu’on peut mettre si facilement à disposition de tous en employant les outils que nous offre le net. C’est pourquoi j’ai décidé de partager dorénavant, en toute gratuité, Compris dans le paysage avec tous ceux qui voudront bien s’y intéresser.

mardi 2 février 2021

QUE LA POÉSIE NOUS EMPORTE ! SUR VIVONNE LE TOUT DERNIER ROMAN DE JÉRÔME LEROY.

« On ne va pas s’arrêter de lire parce que c’est la fin du monde, si ? » C’est en nous mettant face aux sombres perspectives de l’effondrement, tout proche, des sociétés politiquement et technologiquement organisées dans lesquelles nous vivons encore, que le romancier et poète Jérôme Leroy, s’attache dans son dernier roman, Vivonne dont on appréciera bien sûr les connotations proustiennes, à mettre en évidence le pouvoir réellement magique, à ses yeux, de la littérature, en particulier de la poésie.

 

Vivonne est le nom d’un poète dont les textes ont la particularité de « transporter » non seulement en imagination, mais physiquement, dans un monde qui au sens propre les accueille, les lecteurs qui n’attendent plus rien de leur vie soit qu’ils sont arrivés à son terme, soit que les conditions qui leur sont faîtes la leur rendent impossible. Et bien entendu, plus le monde devient insupportable, et c’est le cas pour celui qu’imagine ici l’auteur, dévasté par les ouragans, les typhons, où la température des nuits d’hiver dépasse les 40 degrés, où notre beau pays de France et ses campagnes bucoliques sont devenus des lieux d’affrontement sanglants entre sectes politico-religieuses rivales[i] que le pouvoir central parvenu entre les mains de l’extrême-droite, les Dingues, ne parvient plus à contrôler, plus ce monde donc, que menace encore le Stroke, c’est-à-dire la panne informatique totale, devient insupportable, plus nombreux se font peu à peu ses lecteurs.

 

mardi 8 décembre 2020

PLAISIR DE REGARDER. SUR UNE SCÈNE DE BATAILLE DE VAN DE VELDE LE JEUNE. 1666.


Les scènes de batailles navales sont un genre particulier de la peinture de marines. Un genre que la plupart de ceux qui fréquentent occasionnellement les musées ont l’habitude de dédaigner. Il offre toutefois au peintre l’occasion de multiplier les effets, mettant en évidence l’excellence de son talent. Il offre aussi à l’amateur l’occasion d’une plongée dans l’histoire. De s’interroger aussi, comme toujours, sur ce qui se voit omettre dans toute représentation.

 S’il est de grandes compositions comme celles réalisées pour le Palais des Doges par Tintoret et Véronèse[i] qui accablent un peu le regard par la somme des scènes et des évènements de peinture qu’elles donnent à admirer, on trouve facilement des œuvres plus modestes procurant au regard comme à l’esprit qui le sous-tend, matière à, sinon s’émerveiller, du moins s’activer et ressentir aussi ce plaisir de plus en plus rare aujourd’hui d’échapper aux emballements convenus.

jeudi 19 novembre 2020

FASTES ET AUTRES JOURS. JEUDI 19/11/2020. SUR LE DERNIER NUMÉRO DE CONTRE-ALLÉE. OLIVIER BARBARANT. LE POÈTE ET SES ÉMOTIONS.

Oui, l’émotion. L’émotion. Quand au bois par exemple il y a un oiseau. Que son chant vous arrête. Et vous fait rougir. Mais combien sommes-nous aujourd’hui à oser, mais aussi savoir, mettre en forme nos émotions. Les sublimer comme l’aura fait Rimbaud, en illuminations. Pour lui et pour les autres.

 

Ce n’est pas tout-à-fait d’émotion mais de sensiblerie, de sentimentalité, que part le texte que le poète Olivier Barbarant a placé, dans le dernier numéro de la revue Contre-Allées[1], dans la série intitulée par lui Un printemps divers. Réfléchissant à la triste situation dans laquelle, selon lui[2], nous nous trouvons plongés de ne pouvoir plus, sans ridicule ou sans honte, exprimer les mouvements, élans, entraînements, remuements de sensibilité qui nous traversent, renversent, en bien des occasions pour nous majeures de l’existence, il dénonce le caractère convenu de cette posture qui ne laisse finalement d’autre choix que de garder pour soi, sans en rien faire, la mémoire de ce qui nous aura ému.

 

Ainsi, « au poncif du larmoiement » écrit-il, ne pouvons-nous opposer que « le catéchisme de l’ironie ». C’est vrai que bien des confessions, bien des sentiments affichés ont quelque chose en eux de malpropres. Animés on le voit trop bien par le souci de l’image. Nourris de mauvaise littérature plus que de réalité. Mais diable ! comme l’écrit Paul Audi, dans un livre majeur, si l’esprit doit toujours continuer à jouer son rôle pour nous détourner des pièges de la barbarie, il est indispensable d’y associer « le cœur, si par ce mot l’on entend seulement la dimension de l’affectivité où se manifestent ce Jouir et/ou ce Souffrir en quoi se donne à sentir la passibilité même du corps de chair » qui est le nôtre[3].

 

lundi 16 novembre 2020

BONNES FEUILLES. L’ÂGE DU CAPITALISME DE SURVEILLANCE. UN LIVRE CAPITAL DE SHOSHANA ZUBOFF CHEZ ZULMA.

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Ce n’est pas parce que l’on se dit poète qu’il faut s’empêcher de réfléchir. Ce serait plutôt le contraire. Comme le disait un mien ami, déclarant peindre pour voir, j’écris pour penser, pour comprendre et saisir. Non pour exprimer des idées préalables. Mais je sais bien aussi à quel point mon intelligence et mon ouverture aux choses ont besoin de l’intelligence et de l’ouverture des autres. À quel point lire me nourrit. Et à quel point aussi il est nécessaire pour qu’une parole soit habitée, une intelligence éveillée qu’elles soient informées par autre chose que les communs clichés, les postures faciles, générés par les forces de plus en plus cyniques qui visent à prendre possession de nous.

C’est pourquoi m’importe de partager sur ce blog, des textes qui par leur puissance de pénétration m’aident à y voir clair, persuadé que ce qu’ils m’apportent ils peuvent aussi l’apporter aux autres. Ces autres comme moi que le mouvement général de la société vers de plus en plus de contrôle, de moins en moins de responsabilité, de plus en plus d’intelligence superficielle et narcissique, de moins en moins de solidarité vraie avec toutes les formes imprévisibles du vivant, consterne ou stupéfie. Quand il ne les brise pas.

J’entends souvent cette chanson : il faut savoir s’adapter, marcher avec son temps. Ne pas tourner le dos au progrès. Moyennant quoi il faut bien sous peine de passer pour un amish faire l’acquisition d’un téléphone intelligent pour être enfin partout joignable, communiquer avec des centaines d’amis sur tweeter ou Facebook pour remédier à l’isolement, tisser d’un clic des liens vers tous les bouts de monde où jamais on n’aurait cru aller, et puis naturellement, bourrer d’électronique sa voiture pour éviter les accidents… Certes. Les avantages sont nombreux à cette évolution que d’aucuns nous présentent comme un merveilleux accroissement de la puissance d’être. Et une nécessité. Et je sais que beaucoup s’ils murmurent contre la tension que génère l’incessante adaptation aux changements qu’on leur présente comme inéluctables, ne voient pas d’autre issue que de les accompagner.

Et c’est là que le livre de Shoshana Zuboff dont je recommande aujourd’hui, vraiment, la lecture, fait œuvre salutaire. Prolongeant de façon terriblement concrète les hypothèses avancées par Barbara Stiegler dans un ouvrage paru l’an passé « Il faut s’adapter » (Gallimard, Essais), ce livre montre que derrière ce qu’on cherche à nous vendre comme un impératif de nos sociétés dîtes complexes se cache une vaste entreprise de dépossession de nos libertés, conçue par un capitalisme totalement dévoyé, qu’elle appelle capitalisme de surveillance, qui, sous couvert de se mettre à notre service, s’enrichit des données qu’il nous extorque pour mieux les transformer par la puissance des intelligences artificielles, en programmes chargés non seulement de nous rendre esclaves du marché mais aussi d’imposer à l’espèce humaine dans son entier, les mécanismes de correction, de dressage qu’il aura concoctés pour édifier le type de société qui lui convient le mieux.


C’est que l’espèce humaine est imparfaite. Et que nombreux sont aujourd’hui devenus les sachants, spécialistes, ingénieurs, experts, qui prétendent savoir mieux que tous les autres, comment guider les masses nécessairement ignorantes et les réduire le plus possible à une forme supportable pour elles, d’inertie, de passivité. L’idéal qui les meut est celui d’un homme-machine, programmé, programmable qui se laissera piloter à coup d’applications et d’objets connectés de plus en plus subtils, de plus en plus efficaces. Ce cauchemar est en route. Et pour qu’il ne devienne pas un jour réalité il importe que nous luttions contre cette entreprise de domestication.

Le gros ouvrage de Shoshana Zuboff est de ces livres qui sont aussi des actes. Qui forcent l’attention. Transforment notre regard. Et du fait même qu’ils existent nous fournissent les armes nécessaires à notre libération. Des armes, des analyses, qui tout autant que la poésie, sont nécessaires, selon moi, pour nous défaire enfin, des systèmes invisibles qui nous oppressent.

 

mercredi 9 septembre 2020

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. PASTORAL DE JEAN-CLAUDE PINSON.

Paul SIGNAC, Au temps d'harmonie, Lithographie, Houston, Texas.


 Je sais gré, depuis de très longues années à Jean-Claude Pinson, d’avoir, notamment avec Habiter en poète et à une époque où cela ne semblait plus aller de soi, redonné foi en une poésie qui, sans bien sûr oublier les conditions essentielles de sa matière de langue, ne renonçait pas à se vouloir et se chercher toujours au monde, dans un souci permanent non de l’imiter, de le représenter mais de le refigurer de manière intelligente et sensible dans toute la puissance et la portée de l’élan créateur qui pousse l’homme à sortir de soi pour s’inventer une soutenable et vivante demeure. Pastoral que viennent de publier les éditions Champ Vallon, reste dans cette ligne par quoi la poésie, bien au-delà souvent des œuvres qu’elle produit, s’impose à mes yeux comme une politique profonde. Une forme particulière de santé. Á la fois physique et morale. Pour l’individu isolé comme pour la collectivité tout entière qui s’appelle l’Humanité.

En nous ramenant à ce lien essentiel que nous entretenons avec la Nature, envisagée non comme ce pittoresque magasin d’images dont on emprunte la marchandise pour produire des sentiments convenus, mais comme cette puissance traversante de vie dont toute existence sur notre terre enfin procède - Physis ou Gaïa, qu’importe – l’ouvrage de Jean-Claude Pinson fixe à la poésie autre chose qu’une mission. Il en fait une fonction de l’être. Qui à l’intérieur d’un langage de langues qui aujourd’hui séparent peut-être beaucoup plus qu’ils relient, tente de refaire parole ou voix. À la vie, comme au corps, abouchée.

On ne s’étonnera pas alors que les poètes dont nous parle Pinson ne soient pas ces petits « Anacréon de province » qui comme l’écrit Bourdieu voient dans « la reproduction lettrée » l’occasion d’entrer à peu de frais dans ce champ littéraire dont ils convoitent démesurément les rentes symboliques mais des poètes qui se font une bien plus haute représentation de leur travail d’écriture. Car il en va nous dit Jean-Claude Pinson de bien autre chose que de décorer d’illusoire façon les salles du théâtre mondain où nous nous produisons. Il en va possiblement de notre survie. De ce que nous serons capables, nous tristes dissipateurs, de sentir à nouveau, pour les mieux partager, les libérer, de toutes ces énergies dont nous sommes tissés. Qui s’appellent la Vie, la Nature. Dont il faut inventer « ces chants pastoraux nouveaux » écrit-il, dont nous avons tant besoin.

Lire un extrait du livre de J.C. PINSON



mercredi 2 septembre 2020

LIRE SHARON OLDS ! ODE AUX TRENTE-HUIT DERNIERS ARBRES VISIBLES À NEW YORK DEPUIS CETTE FENÊTRE.

 

Ce monde n’est pas notre monde avec des arbres dedans. C’est un monde d’arbres, où les humains viennent tout juste d’arriver.

Richard Powers, L’Arbre Monde 


J’avais rapidement signalé, je crois, lors de sa récente sortie, l’importance à mes yeux, de la publication par le corridor bleu du premier livre traduit en français de la poète américaine Sharon Olds. Depuis, je constate avec plaisir que cet ouvrage ne laisse pas indifférent et qu’il semble, si l’on en croit les notes de lecture qui lui sont consacrées, trouver dans différents milieux, des lecteurs attentifs. 

Parmi celles qu’il m’a été donné de voir, je renverrai tout particulièrement à la recension offerte sur POEZIBAO par Sébastien Dubois, qui me paraît des plus éclairantes. Je partage en effet l’idée qu’il se fait à son propos d’une « poésie profondément biologique » qui passé le caractère à première vue provocateur des sujets qu’elle aborde va bien au-delà des questions propres à la féminité pour s’élever à une conception des plus élargies de la vie qui ne s’arrête en rien aux frontières de notre petite et si brutale humanité.

Ce que montre bien par exemple et avec la plus grande clarté, le poème ci-dessous que le lecteur de l’ouvrage rapprochera d’un autre texte de la fin du recueil intitulé Ode au pin [1] et que ceux qui également le connaissent ne manqueront pas de relier au fort roman de Richard Powers, l’Arbre Monde dont de nombreuses pages évoquent l’implacable destruction dont furent et sont toujours victimes les arbres dans ces États-Unis qui pourtant leur doivent tellement.

On notera au passage à quel point cette poésie, soucieuse ici de ce qu’on appelle la nature mais qu’il faudrait sans doute appeler simplement le vivant, repose sur une pensée pleinement informée de ce qui la constitue, la fonde et nous relie, historiquement, politiquement, organiquement, à elle. On est loin ici de cette utilisation des mots de la nature comme pâte à modeler ne visant comme le dénonce Jean-Claude Pinson dans Pastoral, qu’un simple effet esthétique.

 

ODE AUX TRENTE-HUIT DERNIERS ARBRES VISIBLES

à NEW YORK DEPUIS CETTE FENÊTRE

 

Mille fenêtres les toisent.

La cime de l’un d’entre eux ressemble à une montagne de granit

qui s’effrite, par strates, en un millier de respirations

chaque jour. Un autre, vu d’en-haut, a l’air d’une bombe,

d’un obus explosant en un millier de pétales.

Celui-là, c’est une florissante colonie de fourmis

vertes, broyant du bois, un millier d’ouvrières ;

celui-ci, on dirait un essaim de chrysalides qui se tortillent,

et cet autre ressemble à l’explosion d’un pétard, vert vif, un

idéogramme chinois nettement

dessiné sur chaque fragment, un millier de mots,

et cet autre encore, à un millier de grues de papier,

émeraudes ou jaunes. Il y a des centaines d’années,

par ici, on utilisait le frêne pour faire

un sucre rude, plus tard pour faire

des battes de base-ball, et de l’autre côté du Pacifique

les États-Unis imprimèrent des silhouettes humaines,

comme des frênes en cendres, sur les trottoirs. Les épines

du févier d’Amérique servaient d’aiguilles, de pointes de lance,

le robinier, de piquets de clôture — et le lièvre

variable, la tourterelle triste, en mangeaient

les graines. Les chênes donnaient des glands, pour manger,

et pour engraisser les porcs — « la loi prévoit

que quiconque détruit ou blesse sans raison

un chêne paiera une amende en rapport avec la taille de

l’arbre et de sa capacité à porter des fruits. »

Maintenant ce que font les arbres, surtout,

c’est : respirer avec nous, nous offrir une respiration

artificielle naturelle.

Ils seront tous coupés à la taille, les branches

partiront avec les jambes et les bras, comme toujours,

dans la broyeuse.

L’orme, qui jadis nourrissait la perdrix et l’opossum,

s’en sort tout seul, tant qu’il le peut encore,

il n’assistera pas au massacre,

il est mort la semaine du décret.

Plusieurs de ceux qui font les décrets vivent à portée de vue

de ces êtres antiques, et l’un d’eux,

qui voit ce bosquet chaque jour, a le

pouvoir d’empêcher ce bûcher, de faire respecter

sa tutelle sur cette tonnelle, sur cette terre

et sur l’air, et sur l’eau, sur ce feu verdoyant.



[1] Qui se termine par ces vers :

Et maintenant j’étais assise juste

à côté de lui, avec l’impression de remonter

d’espèces en espèces, vers le pin et vers

celles dont nous descendions tous les deux, la

fougère, la cellule verte – le soleil,

la matière d’étoiles dont nous sommes faits.