mardi 17 mai 2022

AFFRONTER L’INDIFFÉRENCE.

Pris comme je suis par les Découvreurs, je ne voudrais pas oublier que je fus aussi et le reste encore un peu parfois, poète. Qui veut dire que je mis de la parole en voix, la passai dans la langue, cette belle langue commune qui ne permet pas seulement que le partage. Confère aussi rayonnement. Puissance. Rendant la parole élargie. Profonde. De tous ces siècles qui l’auront vu se nouer aux vies qui nous ont précédés.

Alors je sais et le lis presque chaque jour sur ces réseaux devenus les confidents de nos fragiles existences, que si nos œuvres souvent largement nous dépassent, elles tombent le plus souvent dans la plus vaste indifférence. Ne brillent ou ne s’éclairent dans le monde qu’un très court et pour nous bien trop court, instant. Quand on sait  que le temps seul et ses durées leur donnent l’occasion de pouvoir y déployer ce que j’ai pu appeler leur fossile rayonnement.

Face à l’indifférence, peu de choses possibles. Si ce n’est de se construire patiemment une position qui oblige le grand nombre à vous accorder un semblant d’attention. Occupation qui n’effraie pas les gens dont la vanité sociale excède largement le talent. Pour les autres peut-être leur faut-il se persuader qu’en matière d’œuvre, d’œuvre artistique, bien entendu, compte essentiellement ce travail qu’elle permet sur soi. Le monde aussi, qu’elle redonne à voir, à sentir, à penser, à porter, plus pleinement. Et, me semble-t-il, avec un surcroît de force.

On me dira bien sûr que l’œuvre est aussi une question de partage. Un appel d’autre. Mais n’y a-t-il pas toujours quelque vanité à vouloir qu’une œuvre soit réellement partagée par des milliers et des milliers d’individus par ailleurs accablés des innombrables propositions que génèrent entre autres, puissamment, les marchés. Quand on sait de quelle solitude aussi sont faites couramment les vies. Et de quelles complaisances jouissent en général ceux sur qui se trouvent braquées les grandes réserves d’attention qu’on leur envie. 

Plutôt que de gémir, voire dépriser nos semblables, Il nous faut nous résoudre, je pense, à comprendre que l’acte d’écrire s’il est bien entendu porté à un plus grand degré d’exigence par la perspective d’une publication, n’en reste pas moins essentiellement un geste d’appropriation d’une parole rendue à soi dont le seul mérite social, j’exagère volontairement un peu, est la vertu d’exemple au sens latin du terme, qu’elle peut à son tour exercer sur autrui. Cette parole se voyant adressée non plus au corps social dont on sait combien il est domestiqué, mais à travers ce corps social qui la reçoit comme simple matière, à cet autre qu’on porte aussi en soi, ce semblable, ce frère, intelligemment sensible et tout rempli d’échos, qu’on veut faire advenir. Pour le reste on peut toujours imaginer comme l’écrivait il y a une centaine d’années le poète Valery Larbaud être un jour une main fraîche sur quelque front. Rencontrer ce lecteur, cette lectrice amie. Dont rien ne peut-être a priori dit d’autre que ce qu’aura pu en son temps écrire Montaigne à propos de La Boétie.


 

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