Sélection 2016-2017 du Prix des Découvreurs |
Vingt ans. On connaît la célèbre phrase de Paul Nizan selon laquelle avoir vingt ans est loin d’être la plus belle chose de la vie. Pour une association comme la nôtre toutefois vingt ans ce n’est plus la jeunesse. Peut-être même plus l’âge adulte. Sans doute le moment de songer à s’effacer pour laisser à d’autres plus vifs et diligents le soin de donner à notre action un nouveau souffle. De fédérer autour d’eux des énergies nouvelles.
Sûrement. Mais si la tentation
existe bien de se réserver désormais pour soi, d’abandonner nos combats à
d’autres, il est chaque année moins facile, face au succès croissant de nos
actions, à l’élargissement régulier des publics que nous touchons, d’interrompre
cette dynamique qui fait que nous nous sentons de plus en plus utiles pour ne
pas dire nécessaires. D’autant que nous voyons bien qu’ils ne se pressent pas
trop ceux qui autour de nous seraient susceptibles de prendre la relève.
Les Découvreurs repartent donc.
Pour une vingtième édition. Qui plus radicale encore peut-être que les éditions
précédentes vise à faire éclater les stéréotypes dans lesquels, malgré plus
d’un siècle aujourd’hui de profonds renouvellements, certains continuent de
vouloir enfermer ce qui nous apparaît aujourd’hui de moins en moins comme un genre
spécifique, susceptible de définition claire, que comme une aventure toujours
particulière et hasardée de la pensée s’engendrant au coeur même de l’écriture.
La poésie, nombreux seront ceux
qui, feuilletant certains des ouvrages de notre sélection, peineront,
malheureusement pour eux, à la reconnaître. Et pourtant ! Si poésie est
d’abord création comme invite à le penser l’étymologie, et création d’un
langage venant donner son poids de présence, d’appartenance aussi au monde, les
livres que nous proposons sont bien de poésie. Formes ouvertes, inquiètes, qui
inventent leur propre dispositif, ces oeuvres sont en quête de sens, de
relations et se retrouvent du même coup génératrices de force. Le philosophe Paul Audi a bien fait dans
son livre Créer, d’insister sur le
fait que l’écriture, l’art en général sont toujours issus d’un surcroît de désir, d’un excédent d’énergie, même lorsqu’ils s’attachent à ce que la vie
peut avoir de plus terrible et de plus décourageant.
Du terrible, du décourageant, les
ouvrages de la sélection n’en manquent pas. Du sort des micro-nations indiennes
de Louisiane qu’évoque Frank Smith, voire de celui de toute la planète dont
nous parle Laurent Grisel jusqu’à celui d’une mère dévastée par la maladie
d’Alzheimer qu’approche Geneviève Peigné, en passant par la perte des grandes
illusions collectives qui informe le livre de Paol Keineg, l’éventail est large
des misères politiques, sociales et personnelles que nous donnent à voir nos
différents auteurs.
Pourtant de tels livres et c’est
le paradoxe heureux de la littérature sont rien moins que déprimants. Ainsi
c’est à travers le spectacle de sa folle énergie que la comédienne et poète
Laurence Vielle parvient à nous faire comprendre le quotidien harassant, OUF,
des femmes qui n’en finissent jamais avec les obligations de leur vie sociale
et familiale. C’est en se mettant à regarder jour après jour l’espace a priori
peu attractif d’une gare de banlieue que Christiane Veschambre ressuscite une
partie oubliée de son histoire familiale, conjuguant du même coup histoire privée
et histoire collective.
C’est aussi d’histoire collective et privée qu’il est question dans le livre de la poète roumaine Doina Ionaïd chez qui le
poids des héritages, des tristesses multiples, la conscience de notre être
aspiré par la mort n’étouffent pas le violent désir, comme elle dit, d’une
journée à passer saine et sauve.
Oui, les livres que nous
proposons avec cette vingtième sélection des Découvreurs sont des livres
totalement ouverts sur le monde. Des livres qui interrogent, engagent, ce que
nous pouvons appeler, dans les divers sens du terme, notre humanité profonde.
Nous plaçant ainsi face à nos responsabilités. Que faisons-nous vraiment pour
sortir de nos petits conforts de pensée ? De nos circuits d’habitude. Qu’acceptons-nous
de voir et de sentir de différent des choses ? De laisser advenir de
singulier et d’essentiel en nous ?
Comme l’écrit Paul Nizan par qui
nous avons commencé ce billet, « les événements ne viennent pas à
domicile, les événements ne sont pas un service public comme le gaz et l'eau.
Mais il y a des routes, des ports, des gares, d'autres pays que le chenil
quotidien : il suffit un jour de ne pas descendre à sa station de métro. »
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