Je dois à La Haine de la poésie, ce petit livre du poète et romancier
américain Ben Lerner, qu’ont récemment publié les éditions Allia, la découverte
de ce que Wikipedia présente comme le pire poète de l’histoire. Rassurons-nous :
ce dernier n’est ni notre contemporain, ni de culture française. C’est un tisserand
écossais du XIXe siècle répondant au nom de William Topaz McGonagall
dont la fameuse encyclopédie en ligne, qui lui consacre un intéressant article,
nous apprend qu’en dépit de l’hilarité que suscitait dans le public la plupart
de ses lectures, il n’hésita pas, après la mort de Tennyson à faire à pied et
sous les plus violents orages, les cent kilomètres de route montagneuse
séparant Dundee du château de Balmoral pour solliciter auprès de la reine
Victoria, qui naturellement ne le reçut pas, le privilège de se voir attribuer
le poste de Poète lauréat !
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DAUMIER LE POETE LAMARTINIEN |
Le système prosodique anglais
différant sensiblement du nôtre, il faut lire l’analyse stylistique et les
considérations d’ordre métrique que consacre Ben Lerner à l’un des textes les
plus déplorablement célèbres que ce McGonagall consacre à l’effondrement, lors
de l’hiver 1879, du pont ferroviaire, construit, dans sa bonne ville de Dundee,
sur la rivière Tay, pour prendre la mesure, dans le détail, du caractère
doublement catastrophique du talent de notre malheureux écossais. La traduction
qu’en donne Lerner et qui prend en compte les errements prosodiques du texte initial,
fournira toutefois au lecteur une idée de la faiblesse de ses ressources
littéraires.
Magnifiqu’
pont ferroviaire du Tay argenté
Hélas !
Je suis vraiment désolé d’annoncer
Que
quatre-vingt-dix vies ont été emportées
Le
dernier jour du sabbat en 1879
Dont
nous nous souviendrons pour de très longues années.
L’objectif de Ben Lerner n’étant
pas ici de se moquer à peu de frais de l’ineptie parfaitement reconnue de
l’œuvre d’un poète qui ne se survit que par les moqueries dont il fait toujours
l’objet de la part de nos amis d’Outre-Manche, je voudrais attirer l’attention
sur le fait qu’il ne se penche sur ce lamentable fiasco que pour affirmer quelque
chose de la nature même de la chose poétique qui reposerait selon lui sur l’impossibilité
de ne jamais parvenir à l’idéal que par essence elle vise. L’échec de W.T.
McGonagall à nous faire partager la portée de l’évènement tragique qu’il entreprend
de nous exposer ne serait en somme qu’une illustration par l’un de ses cas limites,
de ce qui arrive à tout poème concret. Ne se contentant pas, comme on l’observe
assez souvent, de ses dimensions programmatiques.