Désireux de m’offrir une petite pause entre deux éditions du Prix des Découvreurs je me décide à partager ici quelques images que m’a récemment fait découvrir le livre de Vincent Zonca, Lichens, que je ne saurais trop recommander pour la richesse et la profondeur de ses vues. La première du japonais Hiroshige II représentant une scène de cueillette de champignons-lichens centenaires poussant sur les roches, les Iwatake, également appelés « nourriture de l’ermite », montre deux cueilleurs suspendus à l’intérieur de nacelles d’osier, au-dessus d’un torrent bouillonnant. L’un gratte la paroi d’une montagne à pic, l’autre se penche vers lui, le visage hilare apparemment en train de lui adresser quelque plaisanterie. Chacun porte un large chapeau rond, conique qui rappelle la forme des champignons que l’artiste a représenté en gros plan dans le coin supérieur droit de son image. Cette image qui m’a retenu pour son pittoresque ne possède pas la forte charge symbolique que je trouve à cet impressionnant panneau de 5 mètres de long du maître ancien Kano Sansetsu, intitulé le Vieux prunus qui servit à l’origine de décor pour un des murs intérieurs d’un temple mortuaire. Image du renouveau printanier touchant un arbre vénérable, tout couvert de lichens et profondément mutilé par le temps, l’œuvre de Santetsu ne fait pas qu’illustrer la puissance finalement de la vie, célébrant à la manière du Ronsard des Odes [1]le contraste entre cycle naturel et cycle humain. Il émerveille par l’extraordinaire économie de moyens de ses formes, le pouvoir enfin qu’a l’art de se montrer toujours pour nous d’une éternelle jeunesse. Dans son livre Zonca rapproche ainsi ce vieux prunier de Santetsu d’une œuvre plus récente d’un autre grand maître de la peinture japonaise, Ogata Kôrin, Prunus blanc et prunus rouge dont le génie décoratif l’amène à évoquer l’œuvre du peintre autrichien Klimt, dont l’Arbre de vie, c’est vrai, n’est pas sans faire penser au style de cette école « rimpa » à laquelle appartient Kôrin. Dans la peinture japonaise écrit Zonca à propos de ces œuvres, « les lichens font fleurs, ils sont esthétiquement des fleurs au même titre que celles du prunus » ajoutant un peu plus loin qu’il faut surtout voir dans le lichen « un élément naturel parmi d’autres, un objet de vénération et de décoration, ayant des qualités de forme, de couleur, de texture, de rythme, se révélant en association, en symbiose, avec le cerisier ou d’autres éléments du paysage ».