Alexandre Billon est philosophe. C’est un fait. Il est aussi poète. On le sent. Attaché à sa famille, c’est encore un époux amoureux, un père qui reste aussi un fils. Le fils d’un père mort avec lequel il continue d’entretenir le dialogue. Sur leur façon d’aimer le monde. Et de le trouver beau.
N’étant pas philosophe, je me suis toujours un peu perdu dans les notions d’être, de non-être, de néant, d’existence, d’inexistence, ne retenant finalement vraiment des choses que les phénomènes par quoi elles se manifestent ou pas à ma sensibilité. Paradoxalement, c’est le cas aussi, je pense, d’Alexandre Billon, pour qui la lumière du soleil, le mouvement des vagues, le vol d’un cerf-volant, la couleur d’un vieux slip, les bouts d’écorce d’un marronnier ramassés dans une cour d’enfance, une gorge qui pique, l’absence même de l’être aimé s’écarquillant au bout des doigts, en disent bien plus long sur notre condition que toutes les métaphysiques.
Ce qui ne veut pas dire que la poésie d’Alexandre Billon soit du genre réaliste. Que non. Fantaisiste, humoristique, pourquoi pas fantastique, procédant au fond d’un esprit joueur à la fois curieux, farfelu et inquiet, qui n’aurait pas coupé ses liens avec l’enfance, elle se lance régulièrement dans de folles imaginations[1], s’ouvrant devant elle le champ finalement vaste pour la pensée de cette inexistence dont elle prétend ramener ses comptines surprenantes souvent, autant que douce-amères.
Comptines ? Il me faut quand même interroger ce mot qu’utilise Alexandre Billon pour titrer son recueil. Tantôt longs, tantôt courts, ses textes n’ont rien de particulièrement rythmés, se refusant généralement au mètre comme à la rime. Et si jeu bien sûr il y a ce sont jeux de pensée, non ces jeux bien connus de formules propres à la comptine, auxquels nous avons affaire. Quelques répétitions ponctuelles, « d’néant d’néant, d’néant » ou « groin groin groin » ne suffisent en effet pas à imposer à nos yeux l’idée que la fameuse souris verte de nos enfances, les pic et pic et colegram, sans compter les ratatam, nous ont laissée de ces populaires créations qui nous apprenaient à grandir. Le terme de comptine me semble donc là tout simplement pour conjurer l’esprit de sérieux qu’on pense trop souvent être le propre du philosophe. Plus profondément peut-être pour exprimer de la part de l’auteur l’idée certes un peu pathétique qu’il est toujours l’enfant attendant du jeu qu’enfin il le désigne. Ou le libère. Car on ne peut s’empêcher de penser, à la lecture de ce livre, qu’il tourne finalement tout autour d’une blessure. La perte de ce père qui reste au fil des pages le papa avec lequel on échange. Qu’on ne se résigne pas à voir retourner au néant, quoi qu’en puisse dire Parménide. Finalement, il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire avancer ici que ce livre un peu foutraque et vivant qui ne roule pas des mécaniques et d’apparence souvent drôle, reste en fait dominé par un fort sentiment de vulnérabilité. Ce qui me va très bien. Tant je pense, que si comme le dit Aragon, « rien n’est jamais acquis à l’homme », c’est bien pour cela qu’il nous appartient de saisir chacun des instants héraclitéens qui passent. Et d’embrasser autant qu’on peut nos morts. Sans oublier les vivants.
[1] Comme quand par exemple elle imagine un monde se retournant sur lui-même où de « la bouillie marron rose » que nous mâchons savamment, sortirait une saussice Herta redevenant devant nos mains qui se desserrent, un beau cochon groin groin qui disparaît dans les champs.