Contrebande de Laurent Albarracin est un recueil de sonnets coupé en son milieu d’une succession de quelques proses qu’on dira poétiques. Dans la ligne héritée de Ponge ces textes se détournent du lyrisme personnel, de l’expression directe des sentiments, pour prendre le parti des choses, considérées non dans leur particularité mais dans leur généralité. C’est à-dire leur idéalité de chose. Qui en fait n’existe pas. La mare, pas plus que la tondeuse Honda, les nuages ou la tasse de café, n’ont d’existence réelle. Ce sont ce qu’on appelle des concepts, des outils efficaces de pensée permettant l’échange et la communication, le déploiement de toute l’intelligence réflexive nécessaire pour se figurer et pour interroger le monde. Ce qui existe en fait déborde toujours et largement son nom. Existe en dehors du nom. Une mare dans sa réalité est toujours singulière. Est par exemple cette singulière étendue d’eau venue, après des jours de fortes pluies dans ma forêt d’Ecault, contrarier ma promenade en occupant tout le creux d’un chemin. De cette réalité en soi inconnaissable comme nous l’a bien appris Kant, je ne pourrai jamais construire qu’une représentation subjective dont les mots que j’utilise peineront toujours à signifier la débordante matérialité, mais suffisent en général à en donner l’idée.