Le métier de poète engendre bien des frustrations. Aspirant comme
chacun et peut-être un peu plus que les autres, à la reconnaissance, le poète,
qu’il soit non édité, mal édité, bien édité mais toujours trop peu lu, jamais
invité, ou si peu, sur les grands tréteaux culturels du temps – c’est son lot –
ne s’estime jamais à la place, éminente, centrale, à laquelle en son for
intérieur, il aspire. C’est que, même si ce qu’il lui arrive de produire se
révèle au regard objectif d’un intérêt modeste,
il est de ceux qui éprouvent au-dedans d’eux cette fameuse « puissance
d’art » dont parle Nietzsche, qui l’amène à se persuader, peut-être
pas d’ailleurs totalement à tort, qu’il est plus amplement ou profondément
vivant que l’immense majorité de ses pauvres semblables.
Certains, comme on le voit de plus en plus, en appellent à
la puissance supposée des terrifiants réseaux sociaux pour, de like en like, se
donner l’illusion d’être. D’autres, moins naïfs ou moins patients peut-être, se
consolent du sentiment de mépris dans lequel ils étouffent, en vitupérant les
éditeurs, les lecteurs, le bourgeois, le système, la vie même, quand ce n’est
pas tout simplement leurs confrères, consoeurs, supposés n’être, par rapport à
eux que de maigres faiseurs. Des imposteurs.
La vague toujours recommencée de cette « poésie
bavardage » qui lèche de plus en plus aujourd’hui les plages
communément indifférentes de notre lointaine attention ambitionne de faire
entendre comme je l’ai par certains entendu dire, le flux d’énergie
largement désabusée de notre époque dans la forme décomplexée que lui permet
l’accumulation de toutes les licences modernes. Ainsi certains parviennent-ils à faire entendre un peu plus leur voix. Mais force est de reconnaître
qu’au-delà de la sympathie que parfois peut inspirer leur auteur, les ouvrages
ainsi produits ne produisent d’effets qu’éphémères et superficiels. Et que
compte davantage ici l'essence même du discours - posture, caricature et présomption - que
l’exigence proprement poétique d’inventer, recomposer, approfondir, à partir du
langage, notre relation, à la fois singulière et commune, aux choses auxquelles
nous nous trouvons tissés comme au monde sans cesse à redéfinir, qu’obscurs,
nous habitons.