jeudi 26 décembre 2024

SUPERBE EXPOSITION RIBERA AU PETIT PALAIS. EN PROFITER POUR RENDRE HOMMAGE À THEOPHILE GAUTIER.



J’aurais bien aimé voir ou revoir le Supplice de Saint Philippe ou le Songe de Jacob tous deux au Musée du Prado, comme son Suzanne et les vieillards ou sa superbe Nature morte à la tête de chèvre de Capodimonte qui aurait pu faire un magnifique pendant à sa tête de Saint-Jean Baptiste, mais il est vrai que l’œuvre de Ribera est si riche qu’on ne pouvait s’attendre au Petit Palais à pouvoir admirer l’ensemble des chefs d’œuvre qu’aura produit ce peintre tout au long de sa fertile et généreuse carrière.

L’exposition du Petit Palais en montre toutefois suffisamment pour qu’on ressorte malgré tout ravi d’y avoir découvert rassemblés là pour la toute première fois tant de toiles splendides de cet artiste qui fut bien plus qu’un simple continuateur du Caravage sans qu’à mon humble avis il soit justifié comme je l’ai vu plusieurs fois écrit d’affirmer qu’il aurait surpassé son maître. L’art de Ribera, son métier, comme sa liberté dans le dessin, la couleur, le choix également de ses sujets sont extrêmes mais il n’a pas comme l’aura fait le milanais révolutionné l’histoire de la peinture. Bon. Je ne suis pas critique d’art. Loin s’en faut. Et je me contenterai d’inciter ici ceux qui me liront, s’ils en ont bien sûr les moyens, à courir admirer cette toute première et capitale rétrospective, en outre merveilleusement scénographiée, qui rend justice à l’un des grands maîtres de la peinture européenne de la première moitié du XVIIème.  

Mais comme ce blog se doit d’accorder quand même une part primordiale à la poésie, je ne peux m’empêcher, à propos de cette exposition, de citer l’intégralité du poème consacré par Théophile Gautier à celui qu’il orthographie Ribeira. Ce sera une nouvelle fois l’occasion de vérifier l’intelligence et l’acuité du regard de ces grands poètes du XIXème qui n’ayant pourtant pas une documentation quasi infinie à leur disposition, savaient souvent mieux que nous qui nous contentons d’exploiter là-dessus les médiocres lumières de l’expéditif et trop souvent paresseux journalisme actuel, apprécier une œuvre de façon personnelle. Et durable.


Ribeira

 

Il est des cœurs épris du triste amour du laid.

Tu fus un de ceux-là, peintre à la rude brosse

Que Naples a salué du nom d’Espagnolet.

 

Rien ne put amollir ton âpreté féroce,

Et le splendide azur du ciel italien

N’a laissé nul reflet dans ta peinture atroce.

 

Chez toi, l’on voit toujours le noir Valencien,

Paysan hasardeux, mendiant équivoque,

More que le baptême à peine a fait chrétien.

 

Comme un autre le beau, tu cherches ce qui choque :

Les martyrs, les bourreaux, les gitanos, les gueux

Étalant un ulcère à côté d’une loque ;

 

Les vieux au chef branlant, au cuir jaune et rugueux,

Versant sur quelque Bible un flot de barbe grise,

Voilà ce qui convient à ton pinceau fougueux.

 

Tu ne dédaignes rien de ce que l’on méprise ;

Nul haillon, Ribeira, par toi n’est rebuté :

Le vrai, toujours le vrai, c’est ta seule devise !

 

Et tu sais revêtir d’une étrange beauté

Ces trois monstres abjects, effroi de l’art antique,

La Douleur, la Misère et la Caducité.

 

Pour toi, pas d’Apollon, pas de Vénus pudique ;

Tu n’admets pas un seul de ces beaux rêves blancs

Taillés dans le paros ou dans le pentélique.

 

Il te faut des sujets sombres et violents

Où l’ange des douleurs vide ses noirs calices,

Où la hache s’émousse aux billots ruisselants.

 

Tu sembles enivré par le vin des supplices,

Comme un César romain dans sa pourpre insulté,

Ou comme un victimaire après vingt sacrifices.

 

Avec quelle furie et quelle volupté

Tu retournes la peau du martyr qu’on écorche,

Pour nous en faire voir l’envers ensanglanté !

 

Aux pieds des patients comme tu mets la torche !

Dans le flanc de Caton comme tu fais crier

La plaie, affreuse bouche ouverte comme un porche !

 

D’où te vient, Ribeira, cet instinct meurtrier ?

Quelle dent t’a mordu, qui te donne la rage,

Pour tordre ainsi l’espèce humaine et la broyer ?

 

Que t’a donc fait le monde, et, dans tout ce carnage,

Quel ennemi secret de tes coups poursuis-tu ?

Pour tant de sang versé quel était donc l’outrage ?

 

Ce martyr, c’est le corps d’un rival abattu ;

Et ce n’est pas toujours au cœur de Prométhée

Que fouille l’aigle fauve avec son bec pointu.

 

De quelle ambition du ciel précipitée,

De quel espoir traîné par des coursiers sans frein,

Ton âme de démon était-elle agitée ?

 

Qu’avais-tu donc perdu pour être si chagrin ?

De quels amours tournés se composaient tes haines,

Et qui jalousais-tu, toi, peintre souverain ?

 

Les plus grands cœurs, hélas ! ont les plus grandes peines ;

Dans la coupe profonde il tient plus de douleurs ;

Le ciel se venge ainsi sur les gloires humaines.

 

Un jour, las de l’horrible et des noires couleurs,

Tu voulus peindre aussi des corps blancs comme neige,

Des anges souriants, des oiseaux et des fleurs,

 

Des nymphes dans les bois que le satyre assiège,

Des amours endormis sur un sein frémissant,

Et tous ces frais motifs chers au moelleux Corrège ;

 

Mais tu ne sus trouver que du rouge de sang,

Et quand du haut des cieux apportant l’auréole,

Sur le front de tes saints l’ange de Dieu descend,

 

En détournant les yeux, il la pose et s’envole !

 

Espana, 1845

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