mardi 11 octobre 2022

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. UNE RENCONTRE CONTINUÉE DE JAMES SACRÉ AU CASTOR ASTRAL.

J’aime la poésie de James Sacré. Comment d’ailleurs ne pas l’aimer, elle qui noue depuis plus d’un demi-siècle une relation à la vie toute d’ouverture, d’attention, de sensibilité sans jamais élever la voix, adopter de grands airs ou renvoyer son lecteur à sa prétendue nullité. Certes il y a parfois quelque complaisance et une certaine facilité dans l’œuvre si généreuse de Sacré, mais c’est aussi ce qui nous la rend plus humaine et familière[1], dans sa toute confiante et voisine prodigalité.

D’autant que le souci de langue, l’inquiétude vraie qu’il en a, empêche chez lui à chaque fois l’image de se figer, la fragile rencontre qu’établit le texte avec le monde de, comment dire, se vernisser, se vitrifier et qu’il est à mon sens un des rares chez qui la parfaite clarté toujours de l’expression, qui ne va pas comme on le sait, chez lui, sans bien des libertés, ne se berce d’aucune illusion de maîtrise ou d’appropriation.

samedi 8 octobre 2022

SUR VITRÉ DE GUILLAUME ARTOUS-BOUVET AUX ÉDITIONS MONOLOGUE.


« Quarte voir, » c’est par ce vers, ô combien déroutant déjà, que débute et nous saisit Vitré du poète et philosophe Guillaume Artous-Bouvet que publient aujourd’hui les éditions Monologue. Et c’est bien d’une question d’œil, de forme, de vision, comme aussi d’approche et de disposition, qu’il s’agit dans cette publication où le poème se met en place, ligne haute, en avant, pour s’escrimer[1] dans sa langue avec l’ensemble des pensées, des pesées, des poussées naissant de sa confrontation avec la suite des trois grands tableaux que le peintre préraphaélite Waterhouse aura consacrés entre 1888 et 1915 à la triste histoire de cette Lady of Shalott que Tennyson aura popularisée dans son texte éponyme de 1832.

mardi 4 octobre 2022

BONNES FEUILLES. SUR LA DULLE GRIET DE BRUEGEL DANS ESTHÉTIQUE DE LA RÉSISTANCE DE PETER WEISS.

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DULLE GRIET DE BRUEGEL. DE MARGOT L’ENRAGÉE À SANDRINE ROUSSEAU ?


La Dulle Griet de Bruegel qu’on peut désormais voir débarrassée de ses épais vernis, rendue au plus près de son état d’origine, au Musée Mayer van den Bergh d’Anvers, est de ces tableaux que l’abondance de ses détails restant pour nous énigmatiques ainsi que l’éloignement où nous sommes des imaginaires de l’époque, rendent propices à toutes sortes d’interprétations. Par quoi se vérifie cette profonde vérité qu’une œuvre finit toujours par appartenir davantage à celui qui la regarde ou la lit qu’à celui qui l’aura un jour produite.

Il y a quelques années, j’avais été frappé, lisant les pages consacrées à ce tableau par Peter Weiss dans son Esthétique de la résistance, par la façon dont ce dernier le reliait à travers son narrateur, à l’expérience de la guerre, tout particulièrement celle menée entre 1936 et 1939 contre les franquistes d’Espagne. C’est que comme on le voit à travers les évocations qu’il fait de l’extraordinaire gigantomachie de l’autel de Pergame, du Radeau de la Méduse, de la Liberté guidant le Peuple, voire de l’œuvre de Millet, les incisifs et précis commentaires auxquels se livre Weiss ne perdent jamais de vue ce que l’œuvre peut nous apprendre sur la condition politique de l’homme soumis à la volonté implacable des puissants. Quitte à s’écarter, comme c’est tout particulièrement le cas, je pense, à propos du tableau de Bruegel, de ce qu’aura pu être l’intention première de l’artiste lui-même.

samedi 24 septembre 2022

HÉROÏQUES LICHENS ! LIRE QUELQUES PAGES STIMULANTES DU LIVRE DE K.S. ROBINSON, MARS LA VERTE.

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Quand tant, sur les réseaux, semblent considérer qu’habiter le monde c’est se mettre en scène autour d’une bonne bouteille à la terrasse ensoleillée d’une ville étrangère, tout en se référant à quelque grande figure artistique ou littéraire dont ils ne cherchent au fond qu’à faire publiquement parade, il est bon de rappeler qu’on trouve aussi dans les livres comme dans une relation discrète autant que curieuse à tout ce qui nous entoure, de quoi rendre cette habitation plus authentique et surtout plus réfléchie. Plus nécessaire à partager. Les livres de K.S. Robinson, comme celui dont je l’ai rapproché hier de Peter Weiss, sont des livres qui réclament de leurs lecteurs beaucoup de leur attention et beaucoup de leur temps. Les évoquer dans ce blog pour en susciter la lecture réclame aussi son travail propre. Et même si je suis bien conscient que ce travail ne touchera en définitive qu’assez peu de personnes, cela, que d’autres aussi je sais entreprennent de leur côté, participe d’un esprit de résistance, d’humaine générosité, qu’il importe à tout prix de maintenir. Un seul auditeur suffit à Jean Sébastien Bach avait l’habitude de dire mon ami aujourd’hui disparu, le peintre Rémi Darbre. Oui, surtout si les quelques « auditeurs » que nous avons ne sont en rien des « auditeurs » passifs » et cherchent aussi de leur côté à construire ces nouveaux communs, rendre davantage visibles ces nouveaux imaginaires qui se donnent pour objectif de désaliéner les consciences. Ne serait-ce que des totalitarismes jouisseurs, narcissiques et marchands. 

mercredi 21 septembre 2022

MARS LA VERTE. OU COMMENT RECOMPOSER POUR LE MIEUX NOS COMMUNS.

J’ai récemment dit tout le bien que je pensais du premier pan de la trilogie de Kim Stanley Robinson, Mars la rouge. J’achève ce matin la lecture du second volet, Mars la verte, qui nous faisant avancer dans le temps[1] prolonge l’évocation de la « terraformation » de cette planète dont la plupart des sites explorés en détail par les divers instruments d’observation envoyés dans l’espace pour en parfaire la connaissance, portent curieusement toujours les noms que leur attribua l’astronome italien Schiaparelli à partir des vues que de la terre il put en recueillir, dans le dernier quart du XIXème siècle. J’ignorais jusqu’à présent qu’il existât des cartes si précises de la planète rouge. Comme une connaissance aussi poussée de sa géologie. Et ce qui frappera d’ailleurs sans doute en premier le lecteur de la trilogie de Mars c’est cette extrême familiarité que le romancier américain semble, grâce à cela, entretenir avec la diversité, comme avec l’histoire des paysages martiens dont il donne l’impression d’avoir parcouru le moindre recoin qu’il est capable d’évoquer avec un luxe de détails, une précision de vocabulaire qui m’a singulièrement fait penser à la façon dont Hugo décrit le paysage de l’île de Guernesey dans Les Travailleurs de la mer, nous procurant ainsi par exemple l’illusion de nous enfoncer avec ses personnages, en bordure de Vastitas Borealis, dans les étendues glacées s’étendant aux pieds d’Olympus Mons ou d’admirer quelque inouï coucher de soleil au sommet du Belvédère d’Echus…

mercredi 14 septembre 2022

SPLASH ! ON EMBARQUE SUR BUMBOAT ! UN LIVRE DE P. VINCLAIR QUI NOUS PROMÈNE À SON BORD SUR LA SINGAPORE RIVER.

Si pour un poète se fixer le projet de descendre une rivière ou un fleuve n’a depuis au moins le gaulois romanisé du IVème siècle de notre ère, Ausone et les quelques 500 vers qu’il consacra à célébrer la Moselle, rien d’extraordinaire, on admettra qu’il est plus singulier d’entreprendre d’évoquer le cours d’un fleuve comme la Singapore River dont on sait qu’elle n’a rien du Mississippi, de l’Escaut ou même de la Maye [1], n’ayant qu’un peu plus de 3 kilomètres de long et s’étant vu bloquer récemment son accès à la mer par un barrage l’ayant finalement transformée en une sorte d’immense piscine d’eau douce. Alors s’il y a quelque chose d’ample, de puissant, et peut-être d’épique dans l’idée de ce poème que nous offre Vinclair, elle est à chercher plutôt dans le caractère unique de cette ville monstrueuse qu’est devenue Singapour : petite île de moins de 750 kms2,  soit à peine la superficie de la ville de New York, parvenue, en l’espace de deux siècles, à se hisser au rang de second port du monde, de quatrième place financière internationale et de pays comptant le plus grand nombre de milliardaires par nombre d’habitants. Bien avant les monarchies pétrolières. Et la Seine-Saint-Denis !

D’ailleurs, comme il le fait dire à Clémence, son épouse, qu’il a suivie en ces lieux, : « la Rivière Singapore c’est/fille de trop de chirurgie/ elle a encore les os, mais à force d’a/voir le visage remodelé, il n’exprime plus/ [rien] sinon le vague/ souvenir de ce qu’elle/fut un jour [2]».

mercredi 7 septembre 2022

QUEL APPÉTIT ! SUR LE DERNIER LIVRE D’ALEXANDER DICKOW À LA RUMEUR LIBRE.

Quels singuliers appétits[1] évoque donc le dernier livre d’Alexander Dickow que viennent de me faire parvenir les éditions de La rumeur libre ? Au vu simplement de l’extrait figurant en quatrième de couverture[2] on serait tenté de dire que c’est un immense désir d’absorption, de dévoration du monde, qu’on pourrait croire hérité d’Apollinaire, tant à première lecture on est tenté de le rapprocher de ces chants d’universelle ivrognerie qu’on s’est plu à lire et relire dans Vendémiaire comme un rappel du caractère dionysiaque de la poésie.

« Parler, confirme d’ailleurs A. Dickow dans un ouvrage de réflexion récent, Déblais, publié là, chez Louise Bottu, c’est encore manger et boire – le monde, les autres ». Et c’est vrai que dans l’univers de notre auteur, le concept de nourriture tient une place de choix. Outre le bien intéressant ouvrage autour du kaki, qui me l’a fait découvrir il y a quelques années, j’en donnerai pour preuve son très curieux roman paru à la Volte, Le Premier souper dans lequel il est question de mineurs se nourrissant de pierres, d’âmes s’alimentant de chair pour s’incarner monstrueusement, enfin d’une société autophage proscrivant sous peine de mort toute forme de nourriture autre !  [3]

vendredi 2 septembre 2022

NOUVEL OVNI LITTÉRAIRE CHEZ LURLURE : LE CHÂTEAU QUI FLOTTAIT DE LAURENT ALBARRACIN.

 

« Mince il en faut de la chance et des coups de bol

Quand on va dans le poème et dans l’hyperbole

L’aventure réside à tous les coins des mots.

On ne sait jamais tout à fait dans quels rameaux

S’embranchera la phrase qu’on a commencée. »

 

Laurent Albarracin, Le Château qui flottait

 

Certes. Entreprendre aujourd’hui de raconter à la manière ultra-parodique d’un roman de chevalerie, en alexandrins de préférence non classiques[1] mais richement rimés, la geste héroï-comique d’un groupe de poètes contemporains, partis à l’assaut d’un mystérieux château se métamorphosant finalement en inépuisable fontaine, tient en partie de la farce potache. D’autant que l’auteur n’hésite pas et dès le premier vers à indiquer les noms de ses compagnons d’aventure, le poète picard Ch’Vavar, ses acolytes de la revue Catastrophes, Pierre Vinclair et Guillaume Condello (ici Don Cello), puis un certain nombre d’autres, dont le nom parlera ou pas au lecteur en fonction bien sûr de la connaissance qu’il a de ce petit milieu.