Fatigué de cette vague actuelle d’articles qui glosent à l’envie sur le renouveau poétique opéré en particulier sur les réseaux sociaux par de jeunes poètes décomplexés s’employant enfin à faire passer la barbante poésie de papa, celle aussi qu’entreprend de faire connaître l’école, pour un stérile ensemble de formes inabordables et dépassées. Pour cette presse obscurcie qui n’a d’autres libertés que de savoir s’affranchir aussi bien de la réflexion que de la connaissance l’adhésion d’un millier de likes issus de troupes analphabètes vaut largement l’œuvre critique entière aussi bien d’un Blanchot que d’un Starobinski. Rien de nouveau en somme sous le soleil. Paraître l’emportera toujours sur l’être. Les grossières généralités proférées avec aplomb sur la recherche hésitante et subtile. Pour certains vieux poètes dont je suis la poésie pourtant aura été et est encore un instrument singulier de connaissance. Une forme exploratoire qui délivrée du discours et de toute volonté d’adresser un message cherche à faire surgir l’inattendu d’un sens qui resterait à tous, pour chaque instant, ouvert. Depuis longtemps j’oppose cette façon que peut avoir la poésie d’affranchir l’esprit de la séduction des structures closes à cette autre façon de la pratiquer comme simple manière, jouant potentiellement de toutes les tonalités possibles, de tourner un propos, d’illustrer un sentiment. Le pire étant à mes yeux cette poésie que j’appelle de connivence qui cherche effectivement à séduire son public par tous les marqueurs idéologiques d’appartenance. Ou la même complaisance dans les rejets ou les exécrations. Par nature la poésie qui ne procède pas du discours[1] et refuse de s’y laisser réduire court le danger d’être plus ou moins difficilement lisible. L’autre naturellement ne l’est pas préoccupée qu’elle est avant tout de séduire mais ce qu’elle propose à lire nourrit-il ses lecteurs de la même manière ?
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
samedi 13 avril 2024
mardi 9 janvier 2024
QUELS VŒUX POUR 2024 ET POUR LA POÉSIE ?
Travaillant hier à présenter l’intéressant ouvrage de Typhaine Garnier et plus particulièrement l’image décapante qu’elle y donne, dans un certain nombre de passages, du Poète institutionnel et de la cour ridicule dont il est l’objet de la part de ces « têtes molles » qui affectent de le sacraliser, je suis retombé sur cette Physiologie du Poëte, illustrée par Daumier, que, sous le pseudonyme de Sylvius, on doit en fait à un certain Edmond Texier, poète défroqué devenu journaliste, qui tourne en dérision avec, ma foi, un certain talent les principaux poètes de son temps. [1]
J’avais eu recours à cette publication pour me moquer - hélas, j’ai ce tempérament - de certains de ces poétereaux qui multipliant les récriminations contre le peu d’espace accordé à LA POÉSIE, restent aveugles à l’écart astronomique qui existe entre la pauvreté de leurs propositions et l’ambition démesurée qui les porte. Dans la préface de son premier et quand même assez piètre recueil, intitulé En Avant ! Edmond Texier déclarait ainsi : « Fasse le ciel que notre livre tombe au milieu du monde, comme la pierre tombe dans le fleuve en excitant à la surface des cycles immenses et prolongés». Or, en matière de retentissement, chacun sait bien que l’ouvrage de poésie laisse plus souvent infiniment insensible la surface des eaux qu’il n’y produit ces cercles immenses et prolongés rêvés par notre aspirant poète. Et cela, en dehors bien sûr de l’outrance visible du propos, continue aujourd’hui, bien sûr, à faire bigrement question.
samedi 25 novembre 2023
CONTRE CHANGER LE SANG QUI COULE EN LIQUEUR DE FRAMBOISE ! UN EXTRAIT D’UN MOT SANS L’AUTRE, DIALOGUE ENTRE LILI FRIKH ET PHILIPPE BOURET, MARS-A ÉDITIONS.
Comme je me souviens l’avoir écrit lors de sa réception, Un Mot sans l’autre, dialogue entre Lili Frikh et le psychanalyste Philippe Bouret aborde des sujets essentiels et traite entre autres choses de l’imposture radicale de la Littérature avec un grand L lorsqu’elle se réduit comme c’est souvent le cas à n’être plus qu’objet, fabrique ininterrompue de ces mèmes à travers quoi nos esprits aliénés s’imaginent exister. Imposture radicale aussi de la parole quand elle ne prend pas voix au plus fragile et plus risqué de l’être qui sait bien que les mots, que la langue réclament d’être éprouvés, à chaque instant recréés, pour se faire présence. Devenir signes vrais.
J’en propose aujourd’hui un nouvel extrait qui risque malheureusement de ravir quand même les amateurs de liqueur de framboise, ces Madame/Monsieur Verdurin du moment, toujours aussi aveugles à ce qui fonde leur relation à l’art : ce besoin maladif et bourgeois de distinction.
Extrait
Philippe Bouret
Vous placez le « parler » du côté des conventions, des semblants. Vous dites que c'est pour ça que vous êtes restée jusque-là dans un profond silence. Quand vous dites que vous écrivez à voix haute et que c'est pour vous une expérience limite, au-delà de la limite, vous situez-vous en dehors de la question du « parler » ? Est-ce que parler ne viendrait pas comme un obstacle à l'écriture?
lundi 16 novembre 2020
BONNES FEUILLES. L’ÂGE DU CAPITALISME DE SURVEILLANCE. UN LIVRE CAPITAL DE SHOSHANA ZUBOFF CHEZ ZULMA.
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C’est pourquoi m’importe de partager sur ce blog, des textes
qui par leur puissance de pénétration m’aident à y voir clair, persuadé que ce
qu’ils m’apportent ils peuvent aussi l’apporter aux autres. Ces autres comme
moi que le mouvement général de la société vers de plus en plus de contrôle, de
moins en moins de responsabilité, de plus en plus d’intelligence superficielle
et narcissique, de moins en moins de solidarité vraie avec toutes les formes
imprévisibles du vivant, consterne ou stupéfie. Quand il ne les brise pas.
J’entends souvent cette chanson : il faut savoir
s’adapter, marcher avec son temps. Ne pas tourner le dos au progrès. Moyennant
quoi il faut bien sous peine de passer pour un amish faire l’acquisition d’un
téléphone intelligent pour être enfin partout joignable, communiquer avec des
centaines d’amis sur tweeter ou Facebook pour remédier à l’isolement, tisser
d’un clic des liens vers tous les bouts de monde où jamais on n’aurait cru
aller, et puis naturellement, bourrer d’électronique sa voiture pour éviter les
accidents… Certes. Les avantages sont nombreux à cette évolution que d’aucuns
nous présentent comme un merveilleux accroissement de la puissance d’être. Et
une nécessité. Et je sais que beaucoup s’ils murmurent contre la tension que
génère l’incessante adaptation aux changements qu’on leur présente comme inéluctables,
ne voient pas d’autre issue que de les accompagner.
Et c’est là que le livre de Shoshana Zuboff dont je recommande aujourd’hui, vraiment, la lecture, fait œuvre salutaire. Prolongeant de façon terriblement concrète les hypothèses avancées par Barbara Stiegler dans un ouvrage paru l’an passé « Il faut s’adapter » (Gallimard, Essais), ce livre montre que derrière ce qu’on cherche à nous vendre comme un impératif de nos sociétés dîtes complexes se cache une vaste entreprise de dépossession de nos libertés, conçue par un capitalisme totalement dévoyé, qu’elle appelle capitalisme de surveillance, qui, sous couvert de se mettre à notre service, s’enrichit des données qu’il nous extorque pour mieux les transformer par la puissance des intelligences artificielles, en programmes chargés non seulement de nous rendre esclaves du marché mais aussi d’imposer à l’espèce humaine dans son entier, les mécanismes de correction, de dressage qu’il aura concoctés pour édifier le type de société qui lui convient le mieux.
C’est que l’espèce humaine est imparfaite. Et que nombreux
sont aujourd’hui devenus les sachants, spécialistes, ingénieurs, experts, qui
prétendent savoir mieux que tous les autres, comment guider les masses
nécessairement ignorantes et les réduire le plus possible à une forme
supportable pour elles, d’inertie, de passivité. L’idéal qui les meut est celui
d’un homme-machine, programmé, programmable qui se laissera piloter à coup
d’applications et d’objets connectés de plus en plus subtils, de plus en plus
efficaces. Ce cauchemar est en route. Et pour qu’il ne devienne pas un jour
réalité il importe que nous luttions contre cette entreprise de domestication.
Le gros ouvrage de Shoshana Zuboff est de ces livres qui sont aussi des actes. Qui forcent l’attention. Transforment notre regard. Et du fait même qu’ils existent nous fournissent les armes nécessaires à notre libération. Des armes, des analyses, qui tout autant que la poésie, sont nécessaires, selon moi, pour nous défaire enfin, des systèmes invisibles qui nous oppressent.
dimanche 5 juillet 2020
BONNES FEUILLES. INGÉNIEURS DE L’ÂME DE FRANK WESTERMAN.
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mardi 2 juin 2020
AH ! LA MERVEILLE ! PETITS POÈMES Á VOLONTÉ.
jeudi 30 avril 2020
PUISSANCE DES FICTIONS APOCALYPTIQUES. FABULER LA FIN DU MONDE DE JEAN-PAUL ENGÉLIBERT.
Paul KLEE, L'Ange de l'avenir |
mercredi 1 avril 2020
EMPÊCHER L'ESPRIT DE TOUJOURS PLUS S'INFIRMISER AVEC ARMAND LE POÊTE.
mercredi 18 mars 2020
MIEL, LITTÉRATURE ET MODE D'EMPLOI DES MACHINES Á LAVER !
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lundi 9 mars 2020
CEZANNE À MARMOTTAN. PANURGISME ET CORONAVIRUS !
Paysage classique de Francisque Millet |