ZADKINE |
Louis ARAGON, Les mots sont lourds
par quoi j’aime et je hais, 1944
« Il est possible
d'affirmer que le fait de souffrir avec les autres est une forme de littérature
qui cherche ardemment ses mots. La souffrance immédiate, ouverte, se distingue
de la souffrance lointaine en particulier par le fait qu'elle ne cherche pas
ses mots, en tout cas pas au moment où elle est ressentie. En comparaison de la
souffrance fermée, la souffrance ouverte est timide, renfermée et avare de ses
paroles. »
« Se battre haut et fort, est très brave
Mais de plus nobles, - j'en sais
Qui chargent en leur sein
La Cavalerie du Malheur -
Vainquent, - et les nations ne le voient pas
-
Tombent - et nul ne le remarque -
Dont nul Pays, d'un amour patriote
Ne contemple les yeux mourants »
Emily DICKINSON traduction Claire Malroux
Mercredi 25 novembre 2015
Samedi 28 novembre 2015
Quand tu lis tes poèmes, ne cherche pas à
faire exploser les vitres dans l’arrondissement d’à côté...
FERLINGHETTI
Poésie: Art de l'insurrection, 2007
Cette confidence m'obsède depuis des années qu'elle me
donne à voir la vieille main libérée de toute pesanteur et découpant l'espace à
la manière de l'aile d'un oiseau. Aucun doute, la main s'est bien envolée pour
tracer par exemple les contours d'un nu bleu et en sculpter le volume dans le
bloc d'air... Et pourtant le voici à présent au mur – comme n'importe quelle
image peinte, au mur et tout empaillé de papier... Il arrive néanmoins que la
vibration revienne révéler la vraie nature en faisant trembler l'air bleu, mais
le plus souvent rien ne bouge.
Jeudi 9 juin 2016
Jeudi 3 décembre 2015
Chapelle des espagnols (détail) Santa Maria Novella Florence |
Ce qui rend les mauvais poètes plus mauvais
encore, c’est qu’ils ne lisent que des poètes (comme les mauvais philosophes ne
lisent que des philosophes), alors qu’ils tireraient un plus grand profit d’un
livre de botanique ou de géologie. On ne s’enrichit qu’en fréquentant des
disciplines étrangères à la sienne. Cela n’est vrai, bien entendu, que pour les
domaines où le moi sévit.
Emil CIORAN, De l’inconvénient d’être né, 1973
Mercredi 9 décembre 2015
Il y a des mots qui ne signifient rien
Mais il y a quelque chose à signifier
Non pas une déclaration incarnant la vérité
Mais une chose
Qui est. C’est le travail du poète
De subir les choses du monde
Et de les dire à travers lui.
Georges OPPEN
"Est-ce le pré que
nous voyons, ou bien voyons-nous une herbe plus une herbe plus une herbe? … Ce
que nous appelons voir le pré est-ce simplement un effet de nos sens
approximatifs et grossiers; un ensemble existe seulement en tant qu'il est
formé d'éléments distincts. Ce n'est pas la peine de les compter, le nombre
importe peu; ce qui importe, c'est de saisir en un seul coup d'œil une à une les
petites plantes, individuellement, dans leurs particularités et leurs
différences. Et non seulement de les voir: de les penser. Au lieu de penser
pré, penser cette tige avec deux feuilles de trèfle, cette feuille lancéolée un
peu voûtée, ce corymbe si mince… Palomar est devenu distrait, il pense à
l'univers. Il essaie d'appliquer à l'univers tout ce qu'il a pensé du pré.
L'univers comme cosmos régulier et ordonné, ou comme prolifération chaotique.
L'univers fini peut-être, mais innombrable, aux limites instables, qui ouvre en
lui d'autres univers. L'univers, ensemble de corps célestes, nébuleuses,
poussières, champs de forces, intersections de champs, ensembles
d'ensembles…"
Italo CALVINO, Palomar, 1983
Lundi 25 janvier 2016
Simone Martini et Lippo Memmi, 1333, Offices Florence. |
Nous sommes désormais dans une civilisation
de l'écrit, mais chacun a toujours besoin de l'oralité pour prendre sa place
dans le monde. Seulement, il me semble que nous bavardons beaucoup, c'est fou
ce qu'on parle de soi, ce qu'on s'exprime sur soi ! En revanche, peut-être ne
savons-nous plus poser de questions, écouter comment l'autre nous fait signe
par sa parole et par sa voix. Nous pratiquons une oralité un peu sourde.
Arlette
FARGE,
Entretien à l’occasion de la
parution de son Essai pour une histoire des voix au XVIIIe siècle, 2009
Dimanche 27 février
2016
![]() |
Gaïa et le Temps entourés de 4 enfants (les saisons ? ) Munich |
Pourquoi est-il si important de
définir des peuples là où l'on parlait d'une Nature connue par la science ou
d'une Création prêchée par des religions ? Pour pouvoir donner de la place à
d'autres peuples, d'autres occupations du sol, d'autres façons d'être au monde.
On ne souligne pas assez, en effet, que le Nouveau Régime Climatique a ceci
d'étonnant qu'il impose une solidarité terrible et totalement imprévue entre
victimes et responsables. Désormais c'est au coeur de la Beauce aussi bien
qu'en Nouvelle-Guinée, en Californie aussi bien qu'au Bangladesh, au beau
milieu de Pékin autant qu'à travers les vastes territoires des Inuits que la
prise de terre se fait le plus violemment et que les rétroactions de ladite Terre
sont les plus vertigineuses. Le Nouveau Régime Climatique a ceci de
rafraîchissant, si j'ose dire, qu'il commence à rassembler des peuples
également impactés.
Bruno LATOUR
Face
à Gaïa, 2015
Bruno LATOUR
Face
à Gaïa, 2015
Mardi 31 mai 2016
Faire acte de poésie serait-ce opérer le transfert de
quelque chose d'entier comme la vie dans une expression également entière comme
le poème – ou bien n'est-ce là qu'une illusion dictée par le désir utopique de
réunir enfin ce qui tout au plus se croise dans la représentation comme font le
corps et son reflet dans le miroir? Je pense tout à coup au vieux Matisse pour
la raison probablement qu'il me fait apercevoir un geste plus visible que tous
les gestes d'écriture. Matisse, dans les dernières années de sa vie, gouachait
de grandes feuilles de papier pour en faire des espaces monochromes, en fait
des blocs d'espaces comme on pourrait parler de volumes d'air. Puis il prenait
une paire de ciseaux et, a-t-il raconté à André Verdet : "Vous ne pouvez
vous figurer à quel point la sensation du vol qui se dégage en moi m'aide à
mieux ajuster ma main quand elle conduit le trajet des ciseaux..."
![]() |
Décor de plat, Musée Sandelin Saint-Omer |
Dès que la main a perdu ses ailes, c'est comme si elle
n'avait jamais volé, sinon le temps d'une illusion. .
Bernard NOËL
L’Espace du poème,
1998
Jeudi 9 juin 2016
Les livres, je les aimais tout entière chaque fois qu’il
m’en arrivait un – ce n’était pas une maison avec livres là où je vivais mais
chaque individu-livre y entrant, à l’occasion, était accueilli à l’égal des
choses qui permettaient de vivre comme la nourriture, le charbon, les
vêtements, le buffet, le robinet, le poste de radio.
Et ils étaient comme eux : ils existaient. Lire un
livre c’était vivre quelque chose dont on était l’acteur – sujet et objet. Je n’imaginais
pas quelqu’un d’autre, quelqu’un d’extérieur à ce qui se passait quand on
lisait le livre, puisse en être l’auteur.
Christiane VESCHAMBRE
Basse langue, 2016
Tout est magnifique
RépondreSupprimer