dimanche 30 octobre 2022

JEUX SANS FRONTIÈRES. SUR LES CRADUCTIONS DE BRUNO FERN, TYPHAINE GARNIER ET CHRISTIAN PRIGENT AUX ÉDITIONS LURLURE.


 

C’est un petit ouvrage réjouissant que nous proposent les éditions lurlure avec ces Craductions par lesquelles le trio constitué par Bruno Fern, Typhaine Garnier et Christian Prigent, prolongeant par là l’entreprise amorcée dans Pages rosses, paru aux Impressions nouvelles, s’ingénient à « traduire crado modo locutions savantes, bouts de citations, paroles de chansons, titres, noms propres » etc… empruntés non plus cette fois seulement au latin, mais à toutes sortes de langues européennes y compris, pourquoi pas, notre lointain ( far ) breton !

Se donne alors à savourer ce jeu potache[1] qui seul en fait sait redonner à la langue comme une évidence première, sa foncière matérialité d’éléments convertibles que l’intelligence libérée, joueuse, volontiers iconoclaste, entraîne comiquement à signifier par rapprochements, suggestion, voisinages, tout autre chose. De cette sorte de quiproquo verbal affectant par belle malice l’ignorance du béotien bousculant les frontières, il ressort que rien n’est jamais figé réellement pour l’esprit, l’esprit alerte, qui pourtant de plus en plus confronté à toutes sortes de formules cherchant à le fossiliser n’en conservera pas moins toujours, ses capacités de détournement, la carnavalesque puissance de leur opposer masques, tarasques ou bergamasques ! À plaisir comme à volonté.

LIRE EN PDF TELECHARGEABLE



[1] Je recommanderai d’ailleurs volontiers aux professeurs de mes amis de donner à découvrir quelques exemples de ces craductions en demandant par exemple à leurs élèves dans un premier temps d’identifier la langue source, la nature du terme ou de la locution avec son sens puis de retrouver le processus par lequel aura pu passer l’auteur. Enfin d’imaginer pourquoi pas des craductions alternatives.

samedi 29 octobre 2022

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. MILÈNE TOURNIER : SE COLTINER GRANDIR.

 

 Je n’aurai finalement rien écrit sur le dernier livre de poésie de Milène Tournier. Non par indifférence. Bien au contraire. Mais parce qu’il fait pour moi partie de ces livres dont on ne peut parler à la hâte. Ces livres qui pour leur auteur ont quelque chose de vital. Et qui pour les lecteurs dont je suis ouvrent à l’intérieur des espaces où se reconnaît pour eux l’essentiel de ce qu’ils ont aussi à vivre.

vendredi 28 octobre 2022

ÉLOQUENCE DE LA PEINTURE. À PROPOS D’ALICE NEEL.


On connaît peut-être ces Conversations sur la connaissance de la peinture où Roger de Piles, diplomate mais aussi grand théoricien de l’art du XVIIème siècle, fait s’affronter en la personne de Damon, l’expert et de Pamphile, l’amateur, deux conceptions, non pas de la peinture mais de son approche par ceux qui prétendent s’y intéresser. La peinture qui par essence ne parle pas, est par nature muette, ne fait-elle pas plus entendre par son silence que n’importe quel discours, n’importe quel aveugle assemblage de mots ? Est-il aussi bien nécessaire de tout savoir sur un artiste pour se laisser émouvoir par son œuvre ? Oui, comme souvent, on aurait tort de mépriser ces lointaines interrogations, venues d’ailleurs elles-mêmes de plus loin, au nom de je ne sais quelle avantageuse ou contrainte modernité.

mardi 11 octobre 2022

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. UNE RENCONTRE CONTINUÉE DE JAMES SACRÉ AU CASTOR ASTRAL.

J’aime la poésie de James Sacré. Comment d’ailleurs ne pas l’aimer, elle qui noue depuis plus d’un demi-siècle une relation à la vie toute d’ouverture, d’attention, de sensibilité sans jamais élever la voix, adopter de grands airs ou renvoyer son lecteur à sa prétendue nullité. Certes il y a parfois quelque complaisance et une certaine facilité dans l’œuvre si généreuse de Sacré, mais c’est aussi ce qui nous la rend plus humaine et familière[1], dans sa toute confiante et voisine prodigalité.

D’autant que le souci de langue, l’inquiétude vraie qu’il en a, empêche chez lui à chaque fois l’image de se figer, la fragile rencontre qu’établit le texte avec le monde de, comment dire, se vernisser, se vitrifier et qu’il est à mon sens un des rares chez qui la parfaite clarté toujours de l’expression, qui ne va pas comme on le sait, chez lui, sans bien des libertés, ne se berce d’aucune illusion de maîtrise ou d’appropriation.

samedi 8 octobre 2022

SUR VITRÉ DE GUILLAUME ARTOUS-BOUVET AUX ÉDITIONS MONOLOGUE.


« Quarte voir, » c’est par ce vers, ô combien déroutant déjà, que débute et nous saisit Vitré du poète et philosophe Guillaume Artous-Bouvet que publient aujourd’hui les éditions Monologue. Et c’est bien d’une question d’œil, de forme, de vision, comme aussi d’approche et de disposition, qu’il s’agit dans cette publication où le poème se met en place, ligne haute, en avant, pour s’escrimer[1] dans sa langue avec l’ensemble des pensées, des pesées, des poussées naissant de sa confrontation avec la suite des trois grands tableaux que le peintre préraphaélite Waterhouse aura consacrés entre 1888 et 1915 à la triste histoire de cette Lady of Shalott que Tennyson aura popularisée dans son texte éponyme de 1832.

mardi 4 octobre 2022

BONNES FEUILLES. SUR LA DULLE GRIET DE BRUEGEL DANS ESTHÉTIQUE DE LA RÉSISTANCE DE PETER WEISS.

Cliquer pour lire l'ensemble de l'extrait

 

DULLE GRIET DE BRUEGEL. DE MARGOT L’ENRAGÉE À SANDRINE ROUSSEAU ?


La Dulle Griet de Bruegel qu’on peut désormais voir débarrassée de ses épais vernis, rendue au plus près de son état d’origine, au Musée Mayer van den Bergh d’Anvers, est de ces tableaux que l’abondance de ses détails restant pour nous énigmatiques ainsi que l’éloignement où nous sommes des imaginaires de l’époque, rendent propices à toutes sortes d’interprétations. Par quoi se vérifie cette profonde vérité qu’une œuvre finit toujours par appartenir davantage à celui qui la regarde ou la lit qu’à celui qui l’aura un jour produite.

Il y a quelques années, j’avais été frappé, lisant les pages consacrées à ce tableau par Peter Weiss dans son Esthétique de la résistance, par la façon dont ce dernier le reliait à travers son narrateur, à l’expérience de la guerre, tout particulièrement celle menée entre 1936 et 1939 contre les franquistes d’Espagne. C’est que comme on le voit à travers les évocations qu’il fait de l’extraordinaire gigantomachie de l’autel de Pergame, du Radeau de la Méduse, de la Liberté guidant le Peuple, voire de l’œuvre de Millet, les incisifs et précis commentaires auxquels se livre Weiss ne perdent jamais de vue ce que l’œuvre peut nous apprendre sur la condition politique de l’homme soumis à la volonté implacable des puissants. Quitte à s’écarter, comme c’est tout particulièrement le cas, je pense, à propos du tableau de Bruegel, de ce qu’aura pu être l’intention première de l’artiste lui-même.