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vendredi 11 décembre 2020

POÉSIE/PARTAGES N° 2. SE COLTINER GRANDIR DE MILÈNE TOURNIER.

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J’ai rencontré la poésie de Milène Tournier il y a quelques mois suite à la parution de son premier vrai livre aux éditions lurlure[1]. L’intérêt de son écriture et sa capacité de résonance m’ont très vite semblé faire évidence. C’est la raison pour laquelle je lui ai demandé de m’adresser quelques textes pour ces Cahiers Numériques de Poésie en Partages que nous avons inaugurés avec Stéphane Bouquet. L’idée de faire alterner ainsi des poètes largement reconnus et des voix nouvelles de qualité me paraît une idée séduisante comme le fait aussi de pouvoir, grâce aux vertus du numérique, mettre de la façon la plus soignée et la plus stimulante possible, un aperçu du travail de tous ces auteurs, à la disposition des esprits curieux amateurs de belles découvertes.


Les textes que nous a donnés Milène Tournier sont des textes encore inédits qu’elle a rassemblés sous le titre évocateur de se coltiner grandir. Il s’agit d’une succession de textes courts qui tournent effectivement autour de cette expérience particulière de vivre qu’est celle de quiconque reste profondément attaché à l’esprit d’enfance, à la dimension protectrice et chaleureuse d’une famille attentive, tout en cultivant son inquiétude profonde du monde où il lui faut trouver solitairement sa place. Les mots du quotidien sont là comme ceux de la sensibilité ouverte et vulnérable. Et la phrase toujours très simple touche le plus souvent juste. Ce qui pour moi veut dire : rejoint presque constamment l’émotion.

Cette émotion on la retrouve je crois dans les photos que Milène Tournier m’a communiquées pour non pas illustrer ce Cahier mais en accompagner sous une forme autre sa projection vers le monde. Ces photos on ne s’étonnera pas trop finalement qu’elles soient celles de son propre père, Rémi Tournier que nous sommes heureux donc d’accueillir avec elle dans ce modeste travail d’édition qui n’a pas d’autre but que de contribuer, à travers les possibilités très larges mais souvent si mal employées de l’époque, à répondre au besoin d’art et de parole de notre temps. 

Cliquer pour télécharger ce Cahier en PDF



[1] Poèmes d’époque, publié en 2019 dans la collection Polder liée à la revue Décharge à qui revient le mérite d’avoir la première signalé l’intérêt de cette jeune auteure, est plutôt ce qu’il est convenu d’appeler un livret.

 

vendredi 28 août 2020

POÉSIES SOURDES.

 

« Les paroles elles-mêmes et les langues, indépendamment de l’écriture, ne définissent pas des groupes fermés qui se comprennent entre eux, mais déterminent d’abord des rapports entre groupes qui ne se comprennent pas :

S’il y a langage, c’est d’abord entre ceux qui ne parlent pas la même langue.

Le langage est fait pour cela, pour la traduction, non pour la communication. »

Deleuze et Guattari, Mille Plateaux [1]

 Je dois à mon ami Laurent Grisel qui y a collaboré, d’avoir reçu l’imposant numéro de la revue GPS (gazette poétique et sociale) consacré aux enjeux de la traduction des poésies en langue des signes. Comme la plupart des gens j’ignore tout de ce langage des signes que je ne connais finalement que par la gestuelle accompagnant les discours qu’il m’arrive d’écouter à la télévision. Quant à une poésie propre à la langue des signes l’idée qu’il s’en trouvât une, ne m’avait à vrai dire jamais, mais jamais, effleuré.

 C’est le mérite premier donc pour moi de cette publication dont les éléments ont été collectés par la musicienne Brigitte Baumier, créatrice de l’association Arts Résonnances, que de restituer à des réalités qui jusqu’ici m’échappaient, un peu de leur épaisseur et de leur singulière complexité. Et de vérifier au passage que l’essentiel besoin d’expression de chacun trouve toujours à s’illustrer quels que soient les matériaux particuliers dont il dispose.

 Reconnues maintenant dans le monde comme des langues à part entière et non plus seulement comme simple reproduction d’une langue orale première qu’elles visualisent et gestualisent, les langues des signes ont ceci de particulier qu’à la différence de celles qu’utilisent les entendants, elles se déploient dans le visible et engagent pour cela tout le corps. Ce qui lorsqu’elles se veulent poésie les rapproche de la performance et en rend comme cette dernière la trace, l’archivage plus difficiles. Car même s’il en existe des transcriptions graphiques, les créations d’un poète signeur (c’est ainsi qu’on l’appelle) ne peuvent être conservées dans leur réalité propre que par la vidéo. 

Le lecteur curieux de ces créations découvrira ainsi, grâce à un site internet dédié, accessible dans la revue par un QR code, un monde animé d’une belle vitalité qu’il serait dommage d’ignorer. Mais l’intérêt me semble-t-il de ce onzième numéro de GPS réside davantage encore, comme l’indique d’ailleurs clairement son titre secondaire, dans les réflexions auxquelles conduisent la plupart des articles qui s’y trouvent rassemblés. Comment en effet fabriquer du commun, échanger quand même à travers du langage, quand ceux-ci, celui de l’émetteur et celui du récepteur, présentent des différences aussi radicales de formes. La question comme on le voit déborde largement celle des « poésies sourdes ». 

« S’engager dans cette aventure, écrit Marie Lamothe, dans une contribution justement intitulée L’Intraduisible et l’on ne peut s’empêcher d’évoquer ici le fameux Dictionnaire des intraduisibles publié en 2004 sous la direction de Barbara Cassin, est un challenge pour braver des limites et révéler les capacités insoupçonnées de chaque langue. » Car entre langues des signes et langues des sons la traduction devient un acte poétique à part entière. L’interprète s’y fait « l’interpoète », ce mot-valise résumant à lui seul le champ de tension dans lequel se voit jeté le traducteur qui comprend que la seule façon possible de servir la volonté d’expression de l’autre est de trouver en lui-même de manière intelligente et inventive des ressources on ne dira pas parallèles, ce qui est dans les faits impossible mais le plus possible accordées. Équivalentes. Dans l’ordre de l’idée. Du rythme. De l’intensité. De l’émotion encore qu’elles font advenir. 

On se reportera à la précise synthèse que dressent Marion Blondel et Laurent Grisel des formes de correspondances pouvant être ou pas trouvées entre ces 2 systèmes de langue, au niveau par exemple de la syllabe, des rythmes, du silence pour se faire une idée des défis particuliers que doit affronter qui veut passer entre ces langues et de l’intelligence créative que cette opération réclame. 

Et c’est cela que pour moi je voudrais retenir. C’est que s’il n’existe pas, et c'est heureux, de langage universel capable d’exprimer l’ensemble des expériences partagées par tous les groupes ou peuples de la Terre, cela ne signifie pas pour autant bien au contraire que la traduction soit une œuvre impossible. Aucune langue en fait, comme on le voit bien dans la réalité, n’est incommensurable à l’autre. Ce qui sûrement est vrai, c’est qu’en matière d’échange entre les hommes, entre les êtres, il y a toujours de la perte. Ou de l’excès. En tous cas de l’approximation. Une approximation réellement créatrice qui n’est d’ailleurs pas que le fait de la différence des langues. Tout geste, toute parole, contient de l’indéterminé, du flou, produit comme un remous de connotations dont il est impossible de faire jamais le tour. Ce qui produit le malentendu. La confusion. Certes. Parfois l’enfermement. Mais oblige à penser le geste, la parole échangés toujours comme une approche. Un risque. Un inlassable et généreux cheminement. Que vient récompenser la découverte, à chaque fois, oui, de nouveaux possibles. 

C’est à cela que ce courageux numéro édité par les très contemporaines éditions Plaine page invite chacun d’entre nous.



[1] Cette citation a été placée par les responsables de la revue à la fin de leur ouvrage en guise d’exergue inversé.


 

mardi 30 juin 2020

ÉLARGIR NOTRE MERVEILLEUSE CAPACITÉ DE PAROLE. DOSSIER FINAL D'EXTRAITS POUR LE PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21.

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Oui, comme nous l’écrivions l’an dernier, nous avons besoin de parole. C’est la vie. Et c’est le propre des poètes ou de façon plus générale de ceux qui entretiennent une relation dynamique au langage que de témoigner de cette nécessité profonde. Cela n’est-il pas merveilleux de réaliser que nous  sommes dans tout le vaste univers connu, la seule parmi ces millions et ces millions, ces milliards, peut-être, d’espèces vivantes, la seule à disposer de cette capacité de prolonger notre existence en paroles. Des paroles qui nous survivent. Et que pour les plus abouties d’entre elles et les plus nourrissantes, nous pouvons nous transmettre de générations en générations.

Mais cette capacité de paroles n’est en fait que l’une des manifestations de notre besoin plus large non seulement de nous représenter  les choses ou de nous exprimer mais par l’intermédiaire de nos facultés créatrices de libérer, augmenter, intensifier, exalter, comme l’écrit le philosophe Paul Audi, notre sentiment d’exister. Sur tous les plans où se joue en nous et dans le monde nos communes et singulières destinées.

C’est pourquoi on trouvera ici en lien toujours avec les extraits des ouvrages que nous avons sélectionnés toute une série d’oeuvres à découvrir et de questions à explorer. Rien n’est plus mortel pour l’intelligence que de s’enfermer dans des catégories. Ou des définitions. Catégories, définitions ne sont utiles que pour aider l’esprit à s’orienter. Une fois que l’on a regardé son plan, il importe de regarder la ville . Se perdre dans ses quartiers. S’imprégner de leurs différentes atmosphères. Ne jamais se contenter des visites guidées des principaux monuments.

On le voit. Le Prix des Découvreurs n’est pas un prix de poésie comme les autres. Son ambition est grande. Elle vise à aider ceux qui ne se contentent pas des formules toutes faites, à se construire et à inventer toutes sortes de parcours qui leur donneront non seulement de la poésie mais de l’art et de la culture une conception plus large, accueillante et vivante. Qui les amène à se constituer, dans l’écoute, l’échange, le partage des interrogations et des curiosités, en Sujet, non seulement rationnel mais aussi créatif et sensible, de leur propre parole, de leur propre existence.

Merci par conséquent à ceux qui rendent cette aventure possible : la Ville de Boulogne-sur-Mer qui nous soutient depuis toujours de diverses manières,  le Rectorat de Lille qui fait de notre action l’un des éléments de sa politique d’action culturelle et éducative, nos amis professeurs de lettres et documentalistes ainsi que les chefs d’établissement qui nous ouvrent leurs classes et bien entendu à nos amis poètes, écrivains, éditeurs et artistes qui s’impliquent avec générosité dans ce défi lancé à l’étroitesse présumée des temps.



jeudi 25 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. DIT LA FEMME DIT L’ENFANT DE CHRISTIANE VESCHAMBRE.

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Nous voici donc arrivés au tout dernier Cahier d’accompagnement de la sélection 2020-21 du Prix des Découvreurs. Point final ou presque d’un long travail qui nous aura occupé durant bien des semaines. Nous terminons avec le beau livre de Christiane Veschambre, paru aux éditions isabelle sauvage, dit la femme dit l’enfant. Nous aurions bien aimé proposer pour la découverte d’autres passages de cet ouvrage susceptibles d’éveiller davantage encore d’échos chez de jeunes lecteurs préoccupés d’abord d’eux-mêmes et du monde dans lequel ils croient vivre. Seulement, il nous a semblé impossible de les faire entrer dans le livre autrement qu’en les plaçant sur le seuil imaginé par son auteur.

Pour ce qui est de l’accompagnement artistique et culturel qui est le signe distinctif de ces Cahiers, nous avons encore une fois privilégié peinture et arts plastiques en proposant à la découverte le travail d’un peintre méconnu de la première moitié du XXème siècle ainsi qu’une réflexion sur le cadre et le trompe-l’œil. Tous les liens actifs de ce Cahier seront visibles et rendus actifs sur CALAMEO qui a l’inconvénient toutefois de ne pas être téléchargeable. Le PDF correspondant peut l’être sans difficulté, les liens quant à eux n’apparaissant qu’au passage de la souris.


samedi 20 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. OURSON LES NEIGES D'ANTAN ? DE LUCIEN SUEL & WILLIAM BROWN.

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Septième et avant-dernier Cahier d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, celui que nous consacrons à OURSON LES NEIGES D’ANTAN ? édité chez Pierre Mainard, a ceci de particulier qu’il permet de découvrir la relation que le poète Lucien Suel aura entretenu durant plus de 10 ans avec l’artiste gallois d’origine canadienne William Brown. Le livre reprend en effet l’ensemble de leur collaboration et ceux qui seront curieux de plonger plus avant dans l’intimité de cet échange trouveront sur le site de Lucien Suel, SILO, de quoi satisfaire leur envie.

Nous avons pensé intéressant parmi les liens que propose l’édition numérique de ce Cahier de renvoyer aussi à l’art de la gravure ainsi qu’à l’Art postal ou mail-art, forme pratiquée par nos deux auteurs, qui se trouve d’ailleurs à l’origine de leur rencontre. Enfin on trouvera de quoi comprendre l’origine, le fonctionnement et l’intérêt de ce vers justifié que Lucien Suel qui en est l’inventeur, pratique à l’intérieur de cet ouvrage.


mercredi 10 juin 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21.QUATUOR D'EMMANUEL MOSES.

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Pour ce cinquième des Cahiers d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, consacré au Quatuor d’Emmanuel Moses nous avons choisi à travers l’extrait que nous en proposons de mettre l’accent sur le caractère « philosophique » de cette poésie qui interroge non seulement les sentiments, les sensations qu’éveillent en elle les vissicitudes, comme on dit, de la vie, mais aussi les idées, les pensées, qui tentent d’en rendre compte. Cela ne rend d’ailleurs pas le texte d’Emmanuel Moses, comme on le verra, plus abstrait. Loin de là. Comme pour les autres Cahiers nous avons multiplié les renvois à l’histoire de la peinture, incitant qui le voudra à se plonger dans la contemplation comme y invite le texte de l’auteur des extraordinaires portraits du Fayoum et dans l’art du memento mori. Tout en écoutant au passage un extrait d’un des plus déchirants morceaux de musique que je connaisse, le second mouvement du quatuor n° 14, en ré mineur, de Schubert, connu sous l’intitulé de La Jeune fille et la Mort.


samedi 30 mai 2020

CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2020-21. ALVÉOLES OUEST DE FLORENCE JOU.

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Véritable petit objet interactif* notre troisième Cahier d’accompagnement du Prix des Découvreurs 2020-21, consacré au livre de Florence Jou, entraînera certes ses lecteurs dans l’important travail de lien et de résidence qu’elle a accompli au Centre d’Art Contemporain, le Grand Café de Saint-Nazaire en proposant d’écouter soit l’intégrale de la performance qu’elle y a réalisée à partir de son texte, soit simplement le teaser, comme on dit, qu’en propose aussi Vimeo. Mais il ouvrira d’autres portes à la curiosité. Une œuvre se doit bien sûr toujours d’être intéressante en elle-même. Cela ne signifie jamais qu’elle doive se replier sur elle. Bien au contraire. L’œuvre est un nœud, un carrefour de sensibilité, de connaissance et de réflexion. Elle a pour source la vie, toute la vie et pour finalité toujours aussi la vie, mais la vie avivée, augmentée, fortifiée, redoublée… nourrie.

Ainsi le lecteur qui ouvrira notre cahier découvrira ce qu’est un Centre d’Art Contemporain, y verra le type d’œuvres qu’on y collectionne ou qu’on y expose et pourra s’interroger sur les différences qui fondent aujourd’hui les 3 paradigmes principaux de l’art que sont le classique, le moderne et le contemporain que trop souvent notre ignorance amène à opposer non pour les mieux comprendre mais pour se conforter dans ses malheureux préjugés.

La démarche de Florence Jou ayant une portée indiscutablement sociale et politique, et ne cachant en rien sa dimension d’engagement, nous avons aussi cru bon de renvoyer à l’esprit dit de Mai 68 à travers le rappel en illustration de certaines affiches mais surtout en proposant un lien vers un important travail sur l’esprit de révolution qu’on trouvera sur le site Gallica.

Et puis comme nous aimons les images élaborées par les artistes et la visite des musées auxquels nous consacrons finalement aussi bien du temps, nous avons attiré l’attention sur la grande figure, moderne, de Fernand Léger et le sympathique petit musée qui lui est consacré à Biot dans les Alpes maritimes, en proposant une découverte plus précise de son grand tableau intitulé Les Constructeurs. Pourquoi d’ailleurs ne pas profiter alors de l’occasion pour établir un parallèle avec les fresques réalisées aux usines Ford de Détroit, par le grand peintre mexicain Diego Rivera que nous avons évoqué dans notre cahier précédent consacré aux Autobiographies de la faim de Sylvie Durbec.

L’espace nous a manqué pour renvoyer au bien intéressant livre qu’Antoine Volodine a publié sous le patronyme de Maria Soudaïeva, Slogans, qu’on peut facilement utiliser pour motiver et orienter des ateliers d’écriture. Les curieux que nous n’aurons pas encore épuisés iront voir.

Note : dans ce Cahier, comme dans tous les autres, passer la souris sur le texte ou l'image pour voir apparaître les liens.

lundi 2 mars 2020

NOUS INVENTER DE NOUVEAUX COMMUNS.


En matière de livre de résidence le pire côtoie parfois le meilleur. Nous connaissons tous de ces minces plaquettes où sous couvert de rendre hommage au territoire qui l’a quelque temps hébergé tel estimé confrère s’en fait comme il peut le rhapsode, bricolant quelques rapides pièces de circonstances dans l’espoir d’ainsi s’acquitter de l’engagement prévu dans son contrat.

Il n’est pas toujours simple d’écrire sur commande. Ou d’en trouver le sens.

Florence Jou n’est apparemment pas de ceux que rebutent ce type d’exercice. Invitée par Le Grand café, un dynamique Centre d’Art Contemporain installé depuis plus d’une vingtaine d’années sur l’estuaire de la Loire, à Saint-Nazaire, la jeune poète-performeuse a bien assimilé l’esprit de cette structure dont une des raisons d’être est d’associer autant que possible les publics diversifiés auxquels elle se trouve rattachée, au processus de création mis en place à leur contact par des artistes que la production d’une œuvre achevée retient moins que l’invention collective d’un chemin enrichissant ou renouvelant les pratiques de chacun.*

Certes dans ses Alvéoles Ouest, Florence Jou ne se libère pas totalement des poncifs qui accompagnent ces productions sensées réveiller pour se la réapproprier la mémoire d’un territoire. Reprenant ici celle des travailleurs des bureaux d’étude des gigantesques chantiers de Saint-Nazaire, elle joue à mon avis un peu trop facilement de la nostalgie d’un monde d’avant le numérique où les tracés effectués sur les plans par des employés devant à l’expérience plutôt qu’à leur diplôme, contrôlant l’ensemble de leurs outils, n’étaient pas encore désolidarisés des corps, « pas encore coincés dans les modélisations »  d’un programme élaboré sans eux. Par les machines. 

On lui en tiendrait rigueur si l’ensemble du livre se contentait d’une critique de convention des systèmes oppressifs nous enfermant aujourd’hui de plus en plus dans le cercle malheureux de nos passions tristes.

Mais, dans un esprit et une certaine invention de formulation qui m’a parfois rappellé le travail d’Alain Damasio dont j’étais d’ailleurs en train de relire la postface qu’il vient d’écrire au livre indispensable de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, Florence Jou, contre ce qu’elle nous invite à voir comme une terrible entreprise de broyage des aspirations légitimes de l’individu, nous entraîne à tout un travail de résistance et de réaffirmation créatrice, inventive, de nos libertés profondes. Face ainsi à ce qu’elle nous donne à penser comme une entreprise de « pestonnage massif » par laquelle l’individu se fait piler, dépiler « comme du basilic, comme de l’ail, comme des pignons », elle revendique pour chacun l’art du bartitsu, cette méthode de défense personnelle née en Angleterre à la fin du XIX, reposant « sur le sens de l’équilibre, l’art de la ruse et une économie de coups ».

C’est que l’heure n’est plus à la plainte voire à la résignation. Mais à l’invention de nouveaux espaces et de formes nouvelles de résistances. Dans la création de nouvelles solidarités. Si possible joyeuses. Allègres. Mobiles. Et pourquoi pas flottantes.

Dans ce domaine l’art doit bien tenir sa place. C’est pourquoi dans la dernière partie de son texte Florence Jou rejoue la scène inaugurale de la création du centre d’art qui l’accueille, réinventant l’argumentaire de Sophie Legrandjacques qui allait devenir sa toute première directrice. Insistant sur la nécessité de « casser les stéréotypes de l’art identitaire » pour proposer à ces Messieurs de la municipalité une aventure susceptible de créer sur leur territoire de nouvelles relations. De faire émerger chez ses habitants une autre et plus fertile intelligence et du monde et d’eux-mêmes.**

Une alvéole est une cavité dans laquelle comme une dent, comme une plante, quelque chose de l’ordre de la vie, de la création, est susceptible de prendre un jour racine. Les Alvéoles de Florence Jou sont à prendre comme la reconnaissance par l’artiste qu’elle est de la puissance d’un lieu où cette vie s’invente, anglant comme elle dit « vers de nouveaux communs », plongeant « dans des ouvertures et des passages », débordant pour finir « d’un réseau inextricable de nouvelles affinités ».


NOTES

* C’est ainsi que ce livre a été conçu pour servir de support à une performance réalisée au Grand Café dans un dispositif sonore imaginé par l’artiste Dominique Leroy. Dans ce dispositif cinq performeurs amateurs dont la directrice du Grand Café ont pu prendre leur part.


vendredi 21 février 2020

GUERRE AUX RESTAURATEURS ? UNE HALTE Á PIERREFONDS.

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Qu’est-ce qui peut bien constituer l’authenticité d’un monument ? Est-ce principalement comme semble le penser la majorité d’entre nous, la persistance dans le temps de ses matériaux d’origine. Auquel cas rien, nous venant des plus lointains passés, ne sera plus authentique bien entendu qu’une ruine. Ou, comme c’est par exemple le cas pour la tradition japonaise, la forme qui porte son esprit ou pour mieux dire le modèle immatériel qui aura pu dans le passé en susciter la construction et par la suite son usage.

Á ce moment de notre petite histoire nationale où nos responsables politiques auront à se prononcer sur les suites à donner à l’incendie de Notre-Dame-de-Paris, ces questions naturellement se posent. En des termes je veux bien le croire beaucoup plus complexes encore. C’est pourquoi je ne crois pas inutile de partager sur ce blog quelques réflexions qui me sont venues à la suite d’une visite du Château de Pierrefonds qu’on peut finalement considérer comme emblématique d’un type de restauration penchant plutôt du côté de la conception japonaise. Viollet-le-Duc n’a-t-il pas là, dans sa quête du monument perdu situé l’authenticité dans la reconstruction, à force de plongées dans le passé et d’un inlassable travail d’observation et de connaissance mais à partir aussi des matériaux et des techniques de son temps, d’un modèle idéal de gothique capable de parler à nouveau à l'esprit.

On trouvera dans ce dossier outre mes réflexions sur le site et quelques rapides recommandations pour le séjour, deux textes particulièrement intéressants que je donne dans leur intégralité, l’un d’Anatole France exprimant ses réactions à la découverte de Pierrefonds juste après sa restauration, l’autre de Victor Hugo, un  pamphlet magnifique et bizarrement très peu connu, que je recommande vraiment à tous pour sa verve inimitable et pour les multiples échos qu’il peut faire à notre sombre actualité.

jeudi 30 janvier 2020

TRAVAILLER POUR L’AVENIR. DE LA LUTTE DE JACOB AVEC L'ANGE AU MUSÉE DE LA MINÉRALOGIE DE PARIS !


Quel point commun entre La Lutte de Jacob avec l’Ange de Delacroix et ce minerai de couleur-brun-rouge appelé coltan, parfois encore tantalite, dont on nous dit que le sous-sol de la République démocratique du Congo contiendrait plus des trois-quarts des réserves mondiales ? 

Tout dans l’univers est lié. Nous n’avons que le choix des parcours. De ceux qui nous font avancer un peu plus dans la connaissance et la mesure de nos responsabilités. Ou à l’inverse de ceux qui feront de notre existence qu’elle n’aura servi à rien. Pire ! Qu’elle n’aura fait que contribuer à précipiter la perte de tout ce qui en nous, autour de nous, constitue la prodigieuse et fragile beauté de la Vie.

Les choses ne se passent pas trop bien, semble-t-il, ces derniers temps, dans les établissements scolaires. L’extrême concentration des esprits sur l’évaluation, le système des notations et le jeu permanent des contrôles, tendraient selon nos collègues à enfermer les apprentissages dans un temps administratif bien éloigné de ce qui féconde les curiosités, épanouit lentement la réflexion, intensifie pour finir la résonance des découvertes qui transforment.

Alors, un parcours comme celui que nous venons d’accompagner allant du dernier grand combat d’un des plus grands peintres du XIXème à la prise de conscience des guerres dissimulées aujourd’hui dans le monde pour la propriété des terres rares, un parcours qui fait traverser moins d’un kilomètre des rues parmi les plus richement historiques de Paris, du parvis de l’église Saint-Sulpice où se lisent encore des vestiges à moitié effacés de notre grande révolution jusqu’à cette partie préservée de l’Hôtel de Vendôme où se niche l’un des plus beaux musées de minéralogie du monde, un parcours allant de la petite histoire à la grande politique internationale en passant par la science des cristaux et l’art difficile de la fresque, de la petitesse de l’homme attaché à détruire les traces de ceux auxquels il est opposé à la grandeur des quelques-uns qui nous débordent par leur travail, leur créativité ou leur génie, oui, ce parcours pourra-t-il toujours s’effectuer avec les écoles ou ne restera-t-il que le souvenir d’un simple moment arraché à la triste routine d’une formation de plus en plus considérée autour de nous comme un dressage.

Travailler pour l’avenir ! tel est l’intitulé de la singulière journée que nous avons imaginée avec l’équipe rassemblée par le Proviseur du lycée Berthelot de Calais pour effectuer dans l’esprit du Laboratoire Novalis auquel j’ai l’honneur avec les Découvreurs d’appartenir, et dans le cadre d’un travail tournant autour de la publication par les éditions invenit du Système poétique des éléments, une véritable action éducative à vocation transdisciplinaire.

Tenons-nous en aux grandes lignes. Pour une bonne trentaine d’élèves de secondes qui pour la plupart débarquaient pour la première fois dans notre capitale, la découverte de la célèbre peinture de Delacroix La Lutte de Jacob avec l’Ange fut l’occasion de faire comprendre que toute œuvre est combat. Que la beauté, le génie ne sont pas donnés d’emblée. Qu’il existe toujours des difficultés à surmonter. Des matériaux à dompter. Que tout cela, bien sûr, réclame du temps. Parfois beaucoup de temps. Celui de la formation d’abord, puis celui nécessaire à la constitution d’une expérience. Et le temps pour finir de sa conception et de sa réalisation.

Le chemin qui mène de l’église Saint-Sulpice où s’admire (entre quantité d’autres choses) l’œuvre de Delacroix et le Musée de minéralogie (sis au 60 Boulevard Saint-Michel) passe très heureusement par une étroite et très courte rue, la rue Férou, qui fournit en raccourci l’occasion d’évoquer les mille et une richesses que la ville de Paris offre à la considération du promeneur curieux tout autant qu’averti. Sans négliger l’intérêt qu’il y a à se pencher quelques secondes sur le coût des offres immobilières exposées en vitrine de l’agence qui occupe le coin de la rue, et qui remarquons le au passage a pris la place d’une célèbre librairie, L’Âge d’homme !, on peut attirer ici l’attention sur le pouvoir d’attraction et de stimulation d’une capitale qui sur quelques mètres carrés d’habitation et à proximité du célèbre salon de Madame de la Fayette, accueillit tant d’illustres provinciaux tels Prévert, Chateaubriand, Renan, Taine, le peintre Fantin-Latour originaire du Dauphiné sans compter de grands américains comme Man Ray qui y avait un atelier, Hemingway qui dit-on y écrivit l’Adieu aux armes ou encore Scott Fitzgerald.

Bien sûr la rue Férou est aujourd’hui davantage célèbre par l’impressionnant poème mural de 300 m2 réalisé par le peintre calligraphe hollandais Jan Willem Bruins qui a reproduit sur le mur de l’Hôtel des impôts par quoi commence la rue, le célèbre poème de Rimbaud, ce fameux  Bateau ivre que le jeune Arthur aurait lu en 1871 dans un café aujourd’hui disparu, situé à quelques dizaines de mètres, sur la place. Utile nuance à nos propos concernant le vieux Delacroix : la valeur, comme le fait dire Corneille dans le Cid, n’attend donc pas toujours le nombre des années. Et c’est sa force aussi que de pouvoir se lancer, comme le fit Rimbaud et comme le montre son poème, dans l’inconnu et l’aventure déconcertante aussi des découvertes.

Traversant alors les beaux et classiques jardins du Luxembourg en profitant pourquoi pas de ses jolies toilettes gratuites (chose rare !) une photo s’impose avec en arrière plan le grand bassin et la majestueuse façade du Palais où depuis 1799 siège le Sénat de France. Sur quoi se fondent donc la grandeur et la magnificence d’un état ? Pas certain que les jeunes gens qui posent sur la photo se posent cette grave et difficile question. Une réponse leur sera toutefois en partie fournie au Musée de la minéralogie maintenant tout proche où les attend le conservateur Didier Nectoux qui, après leur avoir retracé un rapide historique du lieu,  expliqué les nécessités économiques, industrielles et par voie de conséquences politiques et pédagogiques auxquelles répond une école comme celle de l’École des mines dont le musée dépend, leur avoir magistralement fait comprendre pourquoi la cristallographie allait dès l’an prochain devenir une discipline obligatoire dans l’ensemble des programmes de première, les avoir aussi laissés s’extasier devant les merveilles de roches exposées dans ses innombrables vitrines, finit par leur parler de notre mystérieuse tantalite.

Non, la tantalite n’est pas que ce bloc relativement informe et pas trop séduisant de roche exposé dans la vitrine. C’est un morceau de matière dont l’appropriation est devenue aujourd’hui vitale pour les sociétés qui sont parvenues à rendre indispensables aux milliards d’êtres humains que nous sommes, ces portables par lesquels nous vivons désormais connectés. Les découvertes d’abord fondamentales des savants, la puissante créativité des ingénieurs et le savoir-faire des techniciens et des machines se sont rassemblés pour qu’autour d’une infime partie de la matière cachée dans cette roche, matière dotée de propriétés qu’elle est seule à posséder, puissent fonctionner ces appareils que nous utilisons sans jamais nous poser la question des ressources naturelles indispensables à leur création.

Le travail de connaissance des savants pour déterminer les propriétés singulières des éléments, ont conduit depuis l’avènement de l’ère industrielle, les autorités à s’intéresser sérieusement, méthodiquement, aux richesses innombrables des sous-sols comme à chercher par tous les moyens disponibles à se les approprier. Fut-ce par la guerre. Ou la colonisation. De la vient en partie la grandeur des états. Tous ces cailloux qu’on voit dans les différentes vitrines sont en fait des richesses dont la possession importe. Et conduit comme aujourd’hui par exemple au Congo à ces guerres qu’on dit tribales mais qui cachent en fait des intérêts économiques très puissants.

Demandant à son public de réfléchir un peu aux incidences des portables que chacun tient effectivement bien à la main, Didier Nectoux fait comprendre le lien avec le travail des enfants qui exploitent au Congo les mines de coltan. Lui demande jusqu’à quel point il se sent collectivement capable d’aller pour lutter contre de telles dérives. Avant d’insister sur le fait qu’il appartient à chacun de choisir son parcours. Car le monde a besoin de savants, de techniciens qui travaillent à la fabrication d’un monde plus responsable et proposent à tous des solutions viables. Mais aussi de politiques qui fédèrent les énergies en les organisant autour de lois justes et protectrices. De juristes qui pensent ces lois et les rédigent. De journalistes qui éclairent réellement l’opinion sur les véritables enjeux du monde dans lequel nous vivons. D’artistes qui nous illuminent et donnent un sens plus large à nos aspirations. De professeurs enfin qui sachent bien transmettre. Et qui d’abord éveillent.

Nous sommes passagers du temps. Sur une terre dont nous exploitons depuis toujours les richesses pour nous construire un environnement à la hauteur de nos besoins et de nos aspirations. Mais si ces dernières n’ont aucune limite, il n’en va pas de même des ressources naturelles dont nous disposons. Quel Ange viendra bientôt nous interdire comme dans cet autre tableau de Delacroix vu lui aussi à Saint-Sulpice, de pousser plus avant le pillage de ces biens pour en laisser leur juste part aux générations à venir.

On ne croyait voir là que des cailloux. De petits blocs de couleurs informes, au mieux quelques splendides cristaux arrachés quelque part aux entrailles comme on dit de la terre. On y a vu finalement notre histoire. Et les défis, formidables, qui nous attendent. Cela n’ira pas sans combat. Dans lequel il faudra que nos jeunes s’engagent. Chacun dans son domaine. Mais dans le souci commun de maintenant travailler, mieux que nous, à préserver l’avenir.