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samedi 15 février 2025

ET SI S’EFFACENT DE FRANÇOIS COUDRAY AUX ÉDITIONS L’AIL DES OURS.


 

Avec ça veut dire quoi partir, Prix des Découvreurs 2024, j’ai appris à connaître la poésie de François Coudray et la façon qu’elle a de tourner, pas simplement de tourner mais aussi se retourner puis s’enfoncer dans la béance d’une absence. Celle en l’occurrence pour lui du frère qui n’aura pas supporté, un jour, la blessure pour lui de la vie.

L’ouvrage que les éditions L’Ail des ours a dernièrement publié de lui continue cette exploration en la rapportant également à la figure disparue de deux grand-mères, Yvonne et Juliette, auxquelles le poème des pages 7 à 11 est adressé. Et si le livre est court, comme le veut le principe apparemment de la collection, une vingtaine de pages, accompagnées de reproductions de gouaches de Renaud Allirand, il n’en parvient pas moins à faire sentir au lecteur ce sourd travail du temps qui à l’intérieur de nous rassemble dans un présent qui n’en finit pas de se succéder à lui-même tout un passé qui s’effaçant continue avec nous de faire obscurément corps.

Histoire de toucher. De tact. La main tout au long de ces pages fragiles sera l’image de ce qui dans le poème comme dans l’émouvante et physique réalité fait tout autant signe de deuil que de tendresse, d’attachement. Que ce soit la main dans le souvenir, vieille, qui « caresse grumeaux de farine sur la toile cirée de la cuisine » ou celle fantasmée du frère qui vous envoie d’un geste comme un « avion de papier » loin de lui sur la dune, la main des disparus reste, pour François Coudray, celle avant tout qui guide cette autre main qui, dans le poème, cherche le texte qui tout en leur offrant demeure les laissera libres aussi de s’éloigner de lui.

vendredi 24 janvier 2025

À PROPOS DE FICTION TOMBEAU PARU DANS LE DERNIER LIVRE DE DOMINIQUE QUÉLEN CHEZ BACKLAND ÉDITIONS.

Cliquer pour ouvrir le PDF

 

Personne ne me croira, j’imagine, si j’affirme que la poésie de Dominique Quélen est une poésie des plus claires. Ou comme il l’écrit lui-même, d’une « obscurité plus claire que la clarté même ». Et pourtant quiconque garde bien à l’esprit 1) ces deux ou trois choses fondamentales que ses cours de linguistique lui auront enseignées à propos de la différence entre le mot et la chose, la nature complexe et diverse du signe, comme aussi 2) certaines des considérations de Stéphane Mallarmé autour de la fleur absente de tout bouquet ou par exemple encore de la disparition élocutoire du poète, sans trop négliger non plus 3) ce qu’il faut savoir du Temps comme des temps qui s’efforcent dans nos langues à le décomposer grammaticalement en formes, pourrait souscrire à cette affirmation[1]. Bien reconnu, par ailleurs, que les textes de Dominique Quélen procèdent assez souvent, quelle que soit la nature de ce qu’ils évoquent, d’un humour pince sans rire et d’une forme sans doute un peu douloureuse mais tout-à-fait réelle d’auto-dérision, je crois pouvoir dire que ces livres avec toute l’invention perpétuelle qui les caractérise, signifient à coup sûr davantage que ces monceaux de vers de Carnaval ou de Carême qui ne cherchent, à gros ou maigres renforts de clichés comme de clins d’œil à la mode du temps, qu’à faire poésie sans en prendre le risque vraiment.

mardi 1 octobre 2024

AUTOUR D’UN POÈME DE JEAN FOLLAIN ET DE LA FILLE DU TINTORET.


 

Le Tintoret peignit sa fille morte

il passait des voitures au loin

le peintre est mort à son tour

de longs rails aujourd'hui

corsètent la terre

et la cisèlent

la Renaissance résiste

dans le clair-obscur des musées

les voix muent

souvent même le silence

est comme épuisé

mais la pomme rouge demeure.

Jean Follain, Les choses données, Seghers, 1952

 

C’est peut-être, qui sait, du souvenir en lui d’un tableau du peintre français Louis Cogniet représentant le peintre vénitien Tintoret traçant une dernière image de son enfant bien aimée, que part le beau poème de Jean Follain. 

vendredi 19 février 2021

BEAUPRÉ. SUR LE DERNIER LIVRE D’ÉRIC SAUTOU CHEZ FLAMMARION.

Dès lors qu’une parole est émue, elle se communique. Non dans la transparence d’une pensée, dans la clarté d’un sens, mais dans l’évidence d’une émotion. Palpitation, frémissements, cassures, brisures, reprises, relances, montées et retombées, ceux qui liront vraiment le dernier livre d’Eric Sautou comprendront que ses poèmes s’ils font bien entendu  signe, le font bien au-delà ou en deçà, de toute signification intellectuelle. Figures qu’ils sont, dans le sensible, d’un intime traversé.

 

Parus ces derniers jours chez Flammarion, les poèmes que rassemble Beaupré restent très proches de ceux que ses lecteurs auront trouvés en 2017 dans la Véranda. Où se disait, se vivait aussi, le deuil de Marcelle, sa mère, perdue en 2014. Mais le livre ici de par la perspective que lui donnent ces trois nouvelles longues années, les jours et les jours, donc qui depuis se sont accumulés, acquiert une charge émotionnelle plus forte. Une tonalité peut-être aussi plus sombre. Dépeuplée. Car si l’image de la véranda se voulait, somme toute, lumineuse, celle de l’étang de Beaupré, dans laquelle finalement se noie le souvenir de la disparue, ne reflétant plus rien pour l’auteur des nuages qui le survolent, témoignent que peut-être là, en vérité je ne sais, quelque chose s’est refermé. Qu’un impossible a pris fin. Que le travail orphique du poète qui, comme dans la Véranda, noue sa parole vivante à celle toujours vivante par lui, de sa mère morte, que ces mots/fleurs qu’ils échangent jusqu’à les voir tomber et retomber, incessamment sur le corps de page du poème, se voient opposer désormais la dure réalité de la tombe. Cette porte par où les vivants quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils tentent, n’entrent pas.

 

Alors il n’y a pas d’analyse à faire des poèmes d’Eric Sautou. Juste à entendre jusqu’à son épuisement leur parole affectée. Qui revient inlassablement à tenter de construire et reconstruire l’utopique maison familière de langage qui l’espace d’un instant ou pour toujours enfin les réunirait. Et la mère. Et l’enfant. Et cet homme vieilli qu’il est en train de devenir. D’où ces reprises obsédantes comme dans certains airs déchirants de musique, des mêmes motifs, thèmes qui jamais n’entrent dans la description, restent toujours dans la totale ouverture des réalités génériques – fleurs, feuilles, arbres, nuages, vagues, jours, nuits, les plus à même bien entendu de faire espace pour le cœur. Et infuser en nous, l’insistant vibrato de leur note commune. Et désolée.

 Lire une sélection de poèmes de Beaupré.

vendredi 20 novembre 2020

CAR TOUTE PEINE EST SUPPORTABLE DANS LA CLARTÉ. SUR LES ÉLÉGIES ÉTRANGLÉES D’OLIVIER BARBARANT.

MOTHERWELL, Spanish elegy with marine blue, 1977

Publié à l’origine le 17 janvier 2014 sur l’ancien blog des Découvreurs, suite à la rencontre que nous avions organisée au Channel de Calais pour des élèves du Lycée Berthelot, ce compte-rendu nous a paru intéressant à reproduire aujourd’hui sur notre nouveau blog. Dans la continuité de la toute dernière page de nos
Fastes consacrée à la suite donnée par Olivier Barbarant à la revue Contre-Allée.

 Pourquoi travailler à mettre ses émotions en mots? N'est-ce pas suffisant de les vivre, tout simplement? Surtout si elles sont douloureuses. Et qu'on sait l'écriture impuissante.
Un poème a t'il jamais ramené personne à la vie ?

Questions pertinentes auxquelles il est nécessaire d'apporter des réponses à la fois claires et constructives. C'est à cela que s'est employé le poète Olivier Barbarant face aux lycéens venus l'interroger sur ses Élégies étranglées.


Oui, pour Olivier Barbarant le poème part toujours d'une émotion. D'une émotion qu'il éprouve, c'est vrai, le besoin, la nécessité, de mettre en mots. Non pour l'intellectualiser, l'analyser, en produire une explication. Mais pour, la "réinscrire" dans le fil de son existence, "rebrancher " le langage sur ce qui a été vécu. Manière de faire coïncider quelque chose de très général et du coup partageable ( les mots) avec quelque chose de très personnel. Et toujours singulier.

lundi 28 septembre 2020

RECOMMANDATION. L’AUTRE JOUR DE MILÈNE TOURNIER AUX ÉDITIONS LURLURE. FORCE ET FRAGILITÉ DES PAROLES VIVANTES.

 

Il est des moments où la parole critique, celle qui tente un peu de rendre compte, a comme envie de s’effacer devant l’énigmatique évidence d’un texte. Ces moments finalement assez rares ne sont pas le signe d’une impuissance du lecteur à s’approprier à travers ses propres mots ce qu’une œuvre lui aura fait sentir et comment il en a été touché, non, c’est tout simplement que la force, l’illuminante clarté, qu’il trouve à certaines pages d’un livre qu’il a aimé, lui paraissent condenser sans en rien occulter, masquer, cette  « intensification charnelle du présent », pour reprendre une expression de Stéphane Bouquet, vers quoi pourrait bien tendre la part la plus vivante et nécessaire de la poésie.

 

Milène Tournier est une jeune femme de 32 ans, titulaire d’un doctorat en études théâtrales. Ses figures de référence sont le Rimbaud des fugues puis du grand rêve d’Afrique, l’Antigone antique aussi, qui creuse avec ses ongles pour « déraciner les lumières ». L’autre jour, que viennent de publier d’elle les éditions lurlure, est quasiment son premier livre, le précédent, Poèmes d’époque, publié dans la riche collection Polder de la revue Décharge qui l’aura fait découvrir, n’étant qu’un livret ne présentant d’elle qu’une trentaine de pages.

 

Disons le, il y a quelque chose de l’adolescence éternelle dans cette parole qui conjugue tout au long de ce livre, un désir infini d’expansion [1], faisant continuellement fi des limites couramment admises de notre condition, et un besoin tout aussi dévorant d’amour, d’attachement, de repli et de protection. Tout ici jusqu’à la façon qu’a son auteur de passer sans solution de continuité de la prose au vers, d’émouvoir la syntaxe, d’en déplacer les plis, sans pour autant chercher à trop s’en affranchir, témoigne de cette nécessité funambule d’accueillir pour les porter en soi les contraires. Au risque bien sûr de se briser.

 

En fait, je connais peu, de textes aussi bouleversants que ces Poèmes de famille, par quoi Milène Tournier nous fait entrer dans son livre. Et ces quelques pages où se dit, dans l’angoisse profonde d’avoir à les perdre un jour - source pour elle d’un sentiment de vulnérabilité extrême - la puissance de son attachement au père comme à la mère, empoigneront, je pense, plus d’un lecteur lassé comme moi des développement convenus qui prolifèrent sur le sujet.

 

On m’enterrera sous une autre époque que celle sur laquelle tout à l’heure je suis née. Mes mains ont cherché le visage de ma mère, le trou dans la vitre. Sur les tables à langer officielles ou de fortune, aire d’autoroute, lit d’invité, et pour que ne criât plus ma bouche qui criait, son nez a lu mon front de droite à gauche, de gauche à droite, comme une langue s’indécise. Trente ans durèrent trente ans. Mes bras prennent des bras dans leurs bras le soir, quand la lune prend le ciel. Il y a quelqu’un, précis comme un miracle, entre la lourde vitre du monde et le long trou du moi. Ma mort aura bientôt étalé et rapproché mes dizaines. Les mondes sont de très grands prématurés. J’attends ensemble la fin de la fin du monde. 

Maman je sais, un jour tout disparaît

Comme quand tu descends chercher la voiture au parking

Et moi j’attends en haut. 

Ainsi le déchirant se mêle-t-il au merveilleux dans cette œuvre où le souci constant, comme on vient de le voir, de la perte ou de l’abandon, se mêle à l’urgence toujours affirmée d’être « soulevée, emmenée, au voyage long, sans épaule », c’est à-dire, affranchie de tout lien, libérée de ses peurs, de vivre avec le plus d’ouverture et d’intensité possible. D’où cette présence constante au centre, du « je » le plus personnel mais d’un « je » rayonnant aussi, dirigé vers les autres et particulièrement les plus vulnérables. Poèmes des gens, quatrième des 13 sections qui compose le livre, nous fait ainsi approcher à côté de celle d’un homme qui se pense défiguré par des verrues au point de s’éprouver comme monstre, la situation bouleversante d’une vieille dame qui s’écroule devant le regard de son médecin qui lui demande « comment elle vit, en ce moment », celui d’une prof en fin de carrière qui a sacrifié sa vie à sa mère et s’imagine enfin passer sa retraite à ses côtés, celui d’un vieil homme devenu incapable de voir le rapport existant entre une table et une chaise…  Des passages d’autres sections nous entraînent vers des berges où campent des migrants, dans la tête de collégiens à l’intérieur de laquelle angoisses et rêves incessamment remuent. Et les journées de confinement dont le livre consigne les impressions les plus fortes et les rêves les plus déconcertants qu’elles provoquent, s’achèvent sur celui d’être Dieu. Mais un Dieu qui viendrait juste d’avoir enterré un ange.

 Ainsi, lourde d’émotions accumulées, à la fois puissante et fragile, centrifuge et centripète, la poésie de Milène Tournier se déploie de l’idée de sa naissance jusqu’à l’imagination de sa mort, se disant simplement « prêtée à la vie », traversant tout l’obscur comme toute la lumière des jours, dont elle fait ce jour autre, introuvable, ce jour intensifié, où enfin, par les mots, par la justesse d’une parole, d’un livre, de métamorphose en métamorphose, s’impose à elle l’évidence qu’elle peut bien désormais devenir « une des parts du monde où tout à l’heure » elle était venue se cacher.



[1] On en prendra pour seul exemple la série des rêves de quarantaine confinée qu’elle décline dans le dernier ensemble du livre…. Ainsi que la page que nous proposons de découvrir en extrait.