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vendredi 29 mars 2024

INTELLIGENCE DE STAROBINSKI. À QUOI NOUS OUVRE LA POÉSIE.


La poésie […] consiste à nous faire éprouver que la plus parfaite connaissance objective, pour   les êtres finis que nous sommes, ne saurait jamais constituer le tout de la vie et du sens. La poésie le rappelle d’abord en nous rappelant à la fragmentarité de notre existence, à nos limites. Mais d’autre part, du fait qu’elle ouvre à nos consciences un sens plus vaste que les mots dont elle joue, elle suscite un appel de liberté qui interdit le repos à quiconque a su le percevoir. Appel sans contenu déterminé, mais apte à les accueillir tous. Le regard se porte alors vers l’avant, vers l’imminence soulevée par l’afflux de l’instant. Le surcroît de sens dont la poésie est capable est la figure anticipatrice de tous les autres surcroîts de sens qui nous manquent encore – aussi bien dans notre désir de connaissance que dans l’aridité de nos existences quotidiennes. Par la libre invention d’images et de structures complexes, que les lecteurs percevront à la fois comme une célébration de la contingence et comme un système de corrélations nécessaires, la poésie est capable d’offrir, dans un microcosme verbal, le modèle où se trouve préfigurée, analogiquement, virtuellement, la communication universelle des consciences, la présence à la terre et au sens, le couronnement du savoir dans la contemplation heureuse. De cela, il suffit que la poésie ne soit que la promesse, pour que sa présence soit déjà comme l’eau qui change la face du désert.

     Jean Starobinski, Langage poétique et langage scientifique in La Beauté du monde, Quarto/ Gallimard, pages 894-895
 

lundi 5 février 2024

ANTHOLOGIE DÉCOUVREURS. UN POÈME D'EMMANUEL MOSES EXTRAIT DE SES POEMES FANTÔMES.


 

La langue qui t'accompagne depuis toujours

Le toujours d'une vie, de chaque vie -

A grandi en toi comme une forêt

Et elle te permet de dire la joie et la tristesse

La lune pâle et le fleuve presque noir de ta ville

Quand tu le longes, la nuit, plein d'amour

Elle te permet d'appeler tes morts

Comme Adam appela, quand il les eut nommés, les animaux

Et de les faire venir à toi, dociles,

Du pays dont on dit, pourtant,

Qu'on ne revient pas

Elle te permet de rebâtir ton passé

De même qu'on reconstruit une ville après une guerre ou un séisme

Souvenir par souvenir

Même si parfois certains s'écroulent à nouveau et qu'il faut recommencer

La langue qui t'accompagne éclaire tes pensées et tes sentiments

Car elle est aussi cela :

Un soleil qui illumine les nuages d'où il émerge

Qui illumine la terre sous lui avec ses plaines et ses collines

La langue venue du rire et du lait maternels

De la chaleur des jours anciens.

Poèmes fantômes, p. 69

éditions LansKine, 2023

poème attribué fictivement par l'auteur à Damir Morpurgo (1905-

1961) poète slovène de langue allemande.


samedi 27 août 2022

22 MOUVEMENTS / MN. OXYGÈNE DE LA POÉSIE.

22 par minute, c'est le nombre de mouvements d'inspiration/expiration que nous effectuons normalement au repos. Ce chiffre rythme sans que nous en ayons conscience cet échange incessant que notre corps entretient avec le milieu plus ou moins respirable qui l'entoure.

C’est sous le signe de ce commerce vital que j’ai placé ce petit livre de 2015, composé, comme je l’indique dans mon Avant-propos, d'un montage de réflexions que ma condition de poète mais aussi de passeur de poésie m'a conduit à noter depuis une bonne trentaine d'années. Les plus anciennes remontant à l'époque où j'ai commencé à prendre l'habitude de tenir un journal de bord. Dans le foisonnant paysage de phrases ainsi accumulées, qui visaient à me rendre l'activité d'écrire, mais aussi de lire, si possible plus claires, j'ai isolé une suite de passages qui dessinent maintenant pour moi comme autant de bassins à l'intérieur d'un jardin. De préférence à la française ! Par-là, je me suis donné l'illusion de retenir intellectuellement un peu du mystère de ce travail qui m'aura si souvent occupé. Me détournant de tant de choses qui paraissent pourtant aux yeux du monde beaucoup plus désirables.  

Bien qu’il existe toujours à l’état de livre physique, je donne aujourd’hui à lire cet ouvrage dans sa version dématérialisée. N’espérant plus que les exemplaires qui restent à dormir dans leurs cartons fassent demain l’objet d’une universelle demande. Et toujours plus conscient que si la forme des bassins est plus belle quand elle est pure, elle ne dit toujours rien de l’eau qu’elle prétend retenir. Surtout pas tout entière.

Découvrir l'ouvrage et le télécharger en cliquant sur l'image ci-dessus ou le feuilleter ici sur Calameo.


 

samedi 11 décembre 2021

HOSPITALITÉ DE LA POÉSIE. SUR L’ÉCHELLE DANSER DE CLAUDE FAVRE AUX ÉDITIONS SÉRIE DISCRÈTE.

C’est une poésie courageuse, généreuse, hospitalière que celle de Claude Favre dans ce court livre publié avec l’aide du CNL, par série discrète, jeune maison d’édition bordelaise que je ne connaissais pas mais qui mérite apparemment d’être découverte.

Il faut un certain sens de l’équilibre pour oser, comme l’indique le titre, sur l’échelle danser, et c’est un art de funambule que convoque Claude Favre qui trace page à page, mot après mot, sa ligne entre ce que lui dicte son sentiment personnel de précarité et la manière intime dont elle participe de la grande souffrance du monde, enfin, des innombrables victimes, laissés pour compte, qu’il produit. Jusqu’à s’émouvoir du sort des papillons monarques, qui en raison de la hauteur du mur construit par Trump à la frontière mexicaine ne peuvent plus accomplir leur migration hivernale vers le sud et se voient condamnés à disparaître. Et j’apprécie que contrairement à ce que je vois dans l’attitude de certaines des belles âmes qui ne font que commerce de leur engagement, s’emparant des causes du moment pour faire publiquement étalage de leur invétéré narcissisme, la compassion qui anime Claude Favre n’est jamais vague. Mais accompagnatrice[1].