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vendredi 15 mars 2024

RECOMMANDATIONS DÉCOUVREURS. PLACE AU ROMAN : DEUX ŒUVRES D’ANTICIPATION MAGISTRALES DE KIM STANLEY ROBINSON POUR COMPRENDRE CE QUI SE PASSE AUJOURD’HUI.


 

J’ai passé, en partie, ces deux dernières semaines, à dévorer deux longs romans de Kim Stanley Robinson, le célèbre auteur américain à qui l’on doit cette Trilogie de Mars que j’ai également lue et dont j’ai rapidement rendu compte il y a quelques mois sur ce blog.

Le Ministère du futur, centré sur la crise climatique commence en 2025 par l’évocation saisissante d’une canicule mortelle faisant des millions de morts en Inde et décrit les efforts ou pas entrepris à divers niveaux dans le monde pour se protéger de son retour ou de son extension. C’est ainsi qu’est créé par l’O.N.U. à Zurich, le Ministère du futur qui donne son titre à l’ouvrage.  Un ouvrage qui nous fait suivre sur plusieurs décennies l’action de l’équipe qui, à la tête du dit ministère, se voit chargée de réduire autant que possible pour l’humanité les risques climatiques.

mardi 16 janvier 2024

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LA POÉSIE EST SUR LA TABLE DE DENISE LE DANTEC AUX ÉDITIONS UNICITÉ.


 

Cliquer pour lire l'ensemble du poème en PDF

Plus de cinquante années après son premier livre, Métropole, paru en 1970 aux éditions P.J. Oswald, Denise Le Dantec continue comme elle l’écrit « à amasser de la lumière dans [son] sac ». Celle d’une poésie qui n’a que faire des simplismes, des intellectualismes, des formalismes, des platitudes, des renoncements ou des vulgarités contemporaines, mais qui, parfaitement au fait de tous les questionnements et de toutes les libertés qui auront marqué l’histoire poétique des cent dernières années, continue de porter au plus haut un désir de parole totalement ouvert sur le monde dans toute sa beauté comme dans sa non moins fondamentale monstruosité.

dimanche 7 janvier 2024

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. VIDE-GRENIER DE TYPHAINE GARNIER CHEZ LURLURE.

 

Depuis ses Massacres dont j’ai pu saluer à leur sortie la « salubre » nécessité, pensant premièrement à ces enseignants qui, à la manière de ce personnage de Ferdydurke pleurant sur l’insensibilité de ses élèves, s’échinent toujours à faire d’autorité admirer en classe, des textes auxquels eux-mêmes restent parfaitement extérieurs pour ne pas dire étrangers, Typhaine Garnier semble avoir résolument engagé sa carrière littéraire sur le chemin du burlesque. On sait ce genre par les classiques méprisé car relevant d’une forme d’esprit visant à avilir plutôt qu’à l’ennoblir, notre humaine condition. Sainte-Beuve y voyait toutefois un heureux antidote aux boursouflures et aux excessives préciosités d’une littérature imbue de son importance. Pour ce qui est de Typhaine Garnier il semble bien que le style burlesque soit de façon plus générale encore, la meilleure façon de mettre à mal tout ce fourbis, cet attirail, ce grand capharnaüm de représentations plus ou moins convenues qui encombrent, de la naissance à la mort, nos imaginations et s’accordent au final à nous bourrer le mou.

Conçu à la façon d’une succession de petites annonces, type pourquoi pas bon coin, aspirant à débarrasser leurs propriétaires de toutes sortes d’objets de seconde ou de nième main, tout en faisant au chaland miroiter leur éminente valeur, l’ouvrage entreprend de liquider comme l’indique clairement la quatrième de couverture,  l’ensemble des souvenirs qui composent une vie : motifs de l’enfance, choses du cœur et déboires du corps … à quoi s’ajoutent aussi bien les tristes perspectives de l’âge et d’une mort vite expédiée, sans oublier le ridicule commerce des vaines gloires rancies célébrant à l’envie leur Chant sot.

Cela, on le verra, compose un livre terriblement réjouissant. Tant comme objet de langue que plus philosophiquement comme puissant remède aux marchandes idéalités du temps par quoi nos vies se voient de jour en jour artificialisées. Et cyniquement conduites à se désespérer. Dans un article de Sitaudis, François Huglo présente avec brio l’ouvrage, insistant en particulier sur sa proximité avec l’esprit animant le Rimbaud des Petites amoureuses voire des Accroupissements. Dans sa façon de s’en prendre à ce bon vieux sentimentalisme dégoulinant qui fait de tout niaiseries. J’engage ici mon lecteur à prendre connaissance de cet article qui rend ce Vide-grenier vraiment des plus désirables. Oui. Quand par exemple on voit ces beaux esprits diplômés, posant de surcroît à l’artiste, se pâmer devant les piteuses compositions qu’ils nous offrent en partage, comment ne pas se régaler de la prose inclémente mais si diablement inventive et intelligente de Typhaine Garnier tournant en dérision la visite de la « noble bâtisse » au fronton de laquelle fulgure en lettres capitales et dorées l’engageante inscription : CI-VIT / LE PLUS GRAND POÈTE / DE SA GÉNÉRATION !!!

Pour nous délivrer des postures. Des impostures. Dans l’attente du final compostage qui nous attend à Plurien (Côtes-d’Armor) ou à Hébécrevon (Manche) à moins que ce ne soit pour le fun à Moncrabeau[1] (Gers), capitale avouée des Menteurs où nous aussi, avons déjà nos habitudes. 

 



[1] C’est une des drôleries supplémentaires de l’ouvrage que de situer chacune des « annonces » dans un lieu bien précis de notre petite France, choisi pour son caractère improbable. Ainsi bien sûr que la façon comique qu’il a de résonner avec le texte. Ma référence particulière à Moncrabeau vient d’une suite de quelques posts Facebook où je me suis amusé à me moquer du narcissisme de certains de mes « amis » FB en me faisant passer pour citoyen d’honneur de la ville à l’intérieur de laquelle les libraires placent régulièrement en vitrine tous mes livres. On pourra pour le plaisir en lire ici un passage : "De telles rencontres ne pouvant se faire qu’à Moncrabeau c’est sous les grands arbres de la promenade Monbelle -Aygo que me fut accordé la surprise de croiser hier l’un de ces amis que seul FB est en mesure de vous donner. Et comme les soirées sont longues et belles en juillet je l’écoutais me décrire à l’envie ses voyages, ses rencontres, me vanter ses amis, sa famille, évoquer ses réussites professionnelles, ses extases culturelles aussi bien que gastronomiques, tirant de sa mémoire force clichés révélant son désir de se montrer expert sur tous les plans possibles d’existence… Comme on touchait quand même à l’entrée du Grand Hôtel des Monarques où j’ai ma suite réservée comme citoyen d’honneur de la localité et qu’il sentait peut-être qu’il commençait à me lasser, l’ami se mit à s’exclamer : Mon Dieu ! Je ne fais que parler, parler et ne sais toujours rien de toi. Alors dis moi franchement avant qu’on se sépare : tu l’as trouvé comment mon dernier recueil ?".

samedi 16 décembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : RESSACS DE CLARISSE GRIFFON du BELLAY AUX ÉDITIONS MAURICE NADEAU. PASSAGERS TOUJOURS DE LA MÉDUSE.

« J’étais potentielle dans ces actes. J’étais potentielle dans cette viande morte.

Qu’est ce qu’on transmet ? [1]»

 

Récit avant tout d’une difficile libération, Ressacs, d’une descendante de l’un des quinze survivants sur les cent-cinquante qui durent confier leur survie au fameux radeau de la Méduse, n’est pas un travail d’historien. Ce qui se passa réellement sur ce grossier assemblage de bois rapidement construit avec des madriers et des pièces de mâts, suite à l’échouage du navire, est d’ailleurs aujourd’hui bien documenté. Même si, comme j’ai pu le constater fort récemment, au cours d’une discussion vive avec une amie romancière, le jour abominable que jette sur notre humanité les actes que choisirent d’accomplir une partie des naufragés pour assurer le maintien de leur existence, continue à ne pouvoir, par tous, être regardé en face.

vendredi 8 décembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. REMPART CONTRE LA POÉSIE POLTRONNE : LA MER EN HIVER SUR LES CÔTES DE LA MANCHE DE JACQUES DARRAS AU CASTOR ASTRAL.

 

« On n’en finit jamais avec la mer ». Comme avec l’eau. Voire, comme, nous le dit et redit au fil de ses ouvrages, Jacques Darras, avec le regard, la pensée, la marche, les images, la poésie. Portés que nous sommes, par cet insatiable appétit de monde autour de nous. Que nous n’en finissons pas d’explorer. Quitte si l’espace ouvert aujourd’hui sur notre planète paraît s’être étréci, à nous relancer, qui sait, vers Mars[1] ou le champ toujours pour notre esprit, infini, des étoiles.

Affirmer que La mer en hiver sur les côtes de la Manche, plus qu’une somme récapitulative est un livre manifeste surprendra sans doute tous ceux qui rechigneront à lire la seconde partie, philosophique, réflexive, érudite, de l’ouvrage. Qui retraçant l’histoire des conceptions occidentales de ces grandes catégories de la pensée que sont l’espace et le temps aboutit, pour le dire à grands traits, à la revendication de la primauté de l’imagination sur la raison dans ce qui constitue notre vitale appropriation d’un réel en permanente mobilité. Dont la figure de la mer comme celle plus généralement de l’eau est pour Jacques Darras depuis longtemps l’éloquente, athlétique et poétique incarnation.

jeudi 16 novembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : NEIGE ÉCRAN DE STÉPHANE BOUQUET AUX ÉDITIONS DE L’IMEC.

Voici un petit livre que je conseille à tous. Principalement à mes amis professeurs qui dans le cadre des rencontres que je suis amené à effectuer auprès de leurs élèves reviennent assez régulièrement sur le manque de transparence, je le dis comme ça mais bien d’autres expressions pourraient ici convenir, de la poésie actuelle. Surtout celle que nous nous efforçons quant à nous de promouvoir.

NEIGE ÉCRAN, septième titre de la petite collection Diaporama édité par l’IMEC, Institut Mémoires de l'édition contemporaine de Caen, rend compte à partir d’une suite d’images en noir et blanc, de l’élaboration de « la petite théorie poétique » de Stéphane Bouquet dont les habitués de mon blog savent en quelle estime je le tiens. Dans toute la liberté et la simplicité de ton qui sont les siennes, l’auteur de La Cité de paroles, évoque dans ce dernier opus la façon dont, en poésie, il est passé de la primauté de la voix à la reconnaissance de la fonction tout aussi essentielle de l’image. Dans un mouvement conciliant la prise en compte de la « singularité absolue des êtres » et l’incessante communication que les choses entretiennent entre elles.

mercredi 8 novembre 2023

SUR LE VOYAGE INTÉRIEUR DE GÉRARD CARTIER CHEZ FLAMMARION.

Merci à Gérard Cartier pour l’envoi de sa « Franciade[1] ». Une Franciade comme il dit, du pays ordinaire. Pas si ordinaire que cela quand même sous la plume d’un poète chez lequel mémoires, cultures, engagements[2]- je mets volontiers tous ces termes au pluriel - composent une sensibilité à la fois curieuse et labile en résonance avec l’immense diversité des choses. Jusque dans leur absence[3].

Inspiré par Le Tour de la France de deux enfants, d’Augustine Fouillée, dont il évoque d’ailleurs la tombe délaissée au cimetière du Trabuquet de Menton[4], ainsi que par Le Dépaysement de Jean-Claude Bailly qu’on ne saurait non plus trop recommander, l’ouvrage de Gérard Cartier constitue une somme de près de 500 pages qui nous fait de lieu en lieu passer, mais qu’on ne lira sans doute pas autrement qu’en vagabondant soi-même par ses propres chemins. À partir par exemple des lieux de France dont on a soi-même connaissance. Comprenant bien que ce Voyage auquel l’auteur nous invite est avant tout, comme l’indique bien son titre, un voyage intérieur[5]. Que pas toujours secrètement en effet, colorent la nostalgie, le sentiment de sa propre impuissance, le regret quand ce n’est pas l’amertume de voir le monde tel qu’il va, tel qu’il devient, notamment pour lui dans la forme abâtardie de sa langue[6].

jeudi 28 septembre 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : LA SEPTIÈME CROIX D’ANNA SEGHERS CHEZ MÉTAILLIÉ.

Premier roman de l’histoire de la littérature européenne à se pencher sur l’univers des camps ouverts par l’Allemagne nazie au lendemain de sa conquête du pouvoir, l’ouvrage d’Anna Seghers, La Septième croix a commencé à être rédigé en France dès 1938 pour être terminé en 1941, à Mexico où l’auteur aura dû se réfugier. C’est en 1947 que les éditions Gallimard en publieront la traduction française avant que les éditions Métaillié ne la reprennent dans une nouvelle traduction de Françoise Toraille. Et disons-le tout de suite, ce livre dont on aura pourtant relativement peu parlé, comme le fait remarquer Jean Birnbaum dans un article du Monde où il constate, à l’occasion de la réédition de 2020, que son Journal n'en aura jusque là jamais même fait mention, est un livre admirable et toujours nécessaire.

Georg Heisler à qui, au camp de Westhofen, est destinée cette septième croix qui donne son titre au roman, s’est évadé en compagnie de six autres camarades qui seront l’un après l’autre repris puis suppliciés. L’enjeu ici, pour les autres prisonniers du camp à qui la mise en scène à la fois cynique et terrible imaginée par le commandant s’adresse, est capital. « Pour la plupart d'entre nous, ces évadés étaient à ce point une partie de nous-mêmes qu'il nous semblait que nous les avions envoyés en émissaires. Même si nous avions tout ignoré de leur projet, nous avions l'impression d'avoir réussi une entreprise rare. Pour nombre d'entre nous, l'ennemi semblait tout-puissant. Tandis que ceux qui sont forts peuvent sans souci parfois se tromper, sans rien y perdre, parce que même les plus puissants des hommes sont toujours des hommes — et d'ailleurs, leurs erreurs ne font que les rendre plus humains —, ceux qui se targuent de leur toute-puissance n'ont pas le droit de jamais se tromper, car ils sont tout-puissants ou ne sont rien du tout. Quand on réussissait à mettre en défaut, même de manière dérisoire, le pouvoir absolu de l’ennemi, alors, on avait réussi en tout. »

jeudi 25 mai 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. LE TEXTE IMPOSSIBLE D’ALAIN ROUSSEL AUX ÉDITIONS ARFUYEN.

 

Bien des fois, au cours de mon enfance, j’ai dû croiser Alain Roussel, dans ces rues de Boulogne où nous sommes nés à quelques mois d’intervalle. Sans doute avons-nous partagé les mêmes instituteurs de l’école Cary, tremblé devant le même Monsieur Bourguignon, son austère Directeur, que toute la ville pouvait reconnaître, été comme hiver, à son duffle-coat jaune, mais fréquentant des classes différentes, nous ne fîmes finalement connaissance que des siècles plus tard, à Rennes où la Maison de la Poésie m’avait invité à faire un soir lecture. Depuis nous correspondons un peu. Échangeons quelques livres. Quelques notes de lecture. Alain étant comme moi attentif tout autant au travail des autres qu’à ses propres créations.

lundi 9 janvier 2023

RECOMMANDATION DÉCOUVREURS : L’ÎLE REBELLE, ANTHOLOGIE DE POÉSIE BRITANNIQUE AU TOURNANT DU XXIe SIÈCLE.

 

J’avais, il y a quelques années, à l’occasion de la publication au Castor Astral de l’important ouvrage de la poète irlandaise Eavan Boland, Une femme sans pays, pu découvrir et faire un peu connaître autour de moi, le beau travail de traduction de Martine De Clercq, Maître de conférences à Université Jules Verne d’Amiens. Aujourd’hui c’est encore un plaisir pour moi, de saluer l’extraordinaire entreprise qu’en compagnie de Jacques Darras, cette passionnée de poésie anglaise vient de mener à bien pour le compte de la mythique petite collection Poésie de chez Gallimard.

Entreprendre de nous faire connaître l’état de la poésie britannique – limitée toutefois à ses composantes anglaise, écossaise et galloise – au tournant du XXIème siècle, en une somme de plus de 500 pages regroupant les textes écrits pour la plupart il y a moins d’une vingtaine d’années, par une cinquantaine d’auteurs nés grosso modo entre 1920 et 1970, est un considérable défi. On imagine mal la ténacité qu’il faut pour qu’un tel projet aboutisse. Et l’on ne doit pas s’étonner que découvrir ces auteurs, choisir leurs textes, en obtenir les droits de publication, les traduire bien sûr, aura pris plus de 10 ans à Martine De Clercq qui heureusement aura pu compter sur l’efficace soutien de son compagnon dont on connaît aussi l’immense curiosité et l’infatigable ardeur.

Bravo et merci donc à eux.

Pour me hisser un peu maintenant à la hauteur de l’ouvrage, il me faudrait reprendre ici mot à mot la dense et bien éclairante préface par laquelle Jacques Darras rend littérairement et historiquement accessible pour le lecteur français l’ouvrage qu’il a aidé à voir ainsi le jour. On comprendra que je ne le fasse pas ni ne m’ingénie à en paraphraser ou à en résumer les principales données. J’invite les esprits curieux, les intelligences ouvertes à s’y reporter sans attendre. Pour ma part je précise qu’on ne lit pas bien sûr une anthologie comme on lit un roman. La lecture ici relève un peu de l’aventure, du glanage, de l’herborisation, du picorage  mais aussi de la frustration. Partant à la rencontre, on ouvre le livre au hasard et tombant sur un texte qui vraiment nous parle, nous retient, on éprouve le désir d’en lire davantage, ce qui bien sûr est impossible. Pour qui surtout ne lit l’anglais que de piètre façon. N’empêche que le plaisir est bien là de ressentir, rien qu’à feuilleter l’ouvrage, la puissante vitalité qui anime et si diversement, la poésie de nos voisins anglais. Bien sûr encore, on ne sait pas ce qu’auront décidé de ne pas retenir Martine De Clercq et Jacques Darras parmi la quantité j’imagine de textes qu’ils auront pu découvrir. On ne sait pas non plus ce qui aura comme c’est bien normal encore échappé à leur émérite attention. Une cinquantaine de poètes, certes c’est important, mais n’est sûrement encore qu’une modeste partie de ce qui dans un pays comme l’Angleterre, se considère comme tel. Méfions-nous donc des généralisations. Mais je remarquerai quand même qu’il semble bien que la poésie de l’autre côté de la Manche soit moins éthérée, arachnéenne, moins conceptuelle, prétentieuse ou distante, vaine peut-être aussi, qu’elle ne l’est encore parfois, je dis bien parfois, chez nous. Travaillant moins le langage, la langue, la posture, que nous n’avons tendance à le faire. Avec plus de confiance en fait dans les vertus partagées de la communication. De la compréhension intuitive, cordiale et sensible à la fois.

Le lecteur de cette anthologie de poésie britannique contemporaine trouvera donc moins de metapoésie, de fureur programmatique et de complexité formelle qu’il n’en trouve en général dans les vers des poètes français. Confronté qu’il sera à plus de matérialité. Une immersion plus directe, me semble-t-il, dans toutes sortes de situations, de paysages aussi bien urbains que ruraux, naturels que sociaux. Sans qu’on puisse parler pourtant de poésie simplement descriptive. La volonté étant presque toujours bien là d’une sorte de protestation contre l’ordre encagé, cadenassé des choses. Mais bon, cette sorte d’aventureuse taxinomie n’a finalement qu’assez peu de sens. À  chacun bien sûr de s’emparer de l’extraordinaire ensemble de textes qui se voient ici rassemblés pour en faire son propre miel. L’île rebelle, s’intitule fièrement cet épatant ouvrage. J’aime cette idée, moi qui par temps clair peut voir presque de ma maison les falaises de Douvres, de vivre à la frontière d’une terre entourée d’eau, qui continue à faire de la poésie le lieu non d’un conflit, d’une ardeur belliqueuse, contre le vaste monde, mais d’une naturelle et féconde indocilité. D’une indiscipline vitale. Qui soumise comme elle le reconnaît à tout ce qui écrase n’a de cesse toujours, que de se redresser.

***

Pour permettre à chacun de se faire une toute petite idée de la variété et de l’intérêt des textes rassemblés par Martine De Clercq et Jacques Darras dans cette anthologie, je propose ici de découvrir 3 de ces textes qui m’auront, pour différentes raisons, plus particulièrement parlé. Il y est question aussi bien de la détérioration de nos campagnes, que des débordements de la fièvre footballistique, ainsi que d’attachement à des personnes aimées que la maladie de leur esprit conduit à certaines divagations. Il y est question aussi d’un cimetière qui rappellera peut-être la célèbre Elegy Written in a Country Churchyard  de T. Gray que beaucoup peut-être auront découverte au cours de leurs études. Les textes présentés dans l’Anthologie sont en général assez longs. Ils sembleront peut-être un peu bavards à nous français qui restons toujours au fond de nous les héritiers de la formule poétique dense héritée de Mallarmé. Ils ne manqueront pas toutefois de ravir par là-même ceux qui à l’instar de Stéphane Bouquet pensent, comme il le développe bien dans La cité de paroles, que la poésie n’est pas chose sacrée ou ésotérique, mais l’un des modes supérieurs du partage et de la conversation.

J’ajouterai pour terminer que cette anthologie bilingue constitue un extraordinaire instrument de travail pour les professeurs d’anglais qui voudraient se servir de la poésie contemporaine pour renouveler leurs matériaux et faire découvrir à leurs élèves diverses facettes de ce monde si particulier dont ils enseignent la langue et la civilisation.